Belgique: et si c’était le compromis qui était le chaos ?

Le 9 septembre 2010

Les wallons commencent à saturer de la situation délétère du pays et pensent de plus en plus qu'accepter n'importe quel compromis avec les flamands, comme l'a fait jusqu'à présent le PS wallon, n'est pas la solution.

Titre original :

L’allergie à Bart De Wever secoue l’opinion francophone: et si c’était le compromis qui était le chaos ?

Symptôme: dimanche 5 septembre 2010, avant les élections, des journaux francophones jugeaient encore bon pour leurs ventes de distribuer d’antiséparatistes autocollants tricolores. Aujourd’hui, presque trois mois après les élections, le principal groupe de presse wallon lance une opération ”Osons!”, estimant que les francophones ne “ doivent pas avoir peur de prendre leur destin en main“.

C’est que les marketeurs des medias ont parfois plus de “nez” que les politiques qui, je le dis souvent, feraient bien parfois de troquer leurs porte-parole contre des porte-oreille. Plus de flair que l’armada de politologues plus ou moins galonnés qui envahit aujourd’hui l’espace médiatique un peu à l’instar du déluge de spécialistes militaires plus ou moins informés lors des si audiovisuelles Guerres du Golfe. Car quelque chose d’encore flouté mais de tout à fait neuf est en train de s’installer subitement dans l’opinion commune: un curieux cocktail freudien de ras-le-bol, de résignation et de fierté.

Qui tient en une phrase du genre: “ Cela n’en finira donc jamais: si les flamands veulent s’en aller, eh bien qu’ils partent, ce sera plus clair et on se débrouillera bien sans eux, peut-être même finalement mieux …

On ne parle évidemment pas ici du discours récurrent des militants du Rassemblement Wallonie-France, ni de l’avis des hurluberlus qui squattent les forums des journaux, ni même des soudains et donc révélateurs virages sur l’aile de certains billetistes francophones…

Non, je parle ici vraiment de l’homme de la rue, celui qui n’en a généralement rien à cirer de toute cette politique, celui qui se dit généralement bon belge, même si c’est sans grand projet…
Celui que j’entends, à qui je prête attention, à tous les petits tournants de la vie quotidienne.

[NDLR] Qui sont les plus belges?

“Google, qui dispose d’une part de marché de 96% en Belgique, connait nos envies. Qui a le plus envie de Belgique? Qui recherche le plus souvent ce mot-clé? Le résultat est sans appel, puisque les Wallons le recherchent 2 fois plus souvent que les Flamands.

Pourtant, ces derniers semblent s’intéresser considérablement plus à l’équipe de foot nationale, les ‘Rode Duivels’ étant particulièrement googlés au Nord. Enfin, les recherches sur le mot-clé ‘fédéral’ (‘federaal’ en néerlandais) sont aussi fréquentes dans les deux communautés. Lorsqu’il s’agit de consulter les institutions nationales, le côté pratique semble primer.”

Car trop, c’est gros. Un sentiment fait d’un peu de tout: de bribes d’infos glanées ici et là, d’une impression diffuse de lâcher-tout aux flamands, d’émotions que- c’est-y-pas-possible-ce-qu’ils-veulent-encore, de sympathie pour l’informateur-dramatisateur-qui-a-fait-son-possible, de ce Reynders il nous trahit encore mais ce Maingain on lui donnerait bien raison question fierté, de détestation pour Bart si vulgaire-qui-zavez-entendu-parle-maintenant-de-son-cul…

Le compromis ou le chaos ?

Le compromis ou le chaos” avait lancé l’autre jour Elio Di Rupo (président du PS belge). Eh bien, il semble que de plus en plus francophones pensent, a contrario, que c’est le compromis qui est peut-être le chaos. D’abord parce que tout laisse augurer un brol (bordel) tordu et peu viable, avec de nouvelles superpositions de pouvoir.

Et de nouvelles taxes et autres impôts de crise. Ensuite parce que la N-Va, à peine l’encre de l’accord sera-t-elle séchée, préparera évidemment sa future nouvelle offensive.

Donc quand un Jean-Claude Marcourt régionaliste radical, un Philippe Moureaux devenu surréalistement presque rattachiste, un Charles Picqué, un Rudy Demotte très wallon, une Laurette Onkelinx très francophone reprennent et martèlent en chœur, sans doute un peu trop fort sur le clou, le thème “ préparons-nous à une éventuelle fin de la Belgique”, ce discours inédit- du moins sous le PS de Di Rupo- passe presque comme une lettre à la poste…

Une lettre d’évidence préparée, ce qui explique aussi toute l’attention prêtée à la viabilité financière de Bruxelles par la future Ministre-Présidente bruxelloise Laurette Onkelinx. Une sorte d’agenda caché, qui explique mieux les positions  des négociateurs du PS, surtout pour ce qui est de la loi de financement, histoire de ne jamais affaiblir l’hypothèse d’un projet Wallonie-Bruxelles.

Menacer un parti séparatiste de séparatisme ?

D’aucuns se sont naïvement interrogés : drôle de stratégie que de menacer un parti séparatiste de séparatisme…

Le coup, de fait un brin mis en scène, de fait à ne pas encore prendre au pied de la lettre, est pourtant habile, redonnant l’ascendant psychologique au PS: discuter oui, mais plus à vos seules conditions. Et c’est bien davantage qu’un simple effet de manche. Car il correspond au pessimisme grave qui règne au PS, pas loin de croire, en interne, que tout accord final sera impossible, sinon impensable. D’où, bien plus sérieusement qu’on ne le pense, la décision d’agiter un projet alternatif francophone qui remplit enfin un vide politique, le temps qui passe n’étant neutre ni pour Bruxelles ni pour la Wallonie. De plus, il n’est qu’une manière de négocier avec le nationalisme: le rapport de forces. Bart De Wever se montrait d’ailleurs, hier, quelque peu dérouté, mis sous pression qu’il est par le Belang (qui s’étonne que la N-VA ne prenne pas illico le PS au mot) et ses électeurs non-jusqu’auboutistes du 13 juin.

Ainsi et surtout, le PS a deux fers au feu:

  • Bart De Wever a, mine de rien, obtenu samedi ce qu’il voulait: négocier à deux, N-VA et PS only, derrière les deux médiateurs de paille. Dont la désignation ne change rien: depuis la rupture, l’opinion du Nord est en fait encore bien plus exacerbée, persuadée que les francophones enfument l’avenir de la Flandre…A supposer que les négociations atterrissent par miracle et aboutissent un jour lointain à des accords (dont l’exécution parlementaire apparaît déjà comme un cauchemar permanent), les plus délicates des concessions francophones  se camoufleront, dans ce climax, sous l’image grandiose du sauvetage de la Belgique plus ou moins copernisée.
  • Si le bazar échoue, le PS n’aura rien raté : Elio Di Rupo, par son acharnement, aura démontré que la mission fédérale est tout simplement devenue irréalisable. (ce n’est d’ailleurs pas loin de ce qu’on pense très réellement au Bd de l’Empereur (NDLR : adresse du PS à Bruxelles) après avoir découvert le caractère obstiné, roué de Bart De Wever) Et c’est une toute autre négociation qui s’ouvrira alors, assez naturellement d’ailleurs pour les wallons. (on le redit: l’autonomie politique, c’est précisément ce dont le Mouvement Wallon a si longtemps rêvé)

Bart De Wever, l’homme à la main de fer dans un flamin(gant) de velours, rêve d’entrer dans l’histoire comme le “grand patriote” de l’identité de la Flandre. Elio Di Rupo, le belgicaniste, rêve d’entrer au 16 rue de la Loi, Premier Ministre sauveteur d’un État Fédéral relooké. Mais, par un bien curieux retournement, l’engrenage implacable des événements pourrait peut-être le conduire à entrer a contrario dans l’histoire. En ouvrant un chemin aux francophones dans le brouillard de l’évaporation du pays …

Article initialement paru le 6 septembre sur Demain, on rase gratis

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