OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Faut-il vraiment réindustrialiser la France ? http://owni.fr/2011/02/27/economie-reindustrialisation-service/ http://owni.fr/2011/02/27/economie-reindustrialisation-service/#comments Sun, 27 Feb 2011 09:30:30 +0000 Henri Verdier http://owni.fr/?p=48290 C’est peu de dire que le discours sur la désindustrialisation de la France est aujourd’hui dominant. Et cette fausse évidence appelle donc en riposte un discours symétrique sur la nécessaire réindustrialisation.

Quel rapport avec ce blog plutôt consacré à la transformation numérique ? A l’innovation, aux changements de société, à la nouvelle économie, au web et à ses évolutions ultra-rapides ?

Eh bien, je crois que le rapport est très étroit.

La compétition numérique en cours est constituée d’une série de batailles, parfois très rapides. Bataille des télécommunications, bataille des contenus, bataille des données, bataille des services, etc. Ces compétitions sont des compétitions globales, de politiques industrielles, dont les nouveaux géants ne sont qu’une partie émergée. L’excellence française dans ces compétitions est donc étroitement corrélée à la vision nationale de ce qu’est la puissance économique. Si l’on se tourne excessivement vers les recettes passées, si on construit une politique industrielle et économique sur des schémas datés, si l’on sépare, voire si l’on oppose, artificiellement, les différentes manières de créer de la valeur, il est peu probable que nous saurons revenir en tête du peloton des pays les plus innovants et les plus compétitifs.

Pour les entreprises réellement innovantes, souvent fondées sur les technologies numériques, qui recherchent la “scalabilité”, l’hypercroissance, de nouveaux usages, de nouvelles valeurs d’usage, une organisation dynamique de l’innovation, fondée en particulier sur l’agnosticisme technologique, ce débat est donc un véritable chausse-trape.

Bref, si l’on s’obstine à penser le numérique comme une filière industrielle, on renoncera aussi bien à Avatar qu’à Google, Foursquare ou Quora et on se mettra tout seuls sur la touche pendant que d’autres feront la révolution de civilisation qu’est la Révolution numérique.

Nous ne voulons pas choisir entre un cartel d’industries matures et une alliance avec les emplois à domicile. Nous avons besoin d’une nouvelle alliance, dans l’esprit de ce que j’évoquais dans mon billet sur la filière de l’innovation, et dans l’esprit du projet de l’Institut de recherche technologique que nous avons connu.

C’est pourquoi, au milieu de ce climat un peu néo-luddiste, j’ai été très agréablement surpris de recevoir au bureau un exemplaire de La Gazette de la société et des techniques, c’est-à-dire des Annales de l’École des Mines, intitulé “Industries et services, une notion dépassée ?”

Ce document, publié en novembre dernier, synthétise lui-même le mémoire de fin d’études de deux ingénieurs des Mines, Eric Hubert et François Hennion, paru au cours de l’été sous le titre initial : “Mesurer les services : qu’est-ce que la puissance économique ?” [pdf]

La lecture de ce mémoire est extrêmement stimulante.

Vers une convergence de l’économie des services et de l’industrie ?

On y apprend d’abord que la catégorie un peu fourre-tout de “services”, qui regroupe par exemple recherche, télécoms, gardiennage, nettoyage, location, juridique, comptabilité, architecture, immobilier, finance, livres, cinéma, e-Education nationale, médecine, hôpitaux… représente aujourd’hui près de 80 % du PIB -mais surtout porte la croissance du PIB-, de la consommation des ménages et plus encore de l’emploi.

On y apprend aussi que le prétendu déclin de l’industrie est en grande part une illusion d’optique. Il se fonde tout d’abord le plus souvent sur la part de l’industrie dans le PIB, et celle-ci régresse en majorité du fait de la progression des industries de services, comme l’agriculture avant elle. Labourage, pâturage et industries ne sont plus les seules mamelles de la France, c’est ainsi. Il se fonde également sur une mauvaise analyse des gains de productivité de l’industrie, qui explique sa faible contribution à la création nette d’emplois. Mais surtout, il se fonde sur une mauvaise analyse des évolutions en cours dans le tissu industriel. Car l’organisation méthodique de la sous-traitance, qui prend le plus souvent la forme de services aux entreprises, fait apparaître comme emplois de services des emplois qui étaient jusque là comptabilisés dans l’industrie. Ainsi, disent les auteurs, si le secteur industriel ne pèse plus que 20 % des emplois en France, la production de produits industriels est responsable de plus de 50 % des emplois.

Mais surtout, les deux jeunes auteurs condamnent avec aplomb une distinction qu’ils jugent désormais obsolète. Que valent les services qui ne s’appuient pas sur des biens matériels ? Fort peu. Que valent les produits qui ne sont pas appuyés sur une chaîne logistique, une commercialisation efficace, un service après-vente ? Presque rien. La valeur d’usage est toujours un service rendu à l’utilisateur, qui conjugue intimement biens et service.

Une fois reconnue cette indissociabilité des biens et des services, nos auteurs proposent de se concentrer sur la compétitivité, et suggèrent toute une série de mesures administratives : utiliser la fiscalité – y compris la subvention – pour pousser les entreprises à produire les données dont on a besoin pour mesurer la nouvelle économie, repenser la typologie des organisations en fonction de leur dynamique de gains de productivité, travailler à la création de marchés nouveaux grâce à la standardisation, faire évoluer les aides à l’innovation pour ne plus les limiter exclusivement à la recherche…

Ces conclusions restent sans doute encore un peu “administratives”, mais il est quand même rassurant de voir nos futurs hauts fonctionnaires sortir de distinctions qui pénalisent notre économie. Car sans cela, nous allons rater toutes les grandes révolutions qui pointent à l’horizon : villes intelligentes, robotique de service, greentech, etc., qui seraient bien en peine de dire si elles penchent plutôt du côté de l’industrie ou des services…


Article initialement publié sur le blog de Henri Verdier.

Illustrations CC FlickR: RevolWeb ; Peter Durand

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Numérique en France : pourquoi pas une Fondation ? http://owni.fr/2011/02/11/numerique-en-france-pourquoi-pas-une-fondation/ http://owni.fr/2011/02/11/numerique-en-france-pourquoi-pas-une-fondation/#comments Fri, 11 Feb 2011 14:35:12 +0000 Henri Verdier http://owni.fr/?p=46043 Comme vous le savez sans doute, après l’annonce par le Président de la République de la création d’un Conseil national du numérique, Éric Besson, ministre auprès de la ministre de l’Economie, des Finances et de l’Industrie, chargé de l’Industrie, de l’Énergie et de l’Économie numérique, a chargé Pierre Kosciusko-Morizet, le fondateur de Price Minister et président de l’ACSEL, de lui remettre un rapport comportant ses préconisations sur les missions, l’organisation et le financement d’un tel conseil.

“PKM” a choisi de lancer une consultation assez ouverte, en demandant des contributions, qui s’annoncent nombreuses, avant aujourd’hui, 10 février. Il devrait remettre son rapport final dès la semaine prochaine.

Consulté, comme beaucoup d’autres, je me suis sérieusement demandé de quoi nous pourrions bien avoir besoin pour remettre nos analyses et nos ambitions au coeur du débat public. Car, ne nous y trompons pas, il y a bien un fossé, peut-être même croissant, entre les acteurs de cette révolution et de nombreux responsables politiques, économiques et médiatiques. Je me suis aussi demandé ce que penseraient nos amis étrangers d’un tel OVNI.

J’arrive finalement à une préconisation, qui n’est peut-être pas complètement celle qui était attendue, mais qui, à mon sens, rendrait un véritable service d’intérêt général. Note sur une “Fondation pour le développement du numérique”:

Ne pas rater la bonne question

Le « numérique », n’est pas un secteur d’activité. C’est un processus de long terme de transformation économique et sociale globale.

A l’instar de la révolution industrielle, seul phénomène comparable par sa portée et son ampleur, une succession de ruptures scientifiques et techniques, rencontrant les évolutions économiques et sociales, débouche aujourd’hui sur une nouvelle synthèse. Cette synthèse concerne aussi bien les stratégies de création de valeur ou l’organisation économique, que l’éducation, la culture, les organisations politiques, la santé, l’urbanisme, le tourisme et même les représentations, les croyances et les pratiques des citoyens.

La transformation numérique est depuis longtemps sortie d’Internet et des ordinateurs. Elle mobilise des technologies aussi diverses que la téléphonie, les réseaux sans fil, la géolocalisation, le paiement sans contact ou les objets communicants. Elle sera concernée en quelques années par les nanotechnologies et sans doute les biotechnologies.

Ainsi, après avoir bouleversé le commerce, la culture et l’information, la transformation numérique s’apprête à révolutionner les transports, l’urbanisme, la distribution d’énergie, la conception du domicile, les industries de service, les organisations politiques.
Limiter la question du « numérique » à quelques secteurs comme les télécommunications, l’électronique ou le e-commerce, ou même l’élargir aux secteurs d’hypercroissance naissants, serait une erreur qui enfermerait cette mutation dans quelques silos au lieu de porter le débat sur ses véritables enjeux.

Avons-nous un problème avec « le numérique » ?

La société française est globalement accueillante à cette transformation et aspire à y jouer sa place. Notre pays est l’un des plus prompts à adopter les nouveaux services, l’un des plus curieux d’innovation, et d’ailleurs, de ce fait, le banc de test naturel des plus grandes innovations mondiales. Les Français sont également créatifs et entreprenants, comme en témoignent les très nombreuses créations d’entreprises dans ces activités, ou les succès des Français de la Silicon Valley ou d’ailleurs.

Si, globalement, les grands marchés du « consumer internet » nous ont échappé, malgré quelques succès dont le tien, il est d’autres « secteurs numériques » ou notre pays s’illustre : design, animation, jeu vidéo, robotique, services mobiles, etc.; sans compter l’intégration des apports du numérique par les grandes industries de service qui sont aujourd’hui le socle de la croissance et de l’emploi en France.

Les élites françaises traditionnelles, à part quelques notables exceptions, semblent beaucoup plus gênées que la population par ce changement de paradigme et notamment par sa dimension de destruction créative. Des représentations frileuses semblent dominer le débat public. La prégnance du discours sur le « piratage », la pornographie, les « menaces sur la vie privée », « Internet espace non régulé », et la faiblesse corrélative du discours sur les secteurs d’excellence française -les nouveaux secteurs de croissance, le potentiel de transformation industrielle, les nouvelles pratiques citoyennes, l’innovation sociale-, en témoignent.

L’épisode désastreux du vote de la loi de finance 2011 a profondément choqué de très nombreux entrepreneurs innovants. La conjugaison de la réforme du statut des JEI, du CIR et des exemptions fiscales pour les investisseurs en capital, quelques semaines avant le début d’une nouvelle année fiscale, a conduit nombre d’entre eux à devoir revoir leurs business plans et à donné le sentiment d’une véritable incompréhension du législateur de la nature des enjeux. Cette décision s’ajoute à tout un ensemble d’inquiétudes que tu connais bien, sur la netneutralité, le contrôle des réseaux, ou même la liberté d’Internet. Nombre de nos amis regardent déjà avec envie les dizaines de milliers d’ingénieurs qui ont fait le choix de s’installer à l’étranger. C’est peu dire que les acteurs de cette transformation numérique se sentent, en large part, assez mal compris, et que la restauration d’un climat de confiance n’est pas le moindre des objectifs de ce CNN.

Parallèlement, d’immenses défis se posent : scientifiques (big data, villes intelligentes, cloud computing), économique (stratégie industrielle française, plafond de verre pesant sur les PME), sociétaux (information, éducation (lien), culture), philosophiques (identité numérique). Ils méritent des débats sereins, publics, intelligents, informés et approfondis.

A quoi pourrait servir un Conseil national du numérique ?

Si le « Conseil national du numérique » visait à créer une sorte de conseil de l’ordre du numérique, sectoriel et corporatiste, s’il prétendait s’arroger une légitimité supérieure à celle des élus ou des corps constitués, s’il obtenait de pouvoir donner un avis consultatif sur les processus législatifs, il risquerait fort de n’avoir qu’une utilité limitée, voire nulle.

S’il réussit à ouvrir les élites françaises, notamment culturelles, médiatiques, économiques et politiques, aux nouvelles aspirations, aux nouvelles stratégies, aux nouveaux enjeux, aux nouvelles formes de création de valeur, à l’urgence de certaines régulations internationales; en un mot, à cette aspiration au changement de société qui s’exprime dans « le » numérique, il jouera un rôle nettement plus positif.

S’il réussit à susciter de vastes débats publics, à construire de nouveaux consensus, à produire des données qualifiées, à mettre à jour des savoirs, à lancer des pistes de travail audacieuses, s’il réussit à lier les centres de décision – politiques comme économiques – au grand vent de cette transformation de société, si, surtout, il réussit à mettre sur l’agenda public nos véritables dysfonctionnements (plafond de verre qui bride la croissance des PME, faible culture de l’entrepreneuriat dans nos écoles, difficultés à financer l’innovation au bon niveau d’ambition, etc.), alors il sera sans doute utile aux acteurs les plus innovants et les plus créatifs de la société française.

Proposition : créer une fondation pour le développement de la société numérique

C’est pourquoi, puisque tu nous consultes, je me permets de te faire la suggestion suivante: plutôt que de créer une nouvelle interface politique, qui suscitera du scepticisme chez les professionnels comme chez les élus, pourquoi ne pas concevoir le « Conseil national du numérique » comme une Fondation pour le développement du numérique.

Financée par l’Etat (par exemple avec une dotation issue du Grand emprunt), abondée par les apports des membres fondateurs (défiscalisés à 60 % pour les assujettis à l’Impôt sur les Sociétés), cette Fondation aurait pour objectif :

- De financer le travail de think tanks consacrés à la transformation numérique, d’organismes de prospective, voire d’instituts de recherche
- De produire des données qualifiées et objectives sur les sujets les plus débattus, afin de sortir des affrontements idéologiques
- De participer aux débats internationaux où la France brille trop souvent par son absence
- De s’impliquer dans les processus de normalisation et dans les débats sur la gouvernance internationale d’Internet
- D’assurer la qualité de l’information des pouvoirs publics et des leaders économiques
- D’organiser le débat public

Ses statuts pourraient permettre en outre d’impliquer largement industriels, enseignants, chercheurs, éducateurs, associations, think tanks et pourquoi pas même groupes d’intérêt, avec une gouvernance légitime et un objectif d’intérêt général.

Une telle fondation apporterait indéniablement au débat public une consistance et une hauteur de vue qui manquent cruellement depuis de trop longues années.


Article initialement publié sur le blog d’Henri Verdier, sous le titre “Petite contribution au débat sur la constitution du Conseil national du numérique”.

Illustrations CC FlickR: eleaf, Utodystopia, Ryan Somma

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Big Data : faire du sens à grande échelle http://owni.fr/2011/01/13/big-data-faire-du-sens-a-grande-echelle/ http://owni.fr/2011/01/13/big-data-faire-du-sens-a-grande-echelle/#comments Thu, 13 Jan 2011 16:10:15 +0000 Henri Verdier http://owni.fr/?p=42264 D’un  récent voyage dans la Silicon Valley (merci aux amis du Orange Institute), je rentre avec une conviction : tout ce que nous connaissions du web va changer à nouveau avec le phénomène des big data. Il pose à nouveau, sur des bases différentes, presque toutes les questions liées à la transformation numérique.

En 2008, l’humanité a déversé 480 milliards de Gigabytes sur Internet. En 2010, ce furent 800 milliards de Gygabytes, soit, comme l’a dit un jour Eric Schmidt, plus que la totalité de ce que l’humanité avait écrit, imprimé, gravé, filmé ou enregistré de sa naissance jusqu’en 2003.

Ces données ne sont pas toutes des œuvres. Outre les blogs, les textes, les vidéos (35 millions sont regardées sur Youtube chaque minute) ou le partage de musique, il y a désormais les microconversations, les applications géolocalisées, la production de données personnelles, la mise en ligne de données publiques, les interactions de l’Internet des objets…

Naviguer dans ce nouveau web demande une nouvelle science. C’est comme passer d’une navigation fluviale à une plongée en eaux profondes. Mobilis in mobile.

Qu’est-ce qui change avec les big data ?

L’actualité de la semaine nous a donné une petite illustration de ce qui se passe à grande échelle. Au fond, quelle est la différence entre Wikileaks et le Canard Enchaîné ? On voit bien qu’elle n’est pas seulement de volume. 250.000 documents d’un coup, ce n’est plus tout à fait les 30 rumeurs de la page 2 du Canard. Ça ne se traite pas pareil. Ça ne s’exploite pas pareil. Et visiblement, ça ne se combat ni ne se défend pas de la même manière. On sent bien que l’appareil juridique, l’appareil de communication et les stratégies de pouvoir adaptés au Canard Enchaîné ne passent pas l’échelle. Le web était globalement transactionnel. Des gens, des objets, des machines échangeaient. Des données, des conversations, des protocoles. De un à un, ou de beaucoup à beaucoup, on restait dans la transaction. Le web, aujourd’hui, produit aujourd’hui des masses de données, des masses de sens, qui échappent complètement aux principaux acteurs. Y compris à ceux qui déversent ces données. Y compris à ceux qui tentent de se les approprier. On sent bien que les questions aujourd’hui posées ne sont pas tout à fait à l’échelle. Tout savoir sur un individu ? Mieux cibler un marketing ? So what ? On est au bord de découvrir la thermodynamique et les gens continuent à regarder la trajectoire des molécules.

On sent bien que l’on est tout près d’un phénomène d’émergence. L’émergence est bien souvent une notion pseudo-mystique, mais c’est en fait une réalité. Lorsque des propriétés nouvelles apparaissent à un niveau d’organisation supérieur. Les propriétés du cerveau ne sont pas inclues dans le neurone. En tous cas, il est impossible de les anticiper simplement en disséquant un neurone. Ce sont des propriétés propres au système de neurones. L’émergence du big data sera de même nature. Il ne suffit pas de prolonger ce que nous faisons avec les données d’aujourd’hui pour anticiper ce que sera l’exploitation des données du futur.

Les outils sont-ils prêts ?

Ce qui est fascinant avec la Silicon Valley, c’est qu’une telle perspective y devient immédiatement un carburant pour la recherche et la création.

Le professeur Michaël Franklin, de Berckeley, a par exemple obtenu des financements importants de Google, Amazon, IBM, mais aussi SAP ou la Darpa (eh oui) pour créer son laboratoire Algorithm, Machine, People. Son programme de travail est simple : rien n’est prêt pour faire face à ce déluge de données. Les infrastructures profondes du réseau ne passeront pas l’échelle, la logique de bases de données n’est plus adaptée, les algorithmiques utilisées par l’informatique ne sont pas assez parallèles. Mais surtout, nous ne savons pas encore créer du sens à la bonne échelle. Donner cohérence, et valeur, aux informations, ou plutôt aux histoires dissimulées dans ces masses de données est encore une science balbutiante. Transmettre ce sens au plus large public est encore hors de portée.

Kul Wadhwa, le directeur de la Wikimedia Foundation, m’a raconté comment il réfléchit à la prochaine évolution de Wikipedia, d’un Wikipédia qui ne serait plus seulement une vaste encyclopédie, mais un immense système d’information, interfacé à toutes sortes d’API, utilisable par toutes sortes de services

Roger Magoulas, directeur de recherche chez O’Reilly pense tout simplement que les big data vont être le sujet le plus sexy des dix prochaines années. Et qu’il va nous falloir forger un langage commun entre les données, le quantitatif et le storytelling.
Ce nouveau rêve Californien est holistique. Il organise la convergence de toutes sortes de travaux : datavisualisation, algorithmique parallèle, bases de données, Mapreduce, Machine Learning, sécurité et vie privée, datacenter, statistiques, analyse en langage naturel, sémantique. Il mobilise, et bouleverse, le journalisme, la communication, les microsimulations, les politiques publiques, l’urbanisme… Il est notamment stimulé par l’ambition d’un traitement en temps réel.

Il commence à avoir des résultats concrets. On ne parle plus tant serveurs et bases de données, ni même ERP, que MapreduceNoSQLGraphDatabaseHadoop. On voit naître un marché de ces bases de données d’un nouveau genre, encore immature mais dont les fleurons sont Neo4J, Allegrograph, HypergraphDB.

Big data, big business ?

Naturellement, une telle bascule induit également des transformations stratégiques majeures. Pour être honnête, on sent bien que le business n’est pas encore tout à fait au rendez-vous. Si making sense at scale est encore un problème ouvert, making money at scale est encore plus problématique. Sauf que, vue la vitesse d’évolution du web, on peut  gager sans crainte qu’il ne faudra que quelques années avant que ces nouveaux business ne voient le jour. Il n’en demeure pas moins que la bataille industrielle a commencé. Et notamment la bataille pour la captation monopolistique de ces données. Ce n’est pas un hasard si Tim Wu, professeur à Columbia, « gauchiste » au vu des Américains, vient de sortir un nouveau livre consacré à ces nouveaux monopoles. Nouveaux, car d’un genre nouveau. Google, Facebook, Twitter littéralement parlant, ne bloquent aucun marché. Ils sont, d’un certain point de vue, non rivaux du point de vue du marché des données personnelles. Ils ne monopolisent par ailleurs aucun marché, puisqu’ils créent les marchés au fur et à mesure de leur croissance. Et pourtant, ils sont visiblement engagés dans une lutte à mort pour la captation, le contrôle et l’exploitation de masses de données personnelles. Et comme le dit Tim Wu, ils créent de ce fait de nouvelles stratégies monopolistiques. Car posséder les données personnelles de 500 millions d’individus, ce n’est plus avoir un fichier illicite sur la clientèle de sa petite boutique. On est entré dans un ordre nouveau. On est dans les big data. Tim Wu propose d’imposer, mondialement, une séparation drastique entre les opérateurs d’infrastructures profondes, les fournisseurs d’accès Internet et les fournisseurs de contenus et services. C’est une idée qui mérite examen.

En même temps, je me demande si les nouveaux démiurges ne seront pas très vite dépassés par leurs créatures. Les données prolifèrent à une telle vitesse ; on apprend tellement vite à les interpréter. J’ai ainsi rencontré une start-up, Sense Network, fondée par des anciens de Columbia, qui réussit, avec la seule trace de déplacement des téléphones portables (d’obtention facile aux Etats-Unis), à prédire votre « lifestyle », à vous catégoriser et à prédire vos goûts, vos habitudes et même vos risques de santé (diabète, par exemple).

A quoi leur servira le monopole si l’on sait reconstituer le sens avec les moindres traces ?

Article initialement publié sur le blog de Henri Verdier

>> photos flickr CC Tom Woodwar ;

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Faut-il bâtir une filière de l’innovation ? http://owni.fr/2011/01/11/faut-il-batir-une-filiere-de-linnovation/ http://owni.fr/2011/01/11/faut-il-batir-une-filiere-de-linnovation/#comments Tue, 11 Jan 2011 14:00:28 +0000 Henri Verdier http://owni.fr/?p=41867 Ayant découvert, ces dernières années, l’efficacité de la “coopétition”, le gouvernement encourage désormais différentes formes d’organisation industrielle impliquant les acteurs, grands et petits. C’est plutôt bien, naturellement.

C’est ainsi que les États Généraux de l’Industrie qui se sont tenus l’année dernière ont abouti à la mise en place d’une politique de filières, 11 filières parmi lesquelles les technologies de l’information, de la communication et des services.

C’est ainsi aussi que le Commissariat général aux investissements d’avenir (le “Grand emprunt”) a annoncé la création de quelques “Instituts de recherche technologique” et vient de lancer un appel à propositions.

C’est ainsi, enfin, que l’aménagement du plateau de Saclay est en passe de devenir le fer de lance de la politique industrielle française. C’est-à-dire une politique (intéressante au demeurant) de concentration de forces d’enseignement et de recherche, mais loin des publics, loin des créatifs, loin des lieux de rencontre et d’ébullition.

L’innovation est partout

Je suis globalement favorable à cette politique. Les “industries matures”, comme dit le centre d’analyse stratégique, ont besoin de cette focalisation, de cette organisation et de cette puissance, et nous avons besoin des “industries matures” pour conserver l’emploi, la puissance technologique et la présence internationale qu’elles représentent.

Mais en même temps, je ne peux m’empêcher de constater que le même Conseil d’analyse stratégique, quand il s’interroge sur les perspectives de création d’emploi après la crise, annonce ne rien pouvoir attendre des industries matures et recommande de se focaliser sur les jeunes entreprises innovantes et les “industries proches des marchés finaux” (industries de service).

Et ce constat ne fait que rejoindre le sentiment dominant de la plupart des acteurs de Cap Digital, qui ont l’impression de ne pas se retrouver complètement dans la manière dont les choses se structurent aujourd’hui.

Économie de l’Internet, homme augmenté, villes intelligentes et durables, médias et divertissement, économie de la contribution, nouveaux services, nouvelles participations citoyennes, réalité augmentée, services mobiles et géolocalisés, monnaies virtuelles : un intense phénomène de destruction créatrice emporte les économies occidentales et provoque, pour de nombreux analystes, un changement d’époque similaire à la Révolution industrielle.

Ce phénomène n’est enfermé dans aucune filière. Il concerne les médias et le divertissement, le commerce, les services, la santé, la domotique, l’urbanisme, le logiciel. Il a pourtant une grande homogénéité immédiatement perçue par ses acteurs :

  • il se fonde sur un mix de technologies : Internet, capteurs et senseurs, big data, cloud computing, outils de travail collaboratif, production d’images et de simulation, mécanique-robotique, communications sans contact, géolocalisation ;
  • il vise en permanence des innovations de rupture et accorde de ce fait une place centrale aux entrepreneurs ;
  • il possède un caractère massif (« big data », masses d’utilisateurs, hypercroissance, énormes monopoles de fait), qui place la vitesse de croissance et la scalabilité des solutions au cœur des stratégies ;
  • il se développe sur un marché mondial, dans les seules stratégies régionales possibles sont des stratégies de niche ;
  • il transforme l’économie par les services, en grande proximité avec les marchés finaux. La perception de la valeur par le grand public y est centrale,  à tel point que les meilleures stratégies y sont celles qui confient la création de valeur au public lui-même. Les infrastructures techniques y sont de plus en plus souvent considérées comme de simples « utilities » ;
  • il induit de profonds changements dans les usages et donc dans les stratégies commerciales (infidélité aux marques, nouveaux dispositifs de confiance, communauté, créativité et contenus autogénérés, communication virale, la culture du libre et réponse du freemium).

L’économie innovante est une réalité autonome, avec ses marchés, ses stratégies et ses formats d’innovation spécifiques. Fondée sur l’accélération des transformations techniques, économiques et sociales, elle conjugue innovation technique et innovation sociale, création et rupture stratégique, vision de long terme et expérimentation rapide. Elle est en étroite proximité avec la demande finale et sait intégrer rapidement des innovations de registres variés. Cette économie innovante est porteuse de bouleversements sociaux, de services entièrement neufs et surtout d’hypercoissance. Elle ne s’oppose pas aux industries matures, mais elle représente à l’évidence la ligne de front de la croissance industrielle : le lieu des investissements maximaux et du potentiel d’hypercroissance. Aucun pays développé n’est capable aujourd’hui de soutenir une croissance durable sans posséder un véritable tissu industriel sur ces secteurs.

Cette économie innovante est l’élément essentiel de notre prospérité future. Elle donne lieu à une compétition globale à l’échelle mondiale, y compris pour les entreprises les plus modestes ou pour les startups les plus récentes. Contrairement aux industries matures, elle ne vise pas à optimiser les coûts de production ou les revenus. Elle vise plutôt à participer à la compétition mondiale en proposant sans cesse de nouveaux produits, de nouveaux modèles d’affaires, en créant de nouveaux secteurs industriels.

Paris Saint-Denis : l’un des principaux centres mondiaux de cette économie

Or, la France possède l’un des meilleurs écosystèmes au monde de cette économie de l’innovation, sans doute le second après la Silicon Valley : le cluster Paris Saint-Denis. Paris-Saint-Denis compte plus de 8.000 PME innovantes, une exceptionnelle densité d’étudiants, d’enseignants et de chercheurs du privé et du public, la meilleure université française au classement de Shangaï, de nombreuses et puissantes écoles d’ingénieur et écoles de création (Gobelins), une forte compétence en sciences humaines, la quasi totalité des capitaux-risqueurs français et de la place financière, une très forte densité de professions créatives.

Ce cluster compte, sur la seule industrie de l’image, plus de 100.000 emplois. Plus de 12 % des salariés y travaillent dans les TIC et près de 10 % dans les industries créatives. Il accueille les sièges sociaux de grandes entreprises de service, très internationalisées, intégratrices de technologies et avides d’innovation (Publicis, Lagardère, Carrefour, Casino, Axa, BNPP, etc.). Il a sans aucun doute donné naissance aux meilleures start-up non américaines au monde (Exalead, Netvibes, Dailymotion, Meetic, Viadeo, etc.). Il possède des dizaines de TPE/PME/ETI leaders mondiales sur leurs marchés (animation, robotique, technologies de santé, électronique grand public, etc.). Première ville au monde pour le tourisme, et le tourisme d’affaire, il accueille sur son territoire tous les marchés et tous les professionnels. Sa population est internationale, de haut niveau de vie et avide d’innovation. Avec Le Web et Futur en Seine, il accueille chaque année deux des plus grandes manifestations mondiales de l’économie innovante.

Centré sur la ville la plus dense et la plus connectée au monde et la plus consommatrice de haut débit, il représente un ensemble intégré dans lequel les transports en commun permettent de relier tous les points en moins de 30 min.

Centré sur l’innovation, il bénéficie des infrastructures lourdes développées sur le plateau de Saclay, mais garde la capacité de cultiver la créativité propre aux villes-monde, avec tout son brassage, ses rencontres, ses surprises.

Comment transformer l’énergie en puissance ?

Si un tel potentiel n’a pas encore réussi à s’imposer de manière incontestable dans la compétition mondiale, c’est en grande partie parce qu’il s’est développé presque spontanément, sans que les politiques publiques ni les acteurs eux-mêmes n’aient toujours eu conscience de sa qualité et n’ont donc pas développé tous les outils qui lui permettraient le passage à l’échelle.

Pour prospérer, l’économie innovante a besoin d’un climat favorable aux idées neuves et aux entrepreneurs. Pour ce faire, il faut non seulement doter l’écosystème de puissantes capacités de recherche appliquée, il faut surtout lui donner un potentiel d’accélération, en favorisant :

  • la capacité prospective face à des mutations ultra-rapides ;
  • le positionnement sur des stratégies technologiques pertinentes et réajustées en permanence ;
  • la construction de nouvelles transversalités entre secteurs complémentaires ;
  • la diffusion des nouvelles technologies, de quelque origine qu’elles soient, vers les grandes industries de services, intégratrices et innovantes ;
  • la capacité de prototypage rapide, de tests d’utilisation rapide, d’appropriation rapide par le grand public ;
  • l’engagement du grand public dans le cluster ;
  • une place prééminente des TPE / PME et un encouragement à l’innovation de rupture ;

En d’autres termes, il ne faut pas seulement soutenir l’innovation dans les filières matures. Il est temps de construire une véritable filière de l’innovation, ultra-mobile, ultra-créative, porteuse d’hypercroissance en tant que telle et capable d’ensemencer toutes les autres filières industrielles.

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Article initialement publié sur le blog de Henri Verdier

>> photos flickr CC Thomas Hawk ; hyoin min : theonlyone

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