OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Horizon 2020: prévisions pour la prochaine décennie http://owni.fr/2011/04/08/horizon-2020-previsions-pour-la-prochaine-decennie/ http://owni.fr/2011/04/08/horizon-2020-previsions-pour-la-prochaine-decennie/#comments Fri, 08 Apr 2011 10:00:47 +0000 paristechreview http://owni.fr/?p=55624 Que pouvons-nous attendre de bon de 2020 ? Des vols commerciaux dans l’espace, prédit Esther Dyson, femme d’affaires et auteur spécialiste de la technologie. Des percées significatives dans la lutte contre le cancer, répond Michael S. Tomczyk, directeur exécutif au Centre Mack pour l’innovation technologique de Wharton. Une troisième révolution industrielle basée sur les énergies propres, affirme l’économiste et futurologue Jeremy Rifkin.

Mais ne faites pas tout de suite vos bagages pour la Lune. Historiquement, les prédictions se révèlent bien souvent trop optimistes, trop conservatrices ou tout simplement à côté de la plaque. “Ne faites jamais de prédictions”, recommandait le producteur américain Sam Goldwyn, “en particulier sur l’avenir”. Si on considère les performances des prévisionnistes, y compris les mieux informés, le conseil est judicieux.

Et pourtant, le monde change indubitablement, et souvent beaucoup plus radicalement et rapidement que n’importe qui l’aurait imaginé. La politique a toujours ses mystères – presque personne n’avait prédit la chute de l’URSS ou la montée en puissance de la Chine. Certains éléments suggèrent que le Département d’État américain n’avait même pas de plan d’urgence sur la manière de gérer une révolution en Égypte.

Même le monde de la technologie, supposé plus rationnel, s’est montré riche de surprises. Dans les années 1980, rappelle Andrew Odlyzko, mathématicien à l’Université du Minnesota et historien de la technologie, l’influent cabinet de conseil McKinsey & Company avait prédit que le marché américain des téléphones portables atteindrait 800 000 exemplaires en 2000 – une estimation 100 millions en dessous du nombre réel.

A tort ou a raison, voici ce que Esther Dyson, Michael Tomczyk et Jeremy Rifkin nous prédisent pour 2020 – et pourquoi.

Levez les yeux vers le ciel

Interrogée sur sa prédiction la plus folle pour 2020, Esther Dyson a décrit des voyages commerciaux dans l’espace et l’exploitation de ce dernier à des fins commerciales.

D’ici à 2020, un marché commercial dynamique se sera mis en place pour le voyage vers la Lune, vers des astéroïdes et vers des structures en orbites construites par des humains. Les entreprises s’y lanceront dans l’exploration minière des astéroïdes, la production de médicaments délivrés sur ordonnance, la captation de l’énergie solaire et autres activités lucratives, en utilisant pour ce faire la biologie de synthèse aussi bien que des outils de production traditionnels. Et, bien sûr, certaines personnes s’envoleront pour le fun – moi la première, j’espère !

...

Michael Tomczyk, de Wharton, pense également que les voyages dans l’espace arriveront plus vite que les gens ne l’imaginent. “Ayant moi-même été pionnier sur certaines technologies… Je peux témoigner qu’il ne faut pas grand-chose pour lancer une révolution technologique”, affirme Tomczyk, qui dirigeait il y a trente ans l’équipe qui développa et mis sur le marché le premier PC, le Commodore VIC-20, vendu à un million d’unités.

Selon lui, ces vols civils vers l’espace pourraient aussi mener à d’autres innovations : “Personne ne sait quels miracles technologiques apparaîtront au passage, ou comment les découvertes que nous faisons changerons nos vies et les rendront meilleures, mais je suis certain qu’elles seront fondamentales”.

Dans dix ans, des traitements contre le cancer bien plus performants auront aussi été développés, prédit Tomczyk.

Je pense que pour beaucoup de cancers, les possibilités de traitement et de guérison augmenteront considérablement d’ici à 2020, grâce aux nouvelles thérapies qui sont en train d’être développées, qui incluent des vaccins sur mesure contre le cancer, l’utilisation de nanoparticules et de nanomédicaments pour détruire les tumeurs, des tests de diagnostics génétiques et l’identification d’éléments cancérigènes que nous devons éviter »

Une troisième révolution industrielle

Jeremy Rifkin, maître de conférence à Wharton et conseiller de plusieurs gouvernements européens, entrevoit deux voies possibles pour le futur: une catastrophe mondiale provoquée par le réchauffement climatique et la pénurie d’énergies fossiles, ou une troisième révolution industrielle, cette fois-ci s’appuyant sur des énergies renouvelables produites, non pas à la manière du XIXème siècle dans des sites centralisés mais de manière distribuée.

Pour Rifkin, président de la Fondation sur les tendances économiques à Bethesda, dans le Maryland, l’histoire est en grande partie déterminée par la forme d’énergie utilisée par la société. “L’énergie est toujours critique”, dit-il. “C’est la base sur laquelle se crée une économie. Les flux d’énergie sont toujours déterminants, toujours”.

Rifkin place en 1979 le début de l’ère dans laquelle s’inscrit notre futur immédiat, lorsque les réserves de pétrole par tête ont atteint leur maximum. Davantage de pétrole a été trouvé depuis, explique-t-il, mais l’augmentation des naissances a réduit l’importance de ces gains.

De là découle ce qui est arrivé à l’été 2008, lorsque les prix records du pétrole ont provoqué des émeutes de la faim dans 22 pays. “Notre civilisation entière tourne autour du pétrole”, affirme Rifkin. Quand les prix ont atteint 147 dollars le baril, les limites de la mondialisation sont apparues clairement pour la première fois.

Selon lui, c’est ce choc sur le prix du pétrole qui constitua le vrai séisme économique. La crise financière de l’automne 2088 en était juste une réplique, affirme-t-il.

A partir de maintenant, dit-il, chaque fois que l’économie repartira et aura besoin d’énergie, les ressources limitées en pétrole mettront un frein à la croissance. “Le même scenario se reproduira”, dit-il. “La production mondiale mettra une pression trop forte sur les approvisionnements”.

“La prochaine fois que le pétrole montera, ce sera la panique car ils vont réaliser que nous sommes en fin de partie”, prédit Rifkin, convaincu qu’une demande en hausse et une offre en baisse vont conduire au choc.

Je ne vois aucune issue à ça. Ce sont deux tendances irréconciliables.

L’échec retentissant des discussions sur le climat du sommet de Copenhague en 2009 fut aussi une étape déterminante. “C’était probablement le plus gros défi que nous devions relever dans les 175 000 années que nous avons passé sur cette planète – et nous sommes tranquillement rentrés chez nous”, dit Rifkin.

...

Selon Rifkin, l’espèce humaine a cependant une chance de s’en sortir : les énergies renouvelables distribuées.

Dans le passé, les énergies renouvelables n’ont pas pris leur envol en partie à cause d’une difficulté d’ordre conceptuelle : comment pourrait-on générer suffisamment d’énergie nouvelle pour se substituer aux centrales électriques traditionnelles ? Mais dans le futur à énergie distribué de Rifkin, la vieille “usine” à énergie est remplacée par un réseau électrique décentralisé, jouant le même rôle qu’Internet pour la communication. Adieu la radio, bonjour l’iPod.

L’idée clé : chaque parcelle de cette planète reçoit virtuellement une forme ou une autre d’énergie renouvelable, solaire ou éolienne par exemple, explique-t-il. Pourquoi alors collecter cette énergie seulement en quelques endroits ? La nouveauté consisterait à utiliser des compteurs à double sens, qui permettent de produire l’énergie de manière hyper locale et de la distribuer également localement, peut-être même à l’intérieur de l’immeuble ou du quartier. A l’arrivée, de grandes quantités d’électricité peuvent ainsi être produites, de la même manière que l’informatique décentralisé a permis de disposer de la puissance de calcul de milliers d’ordinateurs.

Un regard en arrière

Certaines de ces prédictions se révèleront-elles exactes?

Certes, ces trois experts ont vu juste en plusieurs occasions par le passé – Dyson a compris le potentiel d’Internet bien avant beaucoup de gens ; Tomczyk, outre le développement du premier PC grand public, a collaboré au déploiement des premiers distributeurs automatiques de billets, et Rifkin a anticipé le débat autour des manipulations génétiques dès les années 1970, une anticipation judicieuse parmi d’autres dans sa longue carrière de prévisionniste. Mais comme on dit dans les hautes sphères de la finance, la performance passée n’est pas une garantie des résultats futurs.

Globalement, le futur s’avère étonnamment difficile à prévoir, même pour les futurologues les plus avertis. Michael Tomczyk fait en particulier remarquer que beaucoup de choses dont nous aurions pensé bénéficier aujourd’hui, comme les thérapies géniques, mettent beaucoup plus de temps à se réaliser que nous ne l’anticipions.

Odlyzko affirme, lui, que certains schémas se répètent– nous visons en général trop haut, même si nous sommes parfois dépassés par la réalité. “Nous constatons qu’en moyenne, la tendance a été à trop d’optimisme, en particulier de la part des investisseurs ou des promoteurs commerciaux d’une technologie, mais il y a aussi eu des cas où les prévisions ont été dépassées”, explique-t-il, citant le chiffre beaucoup trop bas donné par McKinsey pour les téléphones mobiles en 2000. Même les fabricants de portables n’étaient pas particulièrement optimistes sur ces derniers: Nokia avait prévu un taux de pénétration des mobiles de 30 % à cette échéance, rappelle Odlyzko.

Les gens comprennent souvent mal l’impact réel d’une invention, explique-t-il. Dans l’Angleterre du XIXème siècle par exemple, ceux qui développèrent les chemins de fer imaginaient avant tout le rail comme un moyen de transporter des marchandises, pas des hommes. L’enthousiasme que suscitèrent les trains de passagers les surprit. “Même les personnes qui ont de forts intérêts financiers en jeu ne réalisent souvent pas le potentiel de ce sur quoi ils travaillent”, dit Odlyzko.

Autre cas d’école : Ken Olsen, fondateur de Digital Equipment Corporation, l’un des plus gros fabricants informatiques dans les années 1970 et 1980, a complètement raté la marche des PC. “Il ne voyait pas pourquoi quelqu’un voudrait d’un ordinateur à la maison”, dit Odlyzko.

Souvent, des conséquences imprévues surviennent aussi. Ces dernières années, beaucoup ont bien perçu le déclin du courrier traditionnel, mais peu ont vu venir les besoins plus importants en livraison de colis que créerait le commerce en ligne.

Dans l’Angleterre du XIXème siècle, le chemin de fer signa assez rapidement la mort des diligences ; ceci a fait craindre une chute de la demande pour les chevaux, ce qui aurait constitué un danger pour la sécurité nationale. En réalité, quand le chemin de fer s’est développé, la demande en chevaux a augmenté. Davantage de biens devaient être transportés au niveau des gares. Ces animaux se révélèrent aussi fort utiles pour déplacer les wagons au niveau des aires d’aiguillages.

Les bateaux à voile devinrent aussi plus demandés lorsqu’eut lieu l’essor de la vapeur – et durèrent encore 50 ans après que les premiers rails soient posés. Les remorqueurs à vapeur les aidaient à éviter le danger des manœuvres d’entrée et de sortie du port. Selon Odlyzko,

les bateaux à vapeur ne pouvaient pas traverser l’Atlantique de manière financièrement compétitive mais ils pouvaient remorquer les bateaux à voile sur une vingtaine de kilomètres le long d’un fleuve, contre le vent.

Finalement, mieux vaut peut-être ne pas savoir de quoi on parle. Ironiquement, certains des meilleurs prévisionnistes existant pourraient bien être les moins qualifiés sur le plan technique. “Je crois que la science-fiction est une prescriptrice trop vite négligée d’innovations de rupture, radicales”, pense Tomczyk. Effectivement, le site Technovelgy.com liste des milliers d’inventions imaginées en premier lieu par des auteurs de science-fiction. Beaucoup de ces inventions sont aujourd’hui techniquement réalisables– des publicités personnalisées de Minority Report aux téléphones portables capables d’embrasser.

Retour sur cet article en 2020, lorsque les touristes enverront – ou pas – des baisers à leurs enfants depuis leur chambre d’hôtel, sur la Lune.


Article initialement paru sur Paris Tech Review

Illustrations CC FlickR: x-ray delta one, vonguard, ninja gecko

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Pourquoi la “révolution douce” du télétravail ne prend pas? http://owni.fr/2011/03/29/pourquoi-la-revolution-douce-du-teletravail-ne-prend-pas/ http://owni.fr/2011/03/29/pourquoi-la-revolution-douce-du-teletravail-ne-prend-pas/#comments Tue, 29 Mar 2011 06:30:30 +0000 paristechreview http://owni.fr/?p=53876 Il y a presque 40 ans, le télétravail semblait sur le point de devenir la norme. C’est toujours le cas aujourd’hui. Pourquoi cette révolution est-elle si lente – et à quoi ressemblera le monde du travail de demain si elle finit effectivement par aboutir?

En 1973, lorsque Jack Nilles [EN], ancien ingénieur en télécommunications à la NASA, étudia pour la première fois la possibilité d’utiliser l’électronique pour travailler à distance, il fut impressionné par tous les avantages potentiels que cela représentait. Il n’était nul besoin d’être un scientifique chevronné pour en comprendre l’intérêt. La société économiserait des milliards en essence et en heures de travail productives. Les entreprises verraient chuter les dépenses liées à leurs locaux et auraient des équipes bien plus fraîches et dispos. Quant aux employés, libérés des heures passées sur l’autoroute et dans les trains de banlieue, ils bénéficieraient d’une meilleure qualité de vie, avec plus de temps, d’énergie et d’argent disponible pour leurs amis et leur famille.

Nilles, qui a quitté le gouvernement en 1972 pour mener des recherches interdisciplinaires à l’Université de Californie du Sud, à Los Angeles, appela cette nouvelle opportunité le « telecommuting » (télétravail en français). Au milieu des années 70, se rappelle-t-il aujourd’hui, il pensait que le télétravail deviendrait la norme dix ou vingt ans plus tard.

Vous avez dit révolution ?

40 ans plus tard, nous sommes pourtant toujours coincés au bureau. Alors même que le monde a adopté les e-mails, Internet, les téléphones portables et aujourd’hui les réseaux sociaux, beaucoup d’entre nous font toujours de longs trajets au volant, aller et retour – et s’assoient souvent devant le même ordinateur portable qu’à la maison. Même aujourd’hui, la plupart des sondages montrent qu’aux Etats-Unis et en Europe, le télétravail est relativement rare. Si le fait de travailler à distance une partie du temps devient de plus en plus fréquent, moins de 2 % de la population télétravaille à plein temps dans les deux régions.

Dans l’ensemble, c’est comme si une partie du futur n’était pas encore arrivée, « un peu comme quand, enfant, vous imaginiez que nous irions tous travailler en voiture volante », explique Jon Andrews, consultant à PricewaterhouseCooper (PwC) à Londres.

Il y a de bonnes raisons pour lesquelles nous n’en sommes pas encore aux voitures volantes, mais qu’en est-il du télétravail ? Les réponses ne sont pas évidentes. Certaines études suggèrent que cela fonctionne bien. « Les télétravailleurs sont plus satisfaits de leur travail et le fait d’être loin du bureau la majeure partie du temps est source de beaucoup d’avantages », affirme Kathryn Fonner, professeur assistant de communications à l’Université du Wisconsin à Milwaukee. Kathryn Fonner a récemment mené avec Michael Roloff, professeur en communication à l’Université du Northwestern à Evanston, dans l’Illinois, une étude qui compare le niveau de satisfaction professionnelle des gens qui travaillent chez eux au moins trois jours par semaine avec celui de ceux qui travaillent uniquement au bureau.

Premier de ces avantages, selon Jack Nilles, ceux qui télétravaillent tendent à être plus et non pas moins productifs que les travailleurs basés dans des bureaux. 
D’après Nilles, qui est aujourd’hui consultant en télétravail pour JALA International, les entreprises ont aussi des raisons financières de préférer le télétravail. La plupart s’aperçoivent qu’elles peuvent économiser l’équivalent de 10 à 15 % du salaire d’un employé si celui-ci ne travaille pas dans leurs locaux. « Et comme avait coutume de le dire [feu le sénateur américain] Everett Dirksen, ‘un milliard par ci, un milliard par là, et assez vite vous parlez de beaucoup d’argent’ », commente Nilles.

Contraintes sociales

Pourquoi, alors, le télétravail n’a-t-il pas « pris » davantage ? « Les problèmes liés à la supervision et à la surveillance du travail ne sont pas des moindres », suppose Juliet Schor, historienne du travail au Boston College, « donc à moins que les gens soient payés à la tâche, ils sont compliqués à gérer pour les employeurs ». Nilles affirme lui que ces inquiétudes relèvent largement de l’imaginaire.

Le problème de base est le même depuis le début…. Le télétravail engendre ou déclenche une révolution sociale dans l’organisation et c’est toujours effrayant pour les dirigeants, affirme-t-il. Le plus grand obstacle au développement du télétravail a toujours été au niveau de l’oreille du manager plutôt qu’une quelconque difficulté technologique.

« Aujourd’hui, la contrainte est d’ordre social plutôt que technique », acquiesce Andrews, de PwC.
Nilles annonce clairement à ses clients que la décision d’autoriser ou non le télétravail dépend souvent en premier lieu de la manière dont l’entreprise définit ses priorités : productivité ou « politique » et temps de présence. L’inquiétude des employés peut aussi entrer en ligne de compte. Pour les célibataires en particulier, le bureau remplit toujours une fonction sociale importante. Dans les sociétés les plus high-tech, des études ont montré que 15 à 20 % des couples mariés se sont rencontrés au travail. Encore aujourd’hui, le bureau reste un des ingrédients principaux de l’imagination populaire, comme le suggère le succès que rencontrent des séries télé comme la comédie sombre « The Office » [EN] ou la trame plus noire encore de « Mad Men » [EN].

Des sondages ont suggéré que beaucoup d’employés craignent qu’en sortant du bureau, ils sortent aussi de l’esprit de leurs supérieurs, et restent ainsi à l’écart d’une promotion éventuelle. D’autres s’inquièteraient que leur patron ayant réalisé que le travail pouvait être fait à la maison, il pourrait aussi bien réaliser qu’il peut être fait à l’étranger.

De fait, si on se place d’un certain point de vue, on peut dire que la révolution du télétravail s’est bel et bien produite – mais les appels viennent de Noida (en Inde), pas de Neuilly. La sous-traitance de certains processus commerciaux représente une industrie de 59 milliards de dollars pour l’Inde seule. Pourtant, même au royaume des télécoms indien, l’open space est la règle plutôt que l’exception pour les entreprises high-tech. Nasscom, une association indienne de l’industrie high-tech, estime que les sous-traitants indiens de l’industrie des télécommunications ont investi dans plus de 18 millions de mètres carrés de bureau sur les dix dernières années.

Comme expliqué précédemment, le nombre de personnes qui travaille une partie de son temps à distance continue pourtant d’augmenter. Cette tendance naît parfois d’une logique de coût, particulièrement dans des entreprises technologiques comme Hewlett-Packard, qui peut économiser tout en mettant en avant sa technologie. Mais l’arrivée, chaque année, sur le marché du travail de jeunes qui n’ont jamais eu à associer travail et lieu de travail pourrait être un facteur plus déterminant.

Pour quelqu’un qui rêve d’être Don Draper (le publicitaire brillant et ténébreux de « Mad Men »), c’est peut-être une mauvaise nouvelle ; mais pour les autres, beaucoup d’opportunités nouvelles voient le jour – et pas seulement dans le domaine technologique. Starbucks et McDonald’s ont surfé avec beaucoup de succès sur la popularité du Wi-Fi. Pour le seul mois d’octobre, 30 millions de personnes se sont loguées sur les réseaux Wi-Fi gratuits de Starbucks aux Etats-Unis. Avec un peu moins de succès, des entrepreneurs plus modestes ont essayé de concevoir des immeubles et des « bureaux » comprenant des endroits où se réunir et des pièces pour travailler.

Les entreprises ont aussi beaucoup plus de facilité aujourd’hui à proposer des services nouveaux, note Jon Andrews. Il est par exemple plus facile pour des personnes de se réunir, au sein d’une entreprise et en externe. Au sein des entreprises, explique Jack Nilles, disposer de meilleurs moyens de communication permet aux experts de former plus facilement des « organisations éphémères », des équipes éparpillées à travers le monde qui se réunissent virtuellement pour résoudre un problème particulier.

Aujourd’hui, ceci est aussi valable pour les start-ups. Hal Varian, le nouvel économiste en chef de Google, a noté depuis cinq ans déjà l’émergence de « micro-multinationales » – des petites entreprises qui opèrent à cheval sur deux ou trois pays. Ces temps-ci, de plus en plus de ces petites multinationales se forment, des groupes se rencontrant en ligne et exploitant au mieux les ressources de chaque côté, comme le font les grandes entreprises depuis des décennies.

Au niveau du management, le télétravail a changé la manière d’opérer de manière parfois surprenante. Les outils de communication permettent aux cadres d’être en contact avec plusieurs sites à la fois. Mais ils voyagent toujours beaucoup – ils n’abandonnent pas le bureau, ils en ont plusieurs.

Si vous regardez les cadres les plus internationaux aujourd’hui… Ils passent finalement une grande partie de leur temps à télétravailler, observe Jon Andrews. Ils prennent leurs ordinateurs portables avec eux où qu’ils aillent.

Ironiquement, plutôt que de diminuer, comme on aurait pu s’y attendre dans un monde où tout le monde dispose gratuitement d’outils de vidéoconférence, les dépenses annuelles mondiales consacrées aux déplacements professionnels ont augmenté. Elles atteignent aujourd’hui 896 milliards de dollars (631 milliards d’euros) et devraient grimper à 1.200 milliards (845 milliards d’euros) d’ici à 2014, selon la NBTA Foundation [EN], l’organisme de recherche de la National Business Travel Association.

Le phénomène selon lequel la flexibilité conduit à passer plus de temps au travail ne fonctionne pas seulement pour les accros de la classe affaires. Les employés, libérés des heures de transport quotidiennes, ne passent pas ces dernières à jouer au golf. Jack Nilles a conclu que c’était l’inverse. « Les personnes qui télétravaillent tendent à travailler longtemps après que leurs collègues du bureau sont rentrés à la maison », écrivait-il dans un post de blog récent. Le problème est suffisamment sérieux pour que l’une des sessions de formation dispensée par son cabinet soit consacrée à apprendre aux employés à trouver un juste rythme de travail.

Le problème du travail en équipe

Le télétravail présente aussi de nouveaux défis aux managers. Le premier d’entre eux : l’effet sur la dynamique de groupe. « Même avec de nouvelles technologies, cela restera difficile », dit Cary Cooper, directeur de Robertson Cooper, un cabinet de conseil en psychologie organisationnelle britannique, « parce que beaucoup de ce qui contribue [à la construction d’une équipe] ne se joue pas dans des rendez-vous formels comme les vidéoconférences, les conference calls ou Skype. Beaucoup de tout ça se joue en coulisses, dans des moments informels ».

Nilles affirme de son côté que les effets positifs liés à la proximité géographique ont été surestimés. « Il est concevable que certaines opportunités de créer du lien soient manquées lorsque les personnes ne sont pas ensemble », admet-il. Mais, selon lui, « la plupart des lieux de travail sont dysfonctionnels. Ces conversations autour de la fontaine à eau tendent à concerner le sport ou comment un tel agit avec un tel plutôt que l’invention de nouveaux produits géniaux ».

La recherche semble aller dans le sens des observations de Nilles. L’étude récente de Kathryn Fonner et Michael Roloff a conclu que beaucoup d’employés sont heureux de télétravailler en partie parce que cela leur permet de rester en dehors de la « politique » du bureau. « Les télétravailleurs peuvent éviter ou échapper à la partie politique des relations de bureau, et c’était une chose dont ils étaient particulièrement satisfaits », explique Kathryn Fonner.

Les chercheurs ont également conclu que les télétravailleurs produisaient plus en évitant les réunions à répétition et la surcharge d’information en même temps que les manœuvres politiques, et devaient faire face en même temps à moins de conflits entre vie professionnelle et familiale. Satisfaire les besoins de chacun n’est pas pour autant une sinécure. « Les employés en télétravail ont beaucoup de difficulté à cause de limites moins claires », rappelle Fonner. « Il devient facile de naviguer de sa vie professionnelle à sa vie personnelle, mais c’est aussi stressant car vous êtes sans cesse en train de passer de l’un à l’autre ».

> Billet publié initialement sur ParisTechReview sous le titre Pourquoi la révolution douce du télétravail ne prend pas ?
Illustration Flickr CC Yanajenn, Erin_m et Sebastian Hillig

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Le flop d’une technologie : pourquoi certaines technologies n’accrochent-elles pas ? http://owni.fr/2010/05/05/le-flop-d-une-technologie-pourquoi-certaines-technologies-n-accrochent-elles-pas/ http://owni.fr/2010/05/05/le-flop-d-une-technologie-pourquoi-certaines-technologies-n-accrochent-elles-pas/#comments Wed, 05 May 2010 14:18:40 +0000 paristechreview http://owni.fr/?p=14375 Comme le suggère le déploiement du nouvel iPad, Steve Jobs a le don de simplifier le processus de diffusion des technologies : créer quelque chose qui semble génial, faire savoir à tout le monde à quel point c’est génial, ensuite attendre que le monde se rue vers votre magasin.

Naturellement, Jobs ne donne qu’une vision simple des choses. Pour chaque iPod, iPhone vendu -ou peut-être bientôt iPad- des centaines de nouveaux produits technologiques sont des flops. Même le PDG de Apple a eu son lot d’échecs.

Qu’est-ce qui différencie les gagnants des perdants ? Des spécialistes de ParisTech et de Wharton School à Philadelphie qui ont étudié la diffusion des technologies estiment que plusieurs facteurs déterminent le succès d’un produit- et qu’avec la numérisation, le processus devient toujours plus complexe.

Une grande partie du succès repose sur l’équipe – et pas seulement en termes d’expertise technique. Le regard un peu idéaliste des ingénieurs interviewés dans la récente publicité de démonstration de l’iPad n’est pas inhabituel. Selon Annie Gentès, Maître de Conférence à Télécom ParisTech, les meilleurs inventeurs sont ceux qui sont presque toujours passionnés par leurs inventions. « Un inventeur doit être optimiste. Autrement, il abandonne », ajoute-t-elle.

Souvent, les idées se perdent, parce qu’il n’y a personne pour véhiculer auprès d’un plus large public la signification d’une invention. Il faut en général faire appel à des concepteurs et à d’autres personnes non spécialisées pour aider à transformer une innovation en un produit commercialisable.

Gentès qui collabore avec une équipe de concepteurs et d’experts en nouveaux médias, pour aider à trouver des applications pour les idées conçues par les chercheurs de ParisTech, explique que cette transformation s’avère être un processus complexe.

Ils discutent d’abord avec les inventeurs, dit-elle : « Nous les questionnons sur leurs sentiments, leurs valeurs, parce que c’est une chose très importante à savoir. Ces technologies sont déjà imprégnées d’un certain nombre de valeurs» explique Gentès.

Ce n’est pas toujours facile. Souvent, ils ne sont formés que pour écrire sur la dimension technique de leur invention, non sur les rêves qui ont abouti à la créer :

« Il faut les aider à dire ce qu’ils pensent de leur propre technologie et de leurs valeurs et même de leurs lectures, des ouvrages qu’ils ont lus, du roman qui les a inspirés. La plupart du temps lorsque vous vous lancez dans un projet, vous vous rendez compte qu’il a été inspiré par certains ouvrages de référence, ou certains films, et que cela aide vraiment la technologie à naître. »

Ensuite, dit-elle, nous essayons de trouver des liens entre l’imagination de l’inventeur et ce qui se fait sur le plan culturel. « Nous prenons en considération ce que les gens font déjà, comment ils réagissent par rapport aux produits culturels, aux images, à l’art, au cinéma, aux romans… à tout ce qui fait partie de la culture populaire. »

Nous nous posons les questions suivantes : « qu’est ce que les gens font aujourd’hui ? Qu’est-ce qu’ils imaginent ? Quelle est la tendance actuelle dans le roman ? Qu’est-ce qui se passe lorsque les gens échangent entre eux, et dans quelle mesure ceci peut-il inspirer notre propre produit et le rendre plus attrayant dans ce vaste monde ? »

Selon Gentès, l’objectif, en définitive, c’est de découvrir des désirs dans la culture en relation avec ce nouveau concept. « Le désir ne se résume pas à répondre à la question : vais-je résoudre plus vite ce problème ? Évidemment, c’est souhaitable. Mais la plupart du temps, c’est quelque chose d’un peu différent… une invention naît d’une histoire », affirme-t-elle. Comprendre cette histoire sous-jacente peut permettre d’identifier des applications, et de combler le fossé entre la technologie et la société.

Enfin, plus prosaïquement, ils étudient ce qui existe déjà dans le monde en rapport avec l’invention, et ils essayent ensuite de développer des scénarios pour ces applications.

Pourtant, même le fait d’exécuter parfaitement cette phase n’est pas une garantie suffisante de succès.

« Il y a des intérêts commerciaux et des gens influents qui promeuvent une technologie et non une autre » affirme Isabelle Demeure, professeur de télécommunications à ParisTech. « C’est probablement plus facile si vous êtes Microsoft ou aujourd’hui Google pour adopter une technologie et la promouvoir que si vous êtes une géniale start-up – vous n’avez pas assez de pouvoir dans ce dernier cas. »

Par exemple, les comités de normalisation ont tendance à être dominés par de grands acteurs, qui peuvent façonner les normes selon leurs propres intérêts, analyse Isabelle Demeure :

« Il y a des gens qui luttent contre des idées qu’ils ne jugent pas bonnes, mais très probablement, ils sont fortement influencés par leur entreprise. En fin de compte, ce qui sera retenu comme normes dépend essentiellement des acteurs, de l’effort que vous y consacrez, des crédits dont vous disposez pour faire participer les personnes aux réunions, du lobbying qui pourrait être exercé. »

Dans le secteur industriel, d’autres facteurs peuvent également intervenir. Souvent ce que les économistes appellent un marché dual est nécessaire pour qu’une innovation puisse décoller. Les préférences des consommateurs ont leur importance, mais pour l’iPod, par exemple, Apple à réussi à convaincre des labels discographiques de s’associer à l’iTunes store, ce qui a permis de faire de l’iPod une « application révolutionnaire ».

Le dernier acte appartient, naturellement, au marketing face à des consommateurs versatiles – une activité complexe qui devient de plus en plus compliquée même si la compréhension du processus par les spécialistes s’approfondit.

Il y a un corpus théorique établi de longue date sur la manière dont les innovations sont généralement diffusées sur le marché. Il y a plus de cinquante ans, Everett Rogers étudia la manière dont les nouvelles idées étaient adoptées par des réseaux de personnes ; il découvrit que la diffusion d’une innovation passait par des phases bien identifiées, qu’il s’agisse des médecins de l’Iowa ou des paysans de l’Amérique du Sud.

Plus récemment, les modèles théoriques sont devenus plus complexes. Dans son nouveau livre, The Tipping Point, Malcom Gladwell a vulgarisé l’idée selon laquelle le comportement d’un petit groupe clé de personnes influentes peut amener d’importants changements de comportement des gens, presque du jour au lendemain.

Jacomo Corbo, un chercheur spécialisé dans la gestion des opérations et de l’information à Wharton, affirme que le budget du marketing viral dépasse actuellement 1,6 milliard de dollars et augmente de 30% par an. Souvent, les lancements de produits sont conçus de manière à contenir un élément viral. À titre illustratif, Google a utilisé cette idée dans son déploiement de gmail.com, en rendant la première utilisation de Gmail possible uniquement « sur invitation », selon Corbo.

Le prix est un autre élément incitatif déterminant dans l’adoption d’une nouvelle technologie. Souvent, les consommateurs précoces paient plus. Au-delà de la maximisation du prix, un prix élevé est appliqué pour accroître la valeur perçue du produit, ce qui encourage en particulier les utilisateurs influents et rehausse souvent son prestige.

Cependant, pour d’autres technologies, un bas prix – ou même la gratuité- est souvent appliqué pour essayer d’encourager la diffusion. Les marchés duals, comme les systèmes de jeu vidéo, peuvent être plus enclins à adopter ce type de tarification modérée, parce que les gains de la firme sont encore plus substantiels si elle peut devenir une norme de l’industrie. Une plateforme de jeu par exemple aura nettement plus de valeur pour les développeurs si elle bénéficie d’une large base d’utilisateurs que si elle est seulement adoptée par quelques personnes, ce qui implique que le fabricant de consoles de jeu a intérêt à distribuer la console auprès d’un public aussi large que possible.

Apple applique souvent ce type de tarification dans un but purement stratégique. Aux États-Unis, le prix du nouvel iPad est ainsi fixé à 499 dollars, ce qui le place à la hauteur du Kindle d’Amazon – exactement le genre de concurrence auquel il faudrait s’attendre dans une bataille pour devenir la plateforme dominante de e-reading.

Cependant, en Chine, la société de Cupertino est en train d’essayer une approche différente. L’iPhone coûte très cher là-bas, note Corbo, ce qui permet de réduire les problèmes de chaîne d’approvisionnement, et en même temps de rehausser son prestige auprès des personnes influentes.

Un facteur qui compliquera certainement encore plus ces stratégies dans les années à venir est que ce n’est pas seulement la diffusion qui est virale de nos jours : les inventions le sont aussi. Comme de plus en plus de sociétés sont en mesure d’observer leurs clients en temps réel, les offres peuvent être ajustées presque en temps réel. Par exemple, Google publie toujours ses systèmes en version bêta, dit Corbo, et ensuite fait des modifications dès qu’elle reçoit un feedback de ses utilisateurs.

Pour finir, la raison pour laquelle une invention devient un succès reste toujours un mystère. « Bien entendu, il y a des recettes, affirme Demeure : impliquer les concepteurs, des personnes appartenant à des domaines différents et aussi des groupes d’utilisateurs au moment de démarrer et de concevoir les services et les technologies qui les sous-tendent. Mais il y a toujours des surprises. »

Demeure se souvient d’un jour il y a environ dix ans, lorsqu’elle entendit des informaticiens de son département, de retour d’une démonstration à laquelle ils avaient assisté chez l’un des principaux opérateurs européens de téléphonie. « Ils sont revenus et ils se moquaient d’une des présentations qui avaient été faites. ‘Vous savez ce qu’ils ont inventé ? Utiliser un téléphone pour envoyer un message texte !’ Ils trouvaient cela complètement idiot. Je me rappelle que durant le déjeuner, ils en riaient. »

Billet initialement publié sur ParisTech Review

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