OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Mais que font les indépendants ? http://owni.fr/2011/01/21/mais-que-font-les-independants/ http://owni.fr/2011/01/21/mais-que-font-les-independants/#comments Fri, 21 Jan 2011 17:37:01 +0000 Rémi Bouton http://owni.fr/?p=29744 Rémi Bouton est journaliste et a travaillé sur Ouï FM, puis dans la presse pour Billboard et Musique Info mais aussi chez Naïve. Le secteur de la musique n’a donc aucun secret pour lui.

Le marché de la musique enregistrée a changé. Il ne s’agit plus de vendre des titres, un par un, au plus grand nombre possible mais de gagner l’attention des auditeurs qui, par leur écoute, rémunéreront les ayants droits. De quoi bouleverser les équilibres entre majors et indépendants.

Dans un marché de la musique par abonnement, Deezer, Spotify, mais aussi où la radio, les synchros et les lieux sonorisés (cf les coiffeurs) contribuent de plus en plus aux revenus des ayants droits, la musique est en quelque sorte prépayée… à charge de rétribuer chacun selon les titres diffusés ou
écoutés par le public.

En d’autres termes, on ne demande plus au citoyen de payer pour quelque chose qu’il a envie d’écouter, mais de rétribuer via des circuits complexes, la musique qu’il a écouté à tel ou tel moment de la journée sur son smartphone, à la radio ou chez le coiffeur… dans le cloud.

Ce qui change pour le public, pas grand-chose par rapport au modèle actuel si ce n’est qu’il lui faudra peut-être payer un peu plus (abonnements, copie privée, redevances voire licence globale) pour financer la création de cette musique.

Ce qui change pour les maisons de disques : tout.

Jusqu’à ce jour, le but du jeu était de vendre des disques, des titres, qu’ils soient écoutés ou non, en activant les mass média de TF1 à NRJ, via d’importantes opérations de promotion marketing et pub TV. Aujourd’hui, on ne vend plus la musique. L’enjeu est d’attirer l’attention du public sur des titres, des artistes pour qu’il écoute, qu’il aime et qu’il y revienne. Et plus il écoutera, plus l’argent arrivera alors via les circuits dont je parlais ci-dessus.

D’une économie de la vente, on passe à celle de l’attention à son public. Les maisons de disques, qui ont toujours superbement ignoré leur public en passant par l’intermédiaire des médias pour la promotion ou des disquaires pour la vente, se trouvent désormais dans l’obligation de chercher à mieux le connaître : l’identifier, le séduire, l’avertir sur toutes les nouveautés qu’il pourrait aimer.

Ceci n’est pas tout à fait nouveau. Depuis quelques années déjà les managers s’intéressent aux fans de leurs artistes et aux modèles qui vont avec. De même, avec des outils comme Open Disc les producteurs ont cherché à construire des communautés autour de leurs stars. Mais on restait dans l’artisanat. Ce qui est nouveau, c’est que le modèle est en train de basculer complètement, que les maisons de disques commencent à adapter le procédé de façon industrielle, pour l’ensemble de leurs artistes, de leurs catalogues.

C’est sans doute là la raison de la création d’Off TV. Le média, intermédiaire hier entre le créateur de contenu et le public, devient la propriété de la major (Universal) afin que celle-ci contrôle mieux les contenus qui y circulent, mais aussi, gagne une meilleure connaissance des publics qui les consomment. Ainsi, tout média qui intègre des contenus d’Off TV permet de remonter les informations à la major. Dans un monde « idéal », cet outil permet de monitorer tous les flux, c’est-à- dire de pouvoir analyser la manière dont le succès viral se développe sur le net, la présence de telles ou telles communautés sur tels ou tels blogs, leur impact sur la croissance des écoutes sur les offres de streaming, des ventes de billets de concert, etc.

Évidemment, les maisons de disques ont toujours analysé les médias et les ventes pour chercher à optimiser leurs opérations promotionnelles. Savoir que la diffusion d’un titre sur une radio régionale, qu’une date de concert permet d’optimiser la mise en place du disque dans les Fnac et les hypers du secteur, est un secret de Polichinelle qu’on s’échangeait au siècle dernier. Analyser les ventes magasin par magasin pour chercher à dresser le profil des acheteurs également.

Avec Off TV, Universal va beaucoup plus loin. Cet outil ultra efficace diffuse des contenus exclusifs et gratuits. Ceux-ci peuvent circuler librement sur la Toile mais à une condition essentielle de traçabilité. Ainsi, l’outil permet à Universal de développer la visibilité de ses artistes sur l’ensemble des sites qui adoptent le système et en même temps, l’outil permet de remonter des informations sur la fréquentation de chacun de ces sites et donc d’avoir une meilleure connaissance de tous cesmédias avec lesquels elle pourrait optimiser ses opérations marketing et promotion.

De plus, en apportant des contenus gratuits, Universal augmente ses chances de les voir diffuser et améliore son image de « major assise sur des contenus qu’elle nous interdit d’échanger ».

Alors certes, Universal ne donne pas le bon exemple en offrant du gratuit quand son président demande dans le même temps que se développent des modèles payants. « Produire quelques minutes d’interview ou d’images vidéos sur le vif coûte beaucoup moins cher que de produire un album en studio et de développer une carrière » souligne Pascal Nègre. « On peut donner ces contenus d’OFF TV, s’ils nous permettent de mieux vendre notre musique » dit en substance le PdG d’Universal.

Malin. Voilà une bonne façon de préparer l’avenir et de gagner le soutien des internautes qui seront ravis de pouvoir publier sur leurs blogs des images de leurs artistes préférés et voient dans Off TV un média vraiment cool. Une façon aussi de prendre de l’avance sur la concurrence en ayant une meilleure connaissance du secteur. C’est bien joué de la part d’Universal qui, en tant que leader du marché, a toujours su jouer de sa position pour prendre des positions, en avance sur la concurrence, et conserver ainsi sa part de marché.

A l’époque où NRJ faisait encore la pluie et le beau temps sur le top 50, Universal était déjà leader et avait déjà de meilleurs accès aux médias phares et de meilleurs conditions pour acheter de l’espace publicitaire. Les producteurs indépendants ont dénoncé ces distorsions de concurrence, mais sans jamais savoir vraiment s’organiser pour reprendre le dessus. Avec Off TV et alors que la pub TV et les FM perdent tout impact sur le succès des artistes, Universal reprend une longueur d’avance que la concurrence risque d’avoir bien du mal à rattraper.

Et notamment les indépendants, qui sont pourtant les garants de la diversité culturelle. En ayant rejeté les propositions de gestion collective de leurs droits en ligne, ils ont pris une sérieuse hypothèque sur leur avenir. En étant incapables de s’entendre sur le développement de projets communs (comme l’ont fait par exemple les tous petits labels alternatifs de cd1d), les producteurs indépendants ne construisent pas leur modèle économique du futur. Pourquoi ne cherchent-ils pas, eux aussi à créer des plateformes communes pour développer leurs artistes ?

Demander des aides de l’État est compréhensible. En période de crise, il est normal que la puissance publique apporte de l’aide aux secteurs en difficultés. Mais encore faut-il bâtir le futur de la filière. L’État ne pourra pas aider indéfiniment.

La bonne nouvelle, c’est la création annoncée d’une Centre national de la Musique – que l’auteur de ces lignes appelle de ses vœux depuis des années. On en reparlera probablement au Midem.

Crédits photos : Johnnyalive; zilverpics; pkirn

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