OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Les Data en forme http://owni.fr/2012/07/18/les-data-en-forme-9/ http://owni.fr/2012/07/18/les-data-en-forme-9/#comments Wed, 18 Jul 2012 15:28:03 +0000 Paule d'Atha http://owni.fr/?p=116501 Owni prend de la légèreté en cette période d'été : on chante, on joue au Lego, on se balade dans les idées du monde... Et bien sûr, on se prépare aux Jeux Olympiques. ]]> Une fois n’est pas coutume, nous allons cette semaine partir du plus LOL pour arriver au plus sérieux. Parce que c’est juillet, les vacances et que le soleil est plus garanti sur nos écrans que dans le ciel parisien.

Je chante, tu chantes, il dataviz

Lancé par Florent Maurin (par ailleurs chroniqueur sur la chouette émission estivale de France Inter dédiée sur les questions numériques : Antibuzz), ce tumblr sobrement intitulé « Dalalalataviz » résume les chansons des plus grands artistes (Abba, Jackson 5… Bratisla Boys) en une dataviz. Le résultat est très drôle et les auteurs débordent d’imagination.
Si l’idée vous inspire, lancez-vous. Chacun est libre de soumettre ses traductions visuelles : Florent Maurin précise qu’il s’agit d’un projet « open-soupe ».

Mémo Lego

Les briques de couleurs et tailles diverses produites par la société Lego s’adaptent parfaitement à la data visualization et à l’infographie, comme l’avait montré l’événement Expoviz et ses ateliers. La société Lego s’en est également servi pour expliquer simplement le principe d’une infographie : passer d’un ensemble fouilli de data à des données représentées visuellement en les ayant au préalable triés et arrangées.

A quel gros ressemblez-vous ?

Où vous situez-vous sur l’échelle d’obésité mondiale ? C’est à cette étonnante question que la nouvelle application de la BBC vous propose une réponse. Après nous avoir permis de savoir combien de personnes vivaient sur la planète le jour de notre naissance ou encore d’évaluer l’étendue des pertes durant la seconde guerre mondiale en se basant sur nos amis facebook, la BBC poursuit dans sa série d’applications alliant graphiques, données mondiales et forte personnalisation.
Ici, le « calculateur » vous demande de saisir votre âge, votre sexe, votre poids et votre pays pour vous comparer ensuite à l’échelle mondiale. Le résultat est souvent étonnant : le poids moyen est ainsi plus élevé en Jamaïque qu’aux Etats-Unis.

L’anamorphose des athlètes

Impossible d’échapper à l’actualité sportive, même dans la planète Data. A partir du 27 juillet, Londres accueille les Jeux Olympiques. Le Datastore du Guardian en a pris son parti en créant une rubrique spécifique consacrée aux données olympiques de 2012 : graphiques de comparaisons entre les JO accueillis par Londres (en 1908, 1948 et 2012), liste complète des athlètes britanniques concourant à la compétition, etc.
Cette rubrique recense également les visualisations pertinentes réalisées sur ce sujet, comme cette carte en anamorphose, réalisée pour l’association Join In par Kiln, spécialiste de cette technique, créateurs notamment de The Carbon Map.
Cette carte des JO permet de visualiser l’origine des athlètes selon leur sport. Là où certains faits semblent évidents (les athlètes concourant pour la navigation à voile viennent plus souvent des régions côtières), d’autres moins connus sont mis en lumière : la prépondérance du sud comme origine des tennisman, le curieux équilibre nord/sud pour le basketball, écrasant toutes les régions.

Toutes les idées du monde

Il y a environ un mois, Simon Rapper, statisticien britannique, s’était essayé à la visualisation de l’histoire de la philosophie et des influences entre auteurs. Il a inspiré Brendan Griffen qui a reproduit son idée (scraper Wikipédia et sélectionner ceux dont il est mentionné « influencé par » ou « ayant influencé ») à l’échelle de Wikipédia tout entier : sa méthodologie est expliquée ici.
Le résultat est impressionnant. Tant par sa taille (attention au temps de chargement) que par son contenu.
Sur ce graph, réalisé avec le logiciel de graphiques Gephi, la taille des nœuds est proportionnelle au nombre de connections entre deux élements. Plus le nœud est important, plus grande est l’influence de cette personne. Nietzsche, Kant, Hegel, Hemingway, Shakespeare, Platon, Aristote et Kafka trustent sans surprise l’ensemble des liens. Cependant, d’autres connections méritent également le coup d’oeil : la forte influence des artistes comme Andy Warhol ou Marcel Duchamp par exemple.

Comment choisir son graphique

Minute pédagogie. C’est une évidence : le choix du graphique ou du type de visualisation est essentiel dans le fait de rendre lisible une infographie ou une data visualisation. Pour simplifier cette étape, des outils ont commencé à faire leur apparition, comme le tableau des méthodes de visualisation, utilisant le concept du tableau de classification périodique des éléments chimiques.
Andrew Abela, professeur de marketing et consultant en design, a réalisé quant à lui un graphique de choix de graphique, sous la forme d’un test. La question principale se situe au milieu : « Que voulez-vous montrer ? ». Puis, suivant la réponse (une comparaison, une composition, une distribution, une relation) et les caractéristiques des données (statiques, évolutives, accumulatives,..) que le lecteur souhaite, le graphique qui semble le plus approprié est affiché au bout de la ligne.
L’équipe de Juice Labs en a d’ailleurs réalisé une version interactive, mais presque moins lisible car elle ne centralise pas tous les éléments sur une seule page.

Une vision d’intensité

Une belle visualisation pour terminer cette chronique : celle de John Nelson sur les séismes dans le monde depuis 1898, représentés selon leur magnitude. John Nelson a utilisé les données de l’NCEDC (Nothern California Earthquake Data Center), USGS (US Geological Survey) et de l’Université de Berkeley, qu’il a replacé sur un des fonds de visualisations fournies par la Nasa. Outre l’esthétique permise par le fond de carte, les informations sur les zones les plus dangereuses ressortent clairement. John Nelson avait également représenté avec succès les incendies majeurs ayant frappé les Etats-Unis.

Bonne data-semaine à tous !


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Les data en forme http://owni.fr/2012/06/04/les-data-en-forme-7/ http://owni.fr/2012/06/04/les-data-en-forme-7/#comments Mon, 04 Jun 2012 16:31:18 +0000 Paule d'Atha http://owni.fr/?p=112509 Owni commence par du sérieux, mais ne vous inquiétez pas, on parle aussi de vin, de fromage, et de data-bijoux.]]> Bientôt un mois que François Hollande a été élu à la Présidence de la République : l’occasion ou jamais de se plonger dans cette vidéo de trois minutes réalisée par l’institut d’études et de sondages Opinion Way, qui retrace cette campagne présidentielle sous l’angle de la préoccupation des Français, le tout au moyen d’une mise en scène dynamique et soignée. Les candidats ont même pris un coup de jeune.

Une crise violette

On y apprend notamment que 46 % des Français ont voté en ayant en tête “la dette et les déficits”. Pour approfondir cette thématique chère aux Français, l’application “Eurozone crisis : more than debt” vaut le détour. Graphiquement, pas tellement, mais les fonctionnalités et données proposées sont intéressantes. L’application permet de visualiser, pour 12 pays européens, l’évolution de 7 indicateurs révélateurs de l’intensité de la crise (croissance du PIB, taux d’intérêt, taux de chômage, taux d’investissement…) de 2006 à 2012 au moyen d’une frise chronologique.

La sélection des pays s’effectue par une check box sur la gauche. Restent affichées, quelques soient les pays sélectionnés, une zone violette formée par les valeurs maximales et minimales obtenues par chaque indicateur et une ligne bleue indiquant la médiane.
Les évolutions entre 2006 et 2011 sont particulièrement visibles grâce à la présence de ces deux variables : la zone se déplace vers le bas au fur et à mesure des années (notamment pour l’indicateur dette) et elle est également plus étendue, montrant que les inégalités au sein de la zone euro se sont aggravées.

L’optimisme européen

Le Guardian et sa section Europa – qui regroupe des articles et des projets menés en collaboration avec six grands médias européens : The Guardian, el Pais, Le Monde, la Stampa, Gazeta et Süddeutsche Zeitung – s’est saisi de la récurrente question de l’emploi et du chômage à travers un angle résolument subjectif en réalisant un sondage à grande échelle sur la confiance en sa situation professionnelle.

Première étape : entrer sa ville, son pays, et ce que nous inspire nos perspectives professionnelles dans les deux ans à venir (très optimiste, relativement optimiste, neutre, relativement pessimiste, très pessimiste). Deuxième étape : la consultation de la carte d’Europe où à chaque réponse a été associée un point, coloré selon le choix effectué. Bien que le nombre de participations soit très supérieur au Royaume-Uni, il se dessine néanmoins des tendances, avec plus d’optimisme dans le nord de l’Europe que dans le sud (Espagne, Italie, Grèce).

Géolocalise ton plan social

La thématique de l’emploi questionne également les médias français. Le Parisien a lancé la semaine dernière une carte interactive des plans sociaux en métropole. Actuellement 63 opérations sont répertoriées, pour un total de près de 45 000 emplois menacés. La carte présente des informations précises, avec un pictogramme par secteur et une fiche regroupant nom de l’entreprise, lieu, secteur d’activité, nombre d’emplois menacés, contexte, source. Le tout donnant un point de vue global sur des situations (Florange, Aulnay…) souvent évoquées de manière isolée et individuelle.

Le tweet en mouvement

Après toutes ces applications sérieuses, il est temps de se faire un peu plaisir à la pupille. Pour cela, jetez un coup d’oeil à la visualisation des flux humains réalisée par Jeff Clark.

Inspirée de la cartographie du vent dont nous vous avions déjà parlé dans les Data en forme réalisée par les concepteurs de ManyEyes Fernanda Viégas et Martin Wattenberg, désormais à la tête du groupe de recherche sur la visualisation de Google (excusez du peu), “Movement in Manhattan” utilise les tweets géolocalisés comme matière première pour interroger le lien entre mouvements des personnes et paysage urbain.

Ce mouvement est révélé dans la transition du bleu au rouge : les traces débutent au point bleu pour graduer vers le violet puis le rouge. L’intérêt de cette visualisation réside tant dans son rendu graphique que dans l’analyse de Jeff Clark de sa propre démarche. Il détaille sa méthodologie, ses sources, ses points de satisfaction et de déception. Il alerte par exemple sur certaines zones où les données, trop peu nombreuses, risquent de dessiner des schémas étonnants qui n’auraient en fait pour seule justification qu’un manque de consistance.

Son travail est également à découvrir en vidéo :

Cliquer ici pour voir la vidéo.

A lire et à manger

Après nous avoir nourri les yeux, quelques liens pour nous nourrir l’esprit : l’incontournable “Pour en finir avec le mythe de la donnée brute” par Simon Chignard qui replace les données, leur construction et leur éventuelle manipulation dans leur contexte.

Puis, n’oubliez pas de jeter un oeil aux lauréats des premiers Data Journalism Awards remis la semaine dernière par Google, le Centre européen du Journalisme et le GEN.

Et pour vous nourrir, au sens propre, la data peut vous aider aussi. Le très joli site “Fat or Fiction” vous renseigne sur le nombre de calories d’une petite base d’aliments et surtout vous les classe par catégorie. Vous saurez ainsi s’il vaut mieux choisir des Twix ou des KitKat, du vin rouge ou une Guinness.

Le sujet “Data / nourriture” a même son podcast : il s’agit du sixième épisode des émissions dédiées à la data intitulées “Data stories” et réalisées par Enrico Bertini et Moritz Stefaner, deux grands spécialistes de la datavisualisation.

Un bijou de data

Nous avons le plaisir de vous annoncer que nous avons, au travers de notre veille, découvert deux nouveaux usages à la data.

Premièrement, vous pouvez vous en servir pour tester votre famille, vos amis, vos collègues de travail et vérifier qui vous a le mieux souhaité votre anniversaire. Akshan Ish, graphique designer indien a ainsi recensé sur une data vizualisation qui lui avait souhaité son 22ème anniversaire, à quel moment de la journée, et selon quel moyen. A lui ensuite d’analyser ses données, et d’en tirer toutes les conséquences…

Ensuite, vous pouvez également transformer vos data en bijoux. Ou tout du moins vous pouvez vous baser sur vos données pour créer des bijoux. C’est ce que propose la société Meshu : sur une carte, placez les points que vous souhaitez (différentes étapes d’un voyage important, vos derniers lieux d’habitation, etc.). La société génère un “meshu”, une sorte de polygone réalisé en reliant les coordonnées des différents points et que vous pouvez porter en collier, bracelet ou boucles d’oreilles. Vous pouvez même utiliser vos données Foursquare et choisir vos localisations préférées : data-style à tous les étages…

Vous souhaitant une bonne data semaine /-)


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Fab Lab, la pharmacopée anti-crise http://owni.fr/2012/02/23/fab-lab-la-pharmacopee-anti-crise/ http://owni.fr/2012/02/23/fab-lab-la-pharmacopee-anti-crise/#comments Thu, 23 Feb 2012 07:32:18 +0000 Sabine Blanc et Ophelia Noor http://owni.fr/?p=98282

Imprimante 3D MakerBot au FacLab de Gennevilliers -- OpheliaNoor/Owni

“C’est un beau roman, c’est une belle histoire… “ Les fab labs (fabrication laboratory),  ces mini-usines collaboratives de prototypage rapide à commande numérique, fournissent souvent un storytelling à clouer le bec aux Cassandre des temps modernes, à base de réappropriation de la technique et de partage des connaissances.
Le cas du fab lab de l’université de Cergy-Pontoise, inauguré ce jeudi, en donne une nouvelle illustration. Fac Lab est le premier ouvert en France dans une université, son berceau d’origine puisque le concept a été élaborée au MIT par le professeur Neil Gershenfeld au début des années 2000. Cet atelier sera ouvert au public dès vendredi, conformément à la charte, dans des locaux à Gennevilliers (92). Il constitue la première brique d’un campus centré sur l’innovation numérique et les nouveaux médias.

Le site de l'université de Cergy à Gennevilliers accueille le FacLab -- OpheliaNoor/Owni

Les Fab Labs, ou le néo-artisanat

Les Fab Labs, ou le néo-artisanat

Fabriquer soi-même ce dont on a besoin, réparer, au lieu de consommer des objets que l'on jette au moindre ...

L’idée a germé voilà un an et demi dans la tête d’un duo atypique dans le milieu universitaire, Emmanuelle Roux et Laurent Ricard. Tous deux ne sont pas des chercheurs mais sont issus du monde de l’entreprise : elle, voix forte et convaincue, la trentaine, gérant une petite web agency en Vendée ; lui, la voix douce et convaincue, la cinquantaine, ancien de la R & D de Kodak, où son équipe travailla à la fin des années 90  sur un appareil photo intégré à un téléphone, en vain ; il a monté sa boîte de conseil en numérique après avoir quitté Thomson. Et ils donnent des cours à Cergy dans le cadre d’une licence développement web et web mobile. Le duo présentant l’efficacité certaine en mode “j’fais c’que j’dis, j’dis c’que j’fais”. La comparaison s’arrête là.

Genèse accélérée

On les avait croisé une première fois en mai dernier au THSF, le festival du hackerspace toulousain le Tetalab, entre deux imprimantes 3D. Le projet était déjà en route. Huit mois plus tard, c’est le temps des petits fours. Si Fac Lab est allé aussi vite, c’est que le concept de fab lab tombe à point nommé en cette période de crise économique. Emmanuelle Roux se souvient de la genèse :

J’avais d’abord un projet de fab lab en Vendée. En en discutant sur un salon de l’innovation avec un élu local, il m’a répondu : “il faut le faire maintenant car quand on voudra sortir de la crise, on aura besoin de lieux comme ça”.

Finalement, avant la Vendée, ce sera l’université de Cergy. Le concept fait tilt auprès de leurs différents interlocuteurs. Côté université déjà, que ce soit le directeur de l’UFR des Sciences et Techniques Jean-Luc Bourdon, pour qui le fab lab est une solution à une problématique quotidienne :

Laurent Ricard et Emmanuelle Roux au FacLab de Cergy, février 2012 -- OpheliaNoor/Owni

“Il y a plein d’enseignants de tous poils qui sont dans des silos, des gens qui font de l’innovation, des gens de passage, des étudiants, il faut un lieu intermédiaire qui fait la glu”, analyse Laurent. “Innovation, développement de nouvelles approches pédagogiques, transfert de technologie avec les industriels, vulgarisation scientifique à destination des élèves depuis la primaire jusqu’au lycée”, égrène Jean-Luc Bourdon, autant de publics et d’arguments qui l’ont poussé à soutenir le projet. 

“J’ai été séduit tout de suite, c’est assez génial, s’enthousiasme François Germinet, le vice-président stratégie de l’université. On peut fabriquer des objets avec des techniques qui ne sont pas compliqués, comme l’imprimante 3D, avec de nombreuses applications dans les domaines où nous travaillons : la santé, les polymères, le patrimoine… ” C’est ainsi que deux chercheuses du Centre de Recherche et de Restauration des Musées de France travaillant sur des projets liés à l’obsolescence technologique et ses conséquences sur la conservation ont l’intention d’expérimenter la construction d’un prototype de numériseur de films de type multispectral et une machine de lecture universelle de vidéo, en partenariat avec l’Université de Gorizia en Italie.

Côté cursus, la licence pro web comportera un parcours objet connecté, puis petit à petit, des modules seront essaimés dans les filières existantes. À terme, à la rentrée 2013, un master 1 et 2 “fabrication numérique” verront le jour.

Jeunes créateurs d’entreprise

Côté entreprises, on ouvre aussi une oreille attentive. Car le fab lab a cet avantage de ne pas être incompatible avec des activités commerciale, même si la charte précise qu’“elles ne doivent pas faire obstacle à l’accès ouvert. Elles doivent se développer au-delà du lab plutôt qu’en son sein et bénéficier à leur tour aux inventeurs, aux labs et aux réseaux qui ont contribué à leur succès.” Jean-François Benon, le directeur général du CEEVO, le Comité d’expansion économique du Val d’Oise, a vite vu l’intérêt pour les jeunes créateurs d’entreprise de pouvoir faire du prototypage rapide.

La salle de soudure du FacLab de Gennevilliers -- Ophelia Noor/Owni

Partenaire de la fondation de l’université, Orange est aussi dans le tour de table. Loin des envies de mettre à bas l’industrie d’un Adrian Bowyer, le créateur de la RepRap, une imprimante 3D autoréplicante open source, Orange y voit un intérêt en terme de R & D :

L’expérimentation que nous avons menée à Grenoble nous incite à penser qu’avoir accès à un fab lab externe pérenne pourrait être utile à plusieurs de nos équipes de R&D.

Séduit sur tous les bords

Au final, droite, gauche, université, entreprise, le concept séduit, par-delà les étiquettes politiques. Emmanuelle :

Il faut une vraie alternative, il ne s’agit pas de dire ‘on fout tout le système économique à terre’. Il n’y a que les gens de droite qui ont le droit de parler d’économie, création de valeurs et il n’y a que les gens de gauche qui soient sociaux.”

Le fab lab se présente comme une solution séduisante pour ébaucher le futur d’une société post-technicienne débarrassée de ses excès, qui permet de créer de la richesse et pas uniquement au sens monétaire du terme.

“C’est une position personnelle, je pense qu’il faut il sortir de l’aire de la consommation, je suis adhérente de SEL aussi. La ressource existe déjà près de soi, ton voisin l’a peut-être. Cela permet aux gens de produire eux-mêmes, par contrainte ou par idéologie.

Mais ce n’est pas que des machines-outils, c’est le lieu, la rencontre, on n’a pas un seul lieu collaboratif en Vendée de rencontre, d’échange, à part le café du PMU. Les petits entrepreneurs comme moi n’ont pas d’accès à l’innovation, c’est très compliqué, il y a beau avoir OSEO, il faut pouvoir porter 40 -50% du capital dont tu as besoin, faire des dossiers.”

Et parmi les raisons pour lesquelles Jean-Luc Bourdon a soutenu le projet, il y a “le côté ‘tout-public’ et le côté ’social’ : donner la possibilité à des ados et des adultes sortis du système scolaire de pouvoir se rapproprier des savoirs et des savoirs-faire et aussi de partager leurs expériences.”

20 commandements pour une société autofabriquée

20 commandements pour une société autofabriquée

Pour accompagner la révolution des FabLabs, permettant à chacun de produire des objets grâce à des imprimantes 3D et ...

Un aspect qui a séduit aussi Jean-François Benon. Le Val d’Oise est en effet un département très jeune, avec quelques quartiers difficiles et leur lot de jeunes déscolarisés. Déscolarisés, bloqués par les circuits traditionnels coûteux et élitistes mais pas dénués de talent : “Ils ont une grande créativité, dans le domaine de la musique, du numérique, de la mode, du design, explique-t-il, leur permettre d’avoir accès à des outils et à de l’aide, tous les jours, c’est un moyen de faire ressortir leur créativité, de reprendre confiance, de rebondir, avec des projets personnels et pourquoi pas professionnels.” On comprend que Val de France, la communauté de communes qui comprend entre autres Sarcelle et Villiers-le-Bel, ait ouvert un œil très attentif. “On est persuadé que dans les années qui viennent, il y en aura beaucoup plus”, conclut Jean-François Benon. D’ores et déjà, la faculté s’est engagée à en ouvrir un en 2013 dans le Val d’Oise.

Outils et machines -- OpheliaNoor/Owni

Par-delà le territoire, un des objectifs à terme est de développer un réseau francophone de fac labs, en partenariat avec l’Agence Universitaire de la francophonie (AUF), à partir de mars. Et donc une opportunité de plus pour la faculté de “rayonner à l’international”, poursuit Jean-Luc Bourdon.

Le loup dans la bergerie

Dans le petit milieu des lieux de fabrication numérique collaboratifs et ouverts, fab lab, makerspace, hackerspace, le débat est vif et sans fin sur le financement. Faut-il des subventions ? Du public ? Du privé ? Laurent se souvient d’un débat sur le sujet à Toulouse lors d’une conférence sur les fab labs :

Les subventions s’assèchent, quels sont les différents modèles économiques qu’on peut mettre en place ? Il y avait une gêne, certains étaient recroquevillés face à la réalité : il faut aller trouver de l’argent.

Certains, comme à Cergy, obtiennent des fonds d’entreprises étiquetées “gros capitalistes”. En la matière, Orange a un petit passif peu glorieux : notre telco national a déjà lancé l’année dernière Thinging, un fab lab expérimental, enfin du moins un projet étiqueté fab lab ne respectant pas l’esprit initial puisqu’il ciblait un public restreint, “des étudiants du monde entier affinant leur cursus en informatique, électronique, design d’interaction et ergonomie pour monter des projets autour de l’Internet des objets”. Bref pas des “gamins paumés scolairement”.

Dans le fond, la machine à découpe laser - OpheliaNoor/Owni

Ce qu’ils reconnaissent : “Effectivement, il ne répond pas exactement à la charte des Fablabs du MIT, mais s’en inspire. Il existe de par le monde plusieurs initiatives dans la tendance des Fablabs. Orange essaie à travers Thinging! de s’en inspirer et pose, avec modestie et passion (sic), la question de l’usage de ces méthodologies dans l’univers de la recherche industrielle.” S’associer à un fab lab permet de soigner son image d’entreprise cool et à la pointe :

Nous choisissons aujourd’hui de soutenir cette initiative permettant aux étudiants une approche de l’innovation dans un environnement pluridisciplinaire, en raisonnance (sic bis) avec l’approche d’ « open innovation » d’Orange.

Emmanuelle défend ce choix d’un partenaire sujet à caution éthique :

“Je suis de culture pragmatique. Quand on décide de monter un projet avec l’université à la vitesse à laquelle on l’a monté, il faut des fonds. Si Orange veut apporter des fonds à la condition d’avoir leur logo sur les plaquettes de communication et encore sur le carton d’invitation, ils nous ont demandé de ne pas le mettre, je ne vois pas le problème. Si on peut amener l’esprit collaboratif, l’innovation ouverte dans Orange et aider la société à évoluer car on va apporter une nouvelle façon de travailler, impacter l’entreprise et la société de manière plus générale, je dis oui. Un accord stipule que personne n’a le droit de regard sur le contenu pédagogique.”

Le CAC40 entre dans les “fab labs”

Le CAC40 entre dans les “fab labs”

Des grands groupes industriels s'intéressent aux "fab labs", ces mini-usines collaboratives, citoyennes, ouvertes à tous et ...

Même point de vue d’Inouk Bourgon, du makerspace le NYBICC, un fab lab qui pour l’instant fonctionne sans subventions : “à titre personnel, ça ne me pose pas problème à partir du moment où ils ont des garanties. Les financeurs sont assez délicats pour ne pas avancer avec des gros sabots.”

Julien Bellanger, de PiNG, une association nantaise portant un fablab, avec des subventions publiques, est aussi dans l’expectative neutre, sans pousser de hauts cris au nom d’Orange : “Orange, c’est du mécénat à l’américaine, nous sommes plutôt sur du crowdfunding (financement par des particuliers). Ils vont être observés, l’enjeu porte sur trois points, l’ouverture au public, l’utilisation de logiciels libres et l’insertion du DIY (Do It Yourself, fais-le toi-même)  dans le cadre de diplômes. Est-ce qu’on bouge la faculté de l’intérieur ou de l’extérieur, par les étudiants ?”

Salle des imprimantes 3D - OpheliaNoor/Owni

En revanche, Alexandre Korber d’Usinette, qui se définit comme un mélange de hackerspace et de fab lab, sans subventions,  se montre plus sceptique :

Orange gagne toujours au final, ils font de l’entrisme.

Récupération politique

La question de la récupération politique se pose aussi bien sûr. Quoi de plus sexy qu’un fab lab à l’heure où les politiques n’ont que le mot “relocalisation” et “fabriquons français” sur les lèvres ? En ces temps où l’on revalorise le “lien social”, pour reprendre le cliché consacré ? Où les Trente Glorieuses et sa consommation effrénée semble un spectre absurde, une parenthèse dans l’histoire de notre développement économique ?

L’appropriation par le politique ne pose pas de problème en soi. Laurent :

Ma première réaction : c’est génial, plus il y en a qui le font, mieux ce sera, le concept n’est pas protégé. Mais est-ce que ce sera bien fait ? Si c’est juste pour coller une étiquette qui va dévaloriser le concept, juste pour l’effet d’annonce, c’est la pire des choses qui pourrait nous arriver, ça risque de dégonfler le vrai intérêt des gens.

“Oui j’ai peur qu’on ait des sollicitations à droite à gauche au milieu, chez les Verts, poursuit Emmanuelle. Déjà, on a trois autres sollicitations en cours, on ne répond pas volontairement par manque de temps.” Ils souhaitent pour l’instant garder cette démarche agile, qui leur a permis d’avancer vite et en respectant l’état d’esprit, sans partir dans des usines à gaz trop institutionnelles.

Pour l’heure, ils se contente de mener à bien le projet initial de La Forge des possibles. Chi va piano va sano, après des débuts sur les chapeaux de roue. Peut-être trouveront-ils le temps de réaliser les projets qui trottent dans la tête : du modélisme et une RepRap, pour Laurent, une lumière de studio radio et une boutonnière synchronisée avec statut Facebook pour Emmanuelle.


Photographies par Ophelia Noor pour Owni /-)
Ouverture au public : à partir du vendredi 24 février, tous les jours de la semaine de 13 heures à 18 heures, avec un nocturne le mardi jusqu’à 21 heures dans un premier temps.
Accès : dans les locaux de l’université de Cergy-Pontoise, à Gennevilliers, avenue Marcel Paul, Z.A.C. des Barbanniers. Détails ici.

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Le choc des révélations quand la crise éclate http://owni.fr/2011/04/26/tunnel-mont-blanc-choc-des-revelations-quand-la-crise-eclate/ http://owni.fr/2011/04/26/tunnel-mont-blanc-choc-des-revelations-quand-la-crise-eclate/#comments Tue, 26 Apr 2011 08:36:05 +0000 Olivier Cimelière http://owni.fr/?p=58706 Avez-vous remarqué qu’à chaque crise qui fait irruption dans les gros titres des médias, s’accompagne alors une inexorable litanie de révélations ? Auparavant reléguées dans le confortable placard poussiéreux des dossiers à oublier, les révélations s’emboîtent au fur et à mesure comme un puzzle qui prend enfin toute sa logique et assemble une image jusque-là morcelée.

Il suffit de piocher au hasard de l’actualité récente pour trouver ce type de résurgence chronique qui met alors violemment à jour une réalité longtemps confinée à l’abri des regards de la société civile. Ainsi, le récent désastre nucléaire de la centrale japonaise de Fukushima a-t-il mis en exergue dans la foulée du tsunami, l’impéritie de la société exploitante TEPCO. Laquelle n’en était pourtant pas à son premier coup d’éclat malheureux tant les casseroles traînées finissaient par rassembler à une batterie de cuisine. De même, en France l’affaire du Mediator et du laboratoire Servier a brutalement mis en pleine lumière des pratiques contestables dont de nombreuses personnes avaient connaissance depuis des décennies, sans jamais vraiment se donner les moyens d’en débattre ouvertement. A cet égard, la catastrophe meurtrière du tunnel du Mont-Blanc en 1999 constitue un autre exemple emblématique des mécanismes crisiques plus que jamais à l’œuvre aujourd’hui et dont les enseignements demeurent plus que jamais valables.

Quand la routine rassure le corps social

A chaque crise qui éclate, c’est désormais la même et systématique rengaine. Ils (pour désigner les élites, les puissants ou les décisionnaires) savaient et ne nous ont rien dit (nous étant la plèbe citoyenne). A chaque cortège de révélations qui s’ensuit, c’est alors la colère, la peur et la suspicion qui prédominent. Des émotions que les médias touillent avec plus ou moins de clarté au point de rendre la société hystérique et vulnérable comme l’évoquait un récent billet du Blog du Communicant 2.0. Surtout lorsque les sujets de crise s’amoncellent sans jamais s’arrêter !

Ulrich Beck, sociologue allemand et père de la notion de « société du risque » l’a parfaitement relevé dans son ouvrage éponyme :

Le monde n’est pas forcément devenu plus dangereux, mais c’est davantage la perte systématique de confiance qui donne aux consommateurs le sentiment de voir des risques partout. Moins il y a de confiance, plus il y a de risques. Plus on a conscience des risques, plus les marchés deviennent instables. Plus les marchés deviennent instables, plus grandissent les risques d’effet boomerang qui touchent tout le monde.

Et l’on pourrait ajouter : plus la tentation est grande d’occulter encore plus, puisque le vocable même de « risque » engendre des allergies éruptives insondables.

Or, ce comportement compulsif repose sur un maillon essentiel : l’absence de la révélation des enjeux initiaux. Une absence qui est précisément la clé d’un explosif quiproquo. Tant qu’un système fonctionne normalement, personne n’a guère conscience de ce qu’il est vraiment et de la façon exacte dont il marche. Chaque acteur n’a finalement qu’une vision parcellaire dudit système et s’en contente finalement aisément puisque ça marche. La quiétude sociale se traduit alors par un ensemble d’attitudes de routine que chaque individu adopte dans sa vie quotidienne à l’égard du système.

« Comment en est-on arrivé là ? »

C’est en quelque sorte une attitude passive fondée sur l’aspect habituel et familier. Aspect qui n’engendre par conséquent aucune interrogation majeure, ni inquiétude forte puisque tout est conforme à l’habitude et que rien ne change. La quiétude ambiante est à la normalité sociale ce que le silence des organes est à la santé humaine. Si aucun symptôme ne se manifeste, c’est le signe évident que nous respirons la forme et que notre santé est resplendissante. C’est ainsi que fonctionne et s’autorégule la dynamique de la confiance sociale. A une nuance près, c’est que la quiétude n’est pas un état acquis de la société.

Quand quelque chose se dérègle soudainement alors que l’on se sentait à l’abri, l’angoisse s’empare immédiatement de nous. Sous la pression de changements brusques ou évolutifs, la quiétude peut se déliter rapidement ou progressivement selon la pression et l’impact de l’événement déstabilisant qui survient. Une pression et un impact qui conduisent aussitôt à réévaluer et revisiter cette « confiance » qui régnait jusqu’alors et dans laquelle nous éprouvions un sentiment de sécurité. La rupture de l’état de quiétude instille dès lors le doute sur la confiance sociale.

Dès qu’une crise survient, l’antienne « comment en est-on arrivé là ? » enclenche une recherche de causalité. L’axiome « si c’est arrivé, c’est que c’était prévisible » devient le mètre-étalon des interrogations et très vite, il convient donc de trouver des explications, des justifications, des coupables (solvables de préférence) afin d’obtenir réparation et restauration si possible de la quiétude perdue. Quel que soit le domaine d’activité concerné, une crise qui éclate obéit quasi automatiquement à ces ressorts.

La crise est en fait ni plus ni moins le choc de ces révélations qu’on avait refusées de voir ou qu’on avait simplement cachées au plus grand nombre. A l’image de la poussière paresseusement dissimulée sous le tapis pour gagner quelques minutes supplémentaires de balayage mais qui finit au cours du temps par s’accumuler pour former une bosse dans laquelle un jour, on se prend les pieds et on chute lourdement au sol !

Quand la quiétude mène à la catastrophe

Chacun garde en mémoire les images cauchemardesques de la catastrophe du tunnel du Mont-Blanc survenue le 24 mars 1999. Bloquées dans leurs véhicules, 39 personnes périrent asphyxiées et carbonisées à cause d’un camion en panne et en flammes au beau milieu des voies de circulation. La fumée intensément opaque et la chaleur extrême dégagées par le brasier du semi-remorque empêchèrent les secours d’agir dans le tunnel pendant trois jours. Pourtant, dès le début de la catastrophe, l’attitude est encore à l’optimisme de circonstance. Sur l’instant, personne ne prend vraiment la mesure du drame qui est en train de se dérouler à l’intérieur du tunnel, comme s’il ne s’agissait que d’un accident banal de la circulation. Ainsi, le président de la société ATMB (Autoroute et Tunnel du Mont-Blanc) refuse de s’alarmer et déclare même aux journalistes accourus que « le tunnel est sûr, qu’il faut attendre et se garder de conclusions hâtives ». Après quelques heures, le pessimisme efface pourtant bien vite la sérénité initialement affichée quand des pompiers français qui ont tenté d’approcher le sinistre, établissent un premier bilan approximatif mais déjà préoccupant des victimes.

Lorsque l’incendie est enfin maîtrisé, la vérité éclate crûment. Le bilan humain est très lourd et les premières accusations sur l’absence de sécurité du tunnel tombent dru. Un pompier à la retraite confesse dès le lendemain aux caméras de télévision : « On  leur avait dit : un jour vous allez avoir un drame. Personne n’était formé pour  intervenir sur un gros sinistre ». Il aura donc fallu un accident apocalyptique pour soudainement briser la quiétude qui prévalait tant bien que mal autour du tunnel depuis son ouverture en 1965. En dépit du trafic routier qui a bondi de 1.600 véhicules par jour dont 120 camions en 1967 à 3.267 véhicules légers et 2.128 poids lourds en 1998, aucune des deux sociétés française et italienne co-gestionnaires du tunnel du Mont-Blanc ne se préoccupaient vraiment de la sécurité du tunnel, se satisfaisant çà ou là de quelques aménagements.

Pourtant, l’acte de concession du tunnel et le cahier des charges imposées aux sociétés étaient sans ambages sur le sujet avant même que le tunnel ne soit mis en service en 1965 : « La convention franco-italienne du 4 mars 1953, l’acte de concession et le cahier des charges du 7 juillet 1959, fixent le rôle des concessionnaires en matière d’exploitation et de sécurité, les deux étant naturellement liées (…). Ils précisent les obligations de chaque société en matière d’exploitation et de sécurité. L’article 16 du cahier des charges stipule que le concessionnaire établira et soumettra à l’approbation les dispositifs qu’il prévoit pour limiter autant que possible les dangers résultant de l’incendie d’un véhicule dans le tunnel ». Tout est explicitement consigné comme le relève la commission d’enquête administrative conjointement constituée dans la foulée de la catastrophe par le Ministère de l’Intérieur et celui de l’Equipement, des Transports et du Logement.

Le piège se referme progressivement

Des signes avant-coureurs auraient pourtant pu changer la donne et inciter les responsables franco-italiens à se pencher plus attentivement sur ces questions. Les archives administratives des deux sociétés d’exploitation font en effet état de 32 accidents ayant entraîné au total 3 morts et 38 blessés depuis l’ouverture du tunnel. La quasi-totalité de ces accidents est due à des accidents de la circulation. Il est par ailleurs consigné dans ces mêmes documents que 15 incendies avaient été enregistrés dans le tunnel dont 12 à cause de poids lourds. Le plus important était alors celui du 11 janvier 1990 provoqué par le moteur en surchauffe d’un camion qui a fait deux blessés.

A la suite de cet incendie, la société française décide donc de construire tous les 600 mètres des refuges alimentés en air frais pressurisé ainsi que créer des niches d’incendie supplémentaires avec alimentation directe en eau. Parallèlement, les deux exploitants lancent des études pour des équipements de sécurité communs (détection automatique des incidents, gestion technique centralisée, mesure des distances entre véhicules) mais les projets restent la plupart du temps soit au stade de vœux pieux, soit inachevés dans les années qui suivent.

De leur côté, les autorités administratives françaises et italiennes vont également chercher de 1995 à 1999 à formaliser les conditions d’une coopération en matière de sécurité. La convention franco-italienne du 16 septembre 1992 (publiée par le décret du 11 août 1995) prévoit une assistance mutuelle . L’article 16 ouvre la possibilité d’accords ou d’arrangements particuliers de niveau local afin de régler les conditions d’intervention des différents secours français et italiens en cas d’accidents ou de catastrophes sur les aires du tunnel du Mont Blanc. Sur cette base juridique, un arrangement administratif est alors élaboré entre la préfecture de Haute Savoie et la Région autonome du Val d’Aoste. Le projet fixe notamment les conditions d’assistance et d’alerte entre le CODIS 74 (Centre Opérationnel Départemental d’Incendie et de Secours) et les sapeurs pompiers du Val d’Aoste. Bien qu’approuvé par les autorités locales et par les ministères de l’Intérieur français et italien, l’arrangement reste caduc, faute d’accord de la présidence du conseil italien en charge de la protection civile.

Les multiples rapports d’expertise montrent les véritables insuffisances

Le 24 mars 1999, le scénario est quasi identique à celui du 10 janvier 1990 sauf que cette fois-ci, les pompiers français se mettent en action plus tardivement et ne réussissent pas à atteindre le lieu du sinistre à cause d’une fumée particulièrement intense et d’une chaleur frisant les 1000° C. Un secouriste français succombera même pendant les opérations d’intervention tandis que côté italien, les pompiers sont également rapidement réduits à l’impuissance et doivent rebrousser chemin. Il faudra attendre trois jours pour que les secours puissent pénétrer sur le lieu même de la catastrophe et venir à bout de l’incendie.Une première analyse brute de la chronologie des faits pourrait donc laisser penser à une défaillance dans le délai de réaction des secours et leur imputer ainsi la responsabilité de l’ampleur de l’incendie. Les multiples rapports d’expertise déclenchés après la catastrophe ainsi que le procès du 31 janvier au 29 avril 2005 vont en fait révéler au grand jour les véritables insuffisances autour de la gestion du tunnel du Mont-Blanc depuis son ouverture officielle en 1965, et montrer que les enseignements n’ont jamais été vraiment tirés, en particulier lors de l’accident de janvier 1990.

Le premier dysfonctionnement est d’emblée attribué au mode de management initial du tunnel. Un mode de management pour le moins confus puisqu’il confie l’exploitation de l’ouvrage à deux sociétés publiques, une française (AMTB, Autoroute et Tunnel du Mont-Blanc) et une italienne (SITMB, Società Italiana per il Traforo del Monte Bianco) dont les dirigeants sont nommés par les hautes autorités politiques de chaque pays. Ce qui engendre assez vite des zones d’ombre sur les périmètres respectifs de responsabilité des uns et des autres pour chaque portion nationale du tunnel. Ces périmètres sont d’autant plus flous que les zones de responsabilité de chaque société (c’est à dire la moitié du tunnel sur laquelle porte chaque concession) ne coïncident pas avec la frontière géographique entre la France et l’Italie. La limite de concession pour la société française s’arrête au point kilométrique 5,8 alors que la frontière est au point 7,6.

Un détail qui aura une importance cruciale le 24 mars 1999 lorsque le camion à l’origine de l’incendie s’immobilise au point kilométrique 6,2, c’est à dire en zone d’exploitation et de sécurité relevant de la société italienne d’un point de vue technique mais en territoire français d’un point de vue géographique et administratif.

A toi, à moi … ou l’art de l’évitement

Au-delà des lourdeurs confuses de ce mode de management bicéphale, un capharnaüm règne également cette fois entre les acteurs français impliqués dans la sécurité du tunnel. Au début des années 70, l’ATMB prend l’initiative, ceci sans consulter quiconque, de créer sa propre structure d’intervention interne. Ce qui n’est pas sans déclencher une certaine émotion au sein des pouvoirs publics locaux et spécialement dans la commune de Chamonix pour laquelle la question de la sécurité du tunnel commence justement à être une préoccupation. L’ordre du jour du conseil municipal réuni le 31 mars 1972 examine en effet la responsabilité juridique du maire en cas d’incendie dans le tunnel. Il propose à cet effet que la mobilisation des pompiers communaux soit facilitée par la mise en place d’une ligne directe d’alarme ainsi que l’organisation conjointe d’exercices de lutte contre l’incendie entre les pompiers de Chamonix et ceux d’ATMB. Dans le même sens, le préfet de Haute Savoie adresse le 4 décembre 1972 une lettre au président de l’ATMB afin que soit organisé un exercice pratique mettant en œuvre l’ensemble des services de sécurité. Le directeur d’exploitation se borne à préciser qu’un pareil exercice requiert la fermeture du tunnel pour quelques heures et qu’il ne peut être par conséquent décidé uniquement par la seule société française. Résultat : deux exercices de simulation grandeur nature seulement sont organisées en 1975 et en 1989.

A cette pierre d’achoppement, s’ajoute également la question du financement du nouveau centre de secours de Chamonix que la municipalité souhaite implanter à proximité du tunnel au lieu qu’il soit situé en plein centre ville. La participation pécuniaire d’ATMB est sollicitée. Celle-ci décline et préfère investir sur ses propres équipements de sécurité.

Au-delà des conflits de personnes qui vont accroître le malaise entre les acteurs, le rapprochement des différentes équipes de sécurité s’avère d’autant plus impossible au quotidien que l’ATMB décide d’un mode de fonctionnement autonome pour sa structure d’intervention qui n’intègre ni les autorités publiques, ni les pompiers municipaux. Une mise à l’écart délibérée que confirmeront deux anciens pompiers entendus à la barre lors de l’audience du 1er mars 2005 du procès du tunnel du Mont-Blanc. De leur compte-rendu d’audition , il ressort que la société d’exploitation témoigne à leur égard, une totale absence de considération en les surnommant « les subordonnés » et en leur confiant uniquement le nettoyage et le plein de carburant des véhicules et des petits travaux d’entretien.

Lors de l’incendie de 1990, ces mêmes pompiers ont pourtant tenté de tirer la sonnette d’alarme en rédigeant des rapports administratifs où ils estiment que ce feu révèle les limites des moyens et de l’organisation de la lutte contre les incendies. Les dirigeants de l’ATMB passent outre et le responsable de la sécurité du tunnel leur rétorque :

Il y a 25 ans que le tunnel tourne, et il n’y a pas eu d’incident, il pourra bien encore fonctionner 25 ans. Le tunnel a été coulé « à l’eau bénite » et il faut compter avec la chance.

Preuve s’il en est que la révélation des enjeux était loin d’être une priorité pour les gestionnaires de la sécurité du tunnel.

Une commission de sécurité alibi

En dépit de la complexité juridique et opérationnelle autour de la gestion du tunnel, ainsi que des mauvais rapports entre autorités locales et dirigeants de l’ATMB, le sujet de la sécurité revient sur le tapis. En effet, peu de temps après la mise en service du tunnel, une commission intergouvernementale de contrôle est constituée le 1er mars 1966 par la France et l’Italie.

Outre le contrôle de l’exploitation et l’approbation des révisions des tarifs de péage, cette commission se voit donc confier un rôle de proposition en matière de réglementation de la circulation dans le tunnel et de transit des matières dangereuses. Elle est en plus chargée de contrôler l’exécution des travaux complémentaires nécessaires pour assurer une meilleure exploitation et une plus grande sécurité du tunnel.

L’instruction judiciaire menée à la suite de la catastrophe de 1999 va là aussi livrer une lecture édifiante du bilan des travaux de cette commission. Un bilan qui s’avère plutôt sommaire. Réunie une fois par an et présidée par un diplomate, la commission de contrôle comprend parmi ses membres, des fonctionnaires par ailleurs membres du conseil d’administration d’ATMB et de SITMB. Toutefois, mis à part la Direction Département de l’Équipement de Haute Savoie qui représente le préfet, aucun professionnel local de prévention ou de secours ne participe à la commission. Résultat: l’essentiel des discussions porte sur la révision annuelle des tarifs de péage, et sur la nécessité de garantir la règle de parité – recettes de péages et dépenses d’exploitation – entre les deux sociétés.

En revanche, il n’est pas prévu que les gros travaux de rénovation, de modernisation ou de sécurité entrent dans la règle de parité. Ils sont considérés à la charge de chaque société qui les programme selon ses propres priorités et avec ses propres choix techniques. Conséquence : la commission se bornera à mettre sur pied un groupe de travail sur le transport des matières dangereuses mais n’ira pas plus loin.

En coulisses, le drame se prépare

Côté ATMB, c’est aussi une toute autre histoire qui s’écrit année après année dans les coulisses du service de sécurité de l’ATMB comme le relate l’audience des responsables du dit service, le mercredi 9 mars 2005 au cours du procès . L’un d’entre eux admet aux juges mal connaître les équipements de signalisation existant à l’intérieur de l’ouvrage. Un second responsable revient quant à lui, sur les problèmes posés par la gestion de la distance entre les véhicules dans le tunnel. En cas de gros trafic, ceux-ci ont tendance à s’arrêter les uns derrière les autres et à créer des bouchons. Il souligne qu’il était conscient du caractère fondamental de ce problème en cas d’incendie mais que le contrôle et la sanction étaient très délicats à appliquer.

Enfin, le responsable en chef de la sécurité ajoute devant le président du tribunal que le système de contrôle de l’interdistance des véhicules existant avant 1999 avait été neutralisé car selon lui « les usagers s’amusant à faire s’allumer les panneaux lumineux associés au radar » sans qu’il ne se souvienne pour autant qui lui en a donné l’ordre. Un quatrième témoin ose apporter une explication à cette décision : « On court-circuitait les panneaux pour les laisser en fixe car le trafic était dense ». Explication confirmée par une cinquième personne qui reconnaît que « le dispositif clignotant était souvent mis en panne afin de ne pas ralentir le trafic. Parfois on envoyait des motards pour accélérer le trafic ». Interrogée sur la structure d’intervention mise en place par la société, cette même personne confesse alors :

Comme les pompiers professionnels ont démissionné les uns derrière les autres, on a fait appel à des péagistes, mais ceux-ci étaient peu et mal formés. Ils savaient dérouler les tuyaux, étaient plein de bonne volonté, mais ne connaissaient pas l’intérieur du tunnel. Ce personnel était plus une charge qu’une aide car il fallait prendre soin d’eux.

L’enquête confirme en effet la chute de l’effectif des pompiers professionnels tombé à deux. Cette chute préoccupante fut passée sous silence dans les divers rapports de sécurité d’ATMB.

A l’issue de trois mois de débats au procès et d’une instruction judiciaire préalable de 4 ans et 7 mois qui aura coûté plus de 3 millions d’euros à la collectivité, le verdict tombe. Des peines de 4 mois à 2 ans de prison avec sursis et des amendes de 1 500 à 15 000 euros sont majoritairement prononcées à l’encontre des différents prévenus. Si le constructeur du camion à l’origine de l’incendie a été relaxé, l’État français a été lui, condamné, au travers de la représentante du ministère de l’Équipement, à 6 mois de prison avec sursis et 1 500 euros d’amende. Côté ATMB, le responsable de la sécurité du tunnel, écope de la plus grosse condamnation avec 30 mois de prison dont 6 mois fermes. A la fin du procès, le président du tribunal prononce les mots suivants : « La catastrophe aurait pu être évitée » avant d’ajouter en guise de conclusion qu’aujourd’hui : « les faits ne comportaient plus de zone d’ombre ».

Après la quiétude, les enjeux remontent

Le choc des révélations fait désormais son œuvre. Après l’incendie de mars 1999, le tunnel est fermé pendant trois ans pour entreprendre sa réhabilitation et sa modernisation. Un système informatisé centralisé des installations de sécurité est installé. Les niches et les abris de sécurité sont renforcés et élargis. Une galerie d’évacuation est aménagée sur toute la longueur du  tunnel. Enfin, un système de désenfumage creusé dans la roche assure l’extraction des gaz et quatre réservoirs alimentent les bouches à incendie du tunnel. Des équipes de secours sont présentes 24 heures sur 24 aux deux têtes et dans un local au  centre du tunnel.

Image Cofiroute

En France, une circulaire impose dès août 2000, la multiplication des refuges, l’amélioration de la signalétique et des exercices annuels de sécurité dans les 110 tunnels de plus de 300 mètres de long que compte le territoire français. Certaines collectivités locales ont même entamé – pour les tunnels qui dépendent d’elles – une mise en conformité sur les mêmes bases. C’est le cas du département du Rhône pour les tunnels du périphérique lyonnais. Enfin, la France crée également à Bron (Rhône) un premier centre pour former les personnels exerçant dans les tunnels puis un second centre d’entraînement de lutte contre les incendies dans les tunnels (unique en Europe).  Lequel ouvre ses portes en avril 2002 au Fréjus en Savoie.

Pour autant, il va falloir encore deux catastrophes similaires en Europe pour que les instances de Bruxelles se soucient à leur tour de la sécurité des tunnels. Le 29 mai 1999, un nouvel incendie éclate dans le tunnel du Tauern en Autriche suite à une collision en chaîne entre un camion et des voitures. Il provoque la mort de 12 personnes. Deux ans plus tard, le 24 octobre, le scénario se renouvelle dans le tunnel du Gothard en Suisse où un feu se déclenche après que deux poids lourds se soient heurtés frontalement. Le macabre bilan est cette fois de 11 morts. Deux drames qui conduisent à l’adoption de la directive européenne du 29 avril 2004, qui s’inspire fortement de la circulaire française de 2000.

La peur du tunnel fait tâche d’huile dans l’opinion

Dans l’opinion publique, tous les enjeux liés à la gestion des tunnels remontent à la surface. C’est d’abord la controverse entre le transport des marchandises par la route et le ferroutage (solution qui consiste à embarquer des camions sur des trains) qui s’envenime alors même que le volume du fret qui traverse les Alpes ne cesse de grimper annuellement, de 98 millions de tonnes en 2005 contre 58 millions en 1985. Un chiffre qui est appelé à encore progresser d’ici 2011 avec 232 millions de tonnes de fret. L’idée du ferroutage n’est pas novatrice en soi puisque dès mars 1993, la France et l’Italie envisageaient déjà la possibilité d’une liaison ferroviaire Lyon-Turin où les remorques des camions seraient chargées sur des wagons entre les deux villes pour limiter les déplacements de camions. Ce projet était même inscrit sur la liste des grands travaux européens en 1994. Mais c’est seulement après la catastrophe du Mont-Blanc que le problème du financement de ce projet est vraiment déclaré prioritaire par l’Union Européenne. Il va nécessiter le percement d’un tunnel de 52 km de long entre la France et l’Italie. Le coût  total de la liaison est estimé à 12,5 milliards d’euros et la fin des travaux  est prévue à l’horizon 2015-2018.

Le drame du Mont-Blanc a aussi mobilisé les communautés locales. Les habitants de la vallée de Chamonix ont particulièrement apprécié les trois années sans camion au moment de la fermeture et de la reconstruction du tunnel. Le report du trafic routier sur le tunnel du Fréjus qui a doublé par ricochet pendant cette période, a en revanche provoqué la colère des habitants de la vallée de la Maurienne. Mais dans les deux cas, les questions environnementales ont pris une ampleur qu’elles n’avaient jamais eue jusqu’alors. Aujourd’hui, des comités locaux continuent de se battre pour tenter de diminuer le trafic des semi-remorques dans leurs vallées respectives.

Il suffit d’un nouvel accident pour que la controverse enregistre à nouveau un pic de tension. Ce fut le cas le 6 juin 2005 dans le tunnel du Fréjus lorsqu’un camion slovaque transportant des pneumatiques s’est enflammé et causé la mort des deux chauffeurs. Le tunnel est aussitôt fermé et la circulation des camions temporairement déviée dans la vallée de Chamonix. Une décision qui déclenche illico la colère de l’Association pour le respect du site du Mont-Blanc (ARSMB) qui estime dans un communiqué de presse que « des seuils critiques de pollution avaient déjà été atteints avant cette augmentation prévisible du trafic ».

Le tunnel de raccordement de l'A86 autour de Paris fut l'objet d'intenses controverses

Aujourd’hui, le traumatisme laissé par la catastrophe du Mont-Blanc est loin d’être résorbé. Il est même devenu l’exemple de référence pour quiconque cherche à s’opposer à chaque nouveau projet de tunnel. Ce fut le cas du chantier concernant le bouclage de l’autoroute A86 qui contourne Paris. Dès le démarrage de l’enquête d’utilité publique en 1995 pour la construction d’un tunnel routier d’une dizaine de kilomètres dans l’Ouest parisien pour achever le raccordement des tronçons existants, une association locale de riverains, l’Union des Amis de Vaucresson, a affiché son hostilité résolue aux solutions techniques envisagées par la société Cofiroute en charge des travaux de réalisation.

Une deuxième association, le Groupement des Associations de l’Ouest Parisien (Galop), dépose même un recours le 28 janvier 2000 devant le Conseil d’Etat en arguant que l’Etat n’a pas tiré les leçons du tunnel du Mont-Blanc et aurait dû prolonger la consultation au seul regard du principe de précaution . Une pétition est même lancée via un site Internet et rassemble la signature de plusieurs municipalités et divers collectifs du département des Hauts-de-Seine. La page d’accueil du site donne le ton pour l’internaute qui s’y rend. S’appuyant sur des extraits de rapports officiels, elle affiche des statistiques inquiétantes et met en exergue le bilan meurtrier du tunnel du Mont-Blanc.

Tout au long du chantier, les controverses n’ont pas manqué entre le constructeur Cofiroute et l’association Galop. Comme par exemple celle qui a porté sur la hauteur de plafond du futur tunnel qui ne dépasse pas 2,55 mètres, interdisant de fait la circulation des camions et des véhicules ayant une garde au sol élevée ou une galerie. Le président de l’association dénonce cette conception :

Imaginez vous en train de rouler sur 10 kilomètres à 70 kilomètres à l’heure dans un boyau pas plus haut que votre salle à manger. Mieux vaut ne pas être claustrophobe !

Par la voix de son directeur du marketing, Cofiroute réplique en soulignant les efforts consentis en matière d’aménagement « pour donner un sentiment de confort et de zen » avec des lumières tamisées, des panneaux de signalisation et une chaussée de couleur beige. Le directeur de projet du tunnel estime quant à lui que Cofiroute est allé au-delà des mesures de sécurité imposées depuis le drame du Mont-Blanc avec une douzaine de sas d’évacuation, des refuges tous les 200 mètres, un système d’aération sophistiqué, des caméras de surveillance et de contrôle de la vitesse ainsi que … des véhicules de secours spécialement adaptés au tunnel. Un point qui chagrine un docteur du Samu des Hauts-de-Seine en cas d’accident à l’intérieur du tunnel : « les délais d’intervention seront plus longs parce qu’il nous faudra changer de véhicule » entre l’extérieur et l’intérieur du tunnel. Ouvert depuis 2009, on ne déplore pour l’instant aucun incident grave.

Conclusion – Petite géologie de la crise

Le tunnel est à nouveau en service mais a-t-on vraiment appris ?

La catastrophe du tunnel du Mont-Blanc constitue un exemple symptomatique d’absence de révélation des enjeux. Absence qui conduit tôt ou tard à une crise majeure aux répercussions souvent durables. La crise est en fait une pathologie ancienne qui trouve précisément ses racines dans cette occultation initiale de la révélation des enjeux auprès des acteurs impliqués.

Tant que le changement n’est pas palpable, tant que la routine n’est pas perturbée, la quiétude sociale n’est pas affectée et chacun vaque à ses occupations, avec ses croyances, ses valeurs et par conséquent sans inquiétude notable. En façade, la quiétude sociale perdure tandis qu’en coulisses, les lézardes et les fissures commencent leur travail de sape. Un peu à l’image d’un gravillon qui fendille légèrement un pare-brise jusqu’au jour où, faute d’avoir procédé au remplacement de ce dernier, il explose soudainement lors d’un énième impact ou sous le coup d’une forte chaleur pour entraîner parfois de redoutables conséquences.

Une fois répandue au grand jour, la crise fait alors brutalement découvrir un système dans sa globalité de son fonctionnement et de ses dysfonctionnements, voire au-delà. Il aura souvent suffi d’un facteur déclencheur impromptu pour tout accélérer brutalement, réactiver des mécanismes anciens et générer des décalages avec au bout du compte une crise durable et aléatoire ainsi qu’un renversement ontologique des valeurs qui présidaient jusqu’alors à la quiétude sociale.

A travers une démarche permanente de questionnement et de dialogue sur les risques comme l’approche cindynique le propose, le repérage des signes précurseurs autour du tunnel du Mont-Blanc aurait sans doute pu empêcher le drame qui a coûté la vie à 39 personnes et éviter que par la suite, tout nouveau projet de tunnel ne suscite immédiatement une levée de bouclier au nom d’une confiance désormais rompue par le drame du Mont-Blanc. Encore faut-il avoir la volonté d’être en posture d’entendre les alertes, de les interpréter, de mener les actions et les changements nécessaires et d’éviter ainsi la rupture de confiance qu’une crise engendre inévitablement. Additionner les angles de vision peut aider à éviter bien des crises.


Article initialement publié sur le blog du communicant 2.0

Photos flickr CC Abarth500 ; Kevin Brennan ; Mammaoca2008 ; Thomas Hawk

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Trois révolutions arabes, trois flops français http://owni.fr/2011/03/09/trois-revolutions-arabes-trois-flops-francais/ http://owni.fr/2011/03/09/trois-revolutions-arabes-trois-flops-francais/#comments Wed, 09 Mar 2011 12:57:04 +0000 Catherine Graciet http://owni.fr/?p=50265 « La France n’a rien vu venir », « on pensait que Ben Ali tiendrait », « on n’a toujours rien compris de ce qui s’est passé en Tunisie ». Deux mois après la chute du président tunisien Zine el Abidine Ben Ali, on se remet doucement, dans les allées du pouvoir français, de la surprise causée par la révolution tunisienne. Et le manque de discernement de l’ambassadeur de France alors en poste à Tunis, Pierre Menat, qui prédisait que Ben Ali pouvait reprendre la main quelques heures avant sa fuite en Arabie Saoudite, a bon dos.

Si l’ancienne ministre des Affaires étrangères, Michèle Alliot-Marie, remplacée depuis par Alain Juppé, sert aussi de paratonnerre pour avoir proposé le savoir-faire français à une police tunisienne en pleine répression et s’être engluée dans les révélations du Canard Enchaîné concernant ses vacances tunisiennes et les liens d’affaires qui unissent ses parents à un proche du régime de Ben Ali, rares sont ceux qui se sont interrogés sur le rôle du discret conseiller diplomatique de Nicolas Sarkozy, Jean-David Levitte.

Diplomate de l’ombre

Lui aussi souffre pourtant de cette « cécité mentale » (l’expression est du président algérien Abdelaziz Bouteflika) qui caractérise la diplomatie et l’exécutif français. Entre vacances au soleil dans un pays qui n’est pas stratégique pour la marche du monde et l’efficace propagande du régime tunisien (plutôt Ben Ali que Ben Laden), beaucoup ont vite fait de ne pas voir. Jean-David Levitte ne déroge pas à la règle. En 2008 déjà, à la veille d’une visite d’État du président français à Tunis, le sherpa de Nicolas Sarkozy déclarait aux journalistes accrédités pour suivre le président français que des trois pays du Maghreb, la Tunisie est celui avec lequel la France entretien « la relation la plus dense et la plus apaisée ».

Quant à son épouse, Marie-Cécile Levitte, elle se faisait photographier tout sourire lors d’une soirée organisée en novembre 2008 par Hosni Djemmali, homme-clé de la France-Tunisie et patron du groupe hôtelier Sangho qui, du temps de Ben Ali, tenait table ouverte pour les journalistes dans les meilleurs restaurants du quartier de la Bourse. Ce dernier avait même publié la photo de l’épouse du conseiller diplomatique dans son magazine à la gloire du régime de Ben Ali, Tunisie Plus ! Mais on pourrait tout aussi bien citer, comme le raconte le journaliste Nicolas Beau sur son blog la façon dont Jean-David Levitte a étouffé une tentative de protestation du Quai d’Orsay après l’expulsion de Tunisie en 2009 de la journaliste du Monde Florence Beaugé. Il eut gain de cause alors même que Claude Guéant, le secrétaire général de l’Élysée, partageait, pour une fois, l’initiative des diplomates ! Voilà une anecdote qui en dit long sur qui avait la main sur le dossier tunisien à l’Élysée.

Jean-David Levitte, à droite sur la photo

Surprise, c’est encore et toujours le même Jean-David Levitte qui, il y a trois semaines, agissait en coulisses pour imposer son candidat au poste d’ambassadeur de France en Tunisie, Boris Boillon. Ce dernier était pourtant sensé remplacer le diplomate Bernard Bajolet à la coordination du renseignement à l’Élysée. Un poste qui a depuis été pourvu par Ange Mancini. Boris Boillon a, entre temps, signé une entrée en matière remarquée à Tunis : depuis qu’il a rudoyé des journalistes posant des questions sur l’attitude honteuse de la France pendant la révolution du jasmin, des manifestants se rassemblent régulièrement devant l’ambassade de France aux cris de « Boillon dégage » !

Des ambassadeurs de France trop complaisants avec Ben Ali

Quant aux deux prédécesseurs de Boris Boillon, Pierre Menat et Serge Degallaix, qui se sont illustrés par leur complaisance à l’égard du système Ben Ali alors même que des entrepreneurs français et franco-tunisiens appelaient l’ambassade à l’aide après avoir été spoliés ou persécutés par des proches de Leila Trabelsi, la première dame tunisienne, ils ont travaillé dans le passé avec Jean-David Levitte.

Serge Degallaix tout d’abord. Très bien en cour, tout comme son épouse, auprès des clans Ben Ali et Trabelsi, il était qualifié par certains opposants tunisiens d’« ambassadeur de Ben Ali en France ». Nommé à Tunis sous Jacques Chirac en 2005, il a occupé son poste jusqu’en 2009. Soit quatre longues années au lieu des trois habituelles pour un ambassadeur. Le tout assortit d’un beau scandale : en 2006, son fils avait organisé une soirée payante au sein de l’ambassade, propriété de l’État français ! Un impair de taille autrement plus grave que les coups de sang de Boris Boillon contre les journalistes tunisiens. Comme Boillon, lui aussi connaissait bien Jean-David Levitte comme le prouve cet arrêté ministériel de 1994. On y apprend que Serge Degallaix était alors l’adjoint du directeur général des relations culturelles, scientifiques et techniques du Quai d’Orsay qui s’appelait alors… Jean-David Levitte !

Son successeur à Tunis, Pierre Menat, sacrifié sur l’autel de la révolution tunisienne et qui n’est resté en poste que 17 mois (lisez la lettre d’adieux qu’il a envoyé à des amis journalistes en Tunisie), a, lui aussi croisé Jean-David Levitte au long de sa carrière de diplomate. Une première fois entre 1986 et 1988 lorsque Menat était conseiller technique au cabinet de Jean-Bernard Raimond alors ministre des affaires étrangères et Levitte directeur adjoint du cabinet du même ministre. Puis entre 1995 et 1997 lorsque Menat était conseiller pour les affaires européennes à la présidence de la République où Jean-David Levitte officiait comme sherpa de Jacques Chirac.

Avec trois ambassadeurs connaissant de longue date le conseiller diplomatique de l’Élysée et tous partisans de la même ligne politique envers Ben Ali, on n’est plus dans le hasard mais dans le cadre d’un réseau qui a largement contribué à ridiculiser la France en Tunisie. Et, par ricochet, auprès de nombreuses opinions publiques arabes subjuguées par la révolution tunisienne.

Les flops économiques de la France chez Kadhafi

Autre pays, autre flop français. Avant de ne plus savoir sur quel pied danser en Libye — Kadhafi, dont on ne se lassera jamais de relire les grands classiques sur son site web, conservera-t-il son poste de dictateur sanguinaire ? — sous Nicolas Sarkozy, la France s’est engagée dans une effrénée course aux contrats avec les clans entourant le colonel Kadhafi. « Entre Paris et Tripoli, la relation n’était basée que sur le business ! » s’exclame cet initié du dossier franco-libyen.

Après la visite de Kadhafi en France en 2007, les relations se sont tendues. Nicolas Sarkozy lui en a voulu pour son comportement. La France ne parlait plus en direct au colonel. La relation passait par Claude Guéant et son interlocuteur privilégié, à savoir Moussa Koussa, ancien patron des services de renseignements.

Un Claude Guéant qui a depuis été nommé ministre de l’Intérieur et qui, du temps où il était secrétaire général de l’Élysée exigeait d’avoir la mainmise totale sur le dossier de l’avion de chasse Rafale. Avec le succès que l’on connaît…

En décembre 2007, dans un moment d’euphorie sans doute, Nicolas Sarkozy annonçait pour 10 milliards d’euros de contrats entre la Libye et des entreprises françaises, une somme sensée inclure la vente de 14 avions Rafale. Au même moment, à Tripoli, une délégation composée de vingt entreprises américaines, dont Lookheed Martin, rencontrait d’importants dignitaires libyens. Par exemple, le colonel Abdallah Senoussi, beau-frère de Kadhafi et principal accusé dans l’attentat contre le DC-10 d’UTA escortait plusieurs dirigeants de sociétés américaines dans leurs déplacements…

« Le Zambèze n’est pas la Corrèze »

À l’heure où le Guide libyen serait, selon la chaine qatarie Al Jazeera, en train de négocier son départ, seul EADS a réussi à conclure un contrat significatif en vendant 21 avions à deux compagnies aériennes libyennes pour 3 milliards d’euros. On est loin, très loin, des promesses de Nicolas Sarkozy qui a beaucoup caressé le colonel Kadhafi dans le sens du poil. Dans le passé et sous d’autres cieux diplomatiques, les vendeurs d’armes français ont pourtant réussi à faire de juteuses affaires en Libye : entre 1970 et 1989, Tripoli avait ainsi acheté 121 Mirage 5 et 32 Mirages F1-C à Dassault, 60 batteries de missiles sol-air à Thomson/CSF et des navettes lance-missiles Combattante 2 (CMN).

La critique publique la plus acérée en direction de l’Élysée et de Claude Guéant qui gérait le dossier libyen et, d’une manière générale les dossiers africains avant d’être nommé à l’Intérieur, ne revient pourtant pas aux industriels de la Défense mais à un diplomate atypique, en l’occurrence Jean-Christophe Rufin, ex ambassadeur de France au Sénégal :

Ce n’est pas forcément un connaisseur de l’Afrique, il traite ces dossiers comme il en traite beaucoup d’autres, à la (manière) préfectorale. Mais bon, le Zambèze et la Corrèze, ce n’est pas tout à fait la même chose.

Hosni Moubarak, une mauvaise pioche pour Henri Guaino

Quant à l’attitude de la France en Égypte, elle est nettement plus anecdotique mais, là encore, le vent de révolution qui souffle sur le monde arabe donne un sérieux coup de vieux à sa diplomatie. En lançant son Union pour la Méditerranée (UPM), une belle idée qui s’est vite ensablée, le conseiller spécial de Nicolas Sarkozy, Henri Guaino, a tout misé sur Hosni Moubarak. Et l’a choisi pour co-présider avec Sarkozy sa chère Union pour la Méditerranée. Encore une mauvaise pioche.

Une habitude décidément bien française dès qu’il s’agit du monde arabe. L’arrivée d’Alain Juppé au Quai d’Orsay et le départ de Claude Guéant pour la place Beauvau suffiront-t-il à redorer le blason de la diplomatie française et à réhabiliter le drapeau tricolore auprès des opinions publiques arabes ?

Crédits Photo FlickR CC : l r / mrecic arg / c a r a m e l

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Colère et malaise dans les urnes irlandaises http://owni.fr/2011/02/25/colere-et-malaise-dans-les-urnes-irlandaises/ http://owni.fr/2011/02/25/colere-et-malaise-dans-les-urnes-irlandaises/#comments Fri, 25 Feb 2011 18:27:45 +0000 Stanislas Jourdan & Stefanie Chernow http://owni.fr/?p=48468 Sauf mention contraire, tous les liens de cet article sont en anglais.

Les citoyens irlandais votent aujourd’hui 25 février 2011. Une élection différente des précédentes. Depuis que la crise économique a frappé l’Europe en 2008, l’Irlande a des difficultés à maintenir la tête hors de l’eau. Le pays, qui était devenu un modèle à l’échelle européenne, a connu de lourdes pertes financières, au point de devoir nationaliser les dettes insolvables de ses banques. Les Irlandais se rendent aujourd’hui aux urnes pour exprimer leur indignation contre un gouvernement qu’ils estiment irresponsable. Mais la plupart d’entre eux savent aussi qu’il faudra plusieurs années pour combler le trou financier actuel.

La journée d’aujourd’hui est donc non seulement très importante pour les citoyens irlandais, mais aussi pour le reste de l’Europe. Enchainés à l’Irlande par leur monnaie unique, les pays de la zone euro sont responsables des succès et échecs de la mise en place de l’euro. La Grèce fut un premier exemple de la manière dont une monnaie auparavant forte, pouvait vaciller lorsqu’un pays falsifie ses comptes publics. La manière dont le nouveau gouvernement irlandais va gérer la crise économique aura des conséquences sur l’Union Européenne dans son ensemble.

La chute du tigre celtique

Avant 2008, l’Irlande était prospère. Croissance, emploi, et investissements étaient tels que le pays a été surnommé “le tigre celtique”. Dublin était devenue la ville d’accueil de nombreux sièges de multinationales, attirées par la prospérité du pays et par sa très avantageuse fiscalité. Mais le rêve irlandais a pris fin avec la crise des subprimes [fr].

L’histoire n’est que trop banale : les banques investissent trop massivement dans l’immobilier jusqu’à ce que la bulle éclate, et que les États soient contraints de les renflouer pour éviter l’effondrement total de l’économie. La banque Anglo fut la première à vaciller, elle qui avait tenté de cacher 80 millions de prêts douteux. Avec la nationalisation de la banque Anglo pour 34 milliards d’euros, et les recapitalisations des banques AIB et Bank of Ireland, le prix de l’irresponsabilité des banques privées sera payée par le secteur public. C’est à dire les citoyens.

Nouvelle crise, symptômes anciens

Certains États membres de l’Union ont réussi depuis 2008 à rééquilibrer leur économie. Mais celle de l’Irlande continue de se détériorer. Avec un chômage de 13,7%, un déficit de 30% du PIB, et une dette atteignant 97% du PIB, ceux qui ont de l’argent n’ont pas l’intention de laisser fondre leur portefeuilles d’actifs en Irlande. Du coup, une panique bancaire, silencieuse, lente mais non moins terrible, frappe le pays depuis quelques mois. Ceux qui ont les moyens font sortir leurs avoirs du pays pour investir dans des endroits plus stables, minant mécaniquement l’économie du pays. De même, les demandeurs d’emploi n’ont d’autre choix que se tourner vers l’étranger. On estime ainsi à 100.000 le nombre de personnes ayant quitté le pays depuis deux ans. A l’image de la grande famine de 1845-1849 surnommée “potatoe famine”, les Irlandais émigrent aujourd’hui à cause du manque de liquidités. A moindre échelle, évidemment.

En novembre 2010, l’Irlande a dû demander de l’aide à l’Europe. Le 29 novembre, le gouvernement conclut un accord avec l’Union Européenne et le FMI qui débloque un plan de sauvetage sous la forme d’un prêt de 85 milliards d’euros. Ce soutien n’est pas sans contre-partie : le gouvernement irlandais doit poursuivre les réformes pour assainir ses comptes publics, les fonds ne seront disponibles que lorsque l’Irlande aura voté son budget, en 2011 donc.

Ce plan devait rétablir la confiance dans l’économie irlandaise. Mais une fois encore, les investisseurs ne l’entendent pas de cette oreille. La population et les actifs continuant d’émigrer, la banque centrale d’Irlande n’a d’autre solution que de créer de la monnaie pour combler le manque de liquidités bancaires. Ces mesures exceptionnelles sont censées être temporaires, mais montrent combien le secteur bancaire est aujourd’hui faible. Plus récemment encore, on a appris que certaines banques achetaient leurs propres obligations de manière à améliorer (fictivement) leur bilan… et ainsi offrir les garanties requises par la BCE.

Les élections générales : une nouvelle direction pour l’Irlande ?

Pour toutes ces raisons, les élections d’aujourd’hui ont pris une importance bien particulière aux yeux de l’opinion publique. Les partis d’opposition ont appelé les citoyens à “transformer leur colère en action”, et il semble qu’ils soient prêts à le faire. Considéré comme responsable de la situation actuelle, Fianna Fáil, le parti de droite qui a été au pouvoir durant 61 des 79 dernières années, s’attend à prendre une claque historique.

En face, Fine Gael, parti de centre droit, et le Labour Party irlandais vont probablement rafler la mise. L’accord conclu avec l’UE et le FMI étaient au centre de leur campagne. Ils ont promis une renégociation de la dette contractée, à l’image de l’Islande qui revoit encore aujourd’hui les conditions des accords conclus en 2008. Ce scénario islandais peut-il se répéter ? Rien n’est moins sûr… Car alors que les accords islandais concernent une (petite) poignée de milliards, le plan de sauvetage de l’Irlande s’élève, lui, à plus de 80 milliards d’euros.

Même si ces accords sont renégociés, la somme à rembourser n’en sera pas moins gigantesque, constituant près de 43% du PIB irlandais.

Ce qui sera intéressant à analyser ce soir n’est pas nécessairement la future composition du Dáil, le parlement irlandais. Les véritables signaux lancés par les électeurs se trouveront probablement en marge de la victoire, donnée pour acquise, du Labour party et de Fine Gael.

En effet, ces élections sont marquées par une présence inédite des candidats indépendants. Environ 15% des électeurs pourraient ainsi se tourner vers ces candidats “non-alignés”. Parmi eux, le candidat Dylan Haskins, 23 ans, fait figure de symbole de ce qui pourrait constituer une alternative intéressante, ou au moins porteuse d’un espoir devenu rare en Irlande. Son parti, très présent sur Internet, prône des mesures sociales favorables à la jeunesse pour assurer l’avenir du pays. L’émergence de ce type de partis peut s’analyser comme un signal du renouveau à la fois politique et idéologique du pays.

A l’inverse, il faudra également surveiller l’abstention et le parti indépendantiste, le Sinn Féin. Une forte abstention serait le signe d’une défiance accrue des irlandais vis à vis de leurs représentants. De son coté, le score du Sinn Féin (crédité de 10% des intentions de votes avant le suffrage), pourrait caractériser un durcissement de l’amertume d’une partie des irlandais. Le parti a en effet annoncé son intention de demander purement et simplement l’annulation de la dette du pays. Ces deux facteurs pourraient donc présager une évolution de la situation à l’image de celle de la Grèce : un durcissement de l’opinion publique et une montée potentielle de la violence.

Crédits Photo FlickR CC European Parliament ; Jonathan Davis ; William Murphy

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Les jeunes Grecs entre compromission et anarchisme http://owni.fr/2010/12/17/jeunes-grecs-entre-compromission-et-anarchisme/ http://owni.fr/2010/12/17/jeunes-grecs-entre-compromission-et-anarchisme/#comments Fri, 17 Dec 2010 16:09:37 +0000 audreyminart http://owni.fr/?p=39585

Peut-on appeler ça des émeutes quand les jeunes qui manifestent rencontrent de telles difficultés sur le marché du travail ?

Le trésorier du syndicat des employés de la Banque nationale de Grèce lâche son constat avec un sourire gêné : la veille, la capitale était une nouvelle fois submergée par la révolte des jeunes Athéniens face aux mesures de rigueurs. Les images de l’agression de l’ex-ministre conservateur Costis Hadzidakis ont fait le tour du monde par petits écrans interposés. « Il s’agit plutôt d’actes désespérés… » Une réaction compréhensible de la part d’un syndicaliste… mais surprenante pour l’adhérent du parti conservateur qu’il est. Malgré la violence des dernières journées, une partie grandissante de l’opinion se range aux côtés des jeunes, victimes d’une autre forme de violence : celle du plan d’austérité qui les a frappé de plein fouet.

Obligé de plier face aux exigences des organisations internationales pour obtenir les 110 milliards d’euros d’aide, le Parlement grec a entériné mardi 14 décembre une vague de réformes d’une rigueur historique. Face à des employeurs désormais libérés de toute contrainte pour baisser les salaires et contourner les accords de branche, les Grecs ne peuvent plus compter que sur l’équivalent local du Smic (740€ brut soit 592 euros nets) et composer avec la hausse de la TVA, passée en deux ans de 6,5% à 13%. Sous le doux nom de Memorandum, ce « pacte » réserve aux moins de 24 ans une clause d’austérité supplémentaire sous la forme d’un salaire minimum à 540 bruts, soit environ 450 euros nets.

« Génération 500 euros »

« C’est un désastre », lâche dans un soupire, Natalia, 30 ans, diplômée en droit.

Nous sommes déjà épuisés, et il n’est même pas sûr que toutes ces réformes sauvent vraiment la Grèce de la faillite. Enormément de magasins ferment à cause des augmentations de taxes et du chômage… Mais si aucune activité ne subsiste, qu’allons-nous devenir ?

Après ses études et quelques stages gratifiés à hauteur de 500 euros dans des cabinets d’avocats, elle a fini par changer de voie pour se tourner vers la traduction et son lot de contrats précaires. « J’ai travaillé quelques temps avec Lunea, puis ils ont fait faillite à cause de la crise. Et là je travaille pour d’autres entreprises, mais je n’ai pas été payée depuis juillet… » Les meilleurs mois, elle plafonne à 400 euros, pas de quoi payer un loyer. Condamnée à rester dans la maison familiale, sa tentative de donner des cours à l’université est restée infructueuse : faute de budget, elle est passée de dix-neuf heures l’année dernière à seulement six pour celle-ci.

Derrière les 30% de chômage chez les 15-24 ans (contre 12,6% pour le total de la population active en Grèce en septembre dernier) se bouclent les temps partiels, emplois très précaires et autres formes d’intérim… Sans compter ceux qui sont recalés par une petite subtilité statistique : au delà de six mois d’inactivité, les actifs disparaissent purement et simplement des listes. Situation courante en Grèce dans les temps de crise. Et aucune formation n’y échappe, pas même les plus nobles. « Mes deux filles ont fait des études de médecine. Mon aînée travaillait depuis un an dans un hôpital, mais à cause des réduction de personnel, elle a été licenciée. », désespère Piter, chauffeur de taxi de 60 ans, qui doit désormais subvenir aux besoins de sa femme, qui ne travaille pas, et de ses feux filles… âgées de 35 et 37 ans.

Se rapprocher du parti majoritaire pour échapper à la rigueur…

Poussée dans ses derniers retranchements, Natalia pense user d’une facilité dont elle aurait préféré se passer : « Il me reste peut-être une solution : faire de la traduction de documents politiques. »

Paradoxe de la crise : se rapprocher du parti au pouvoir responsable de la politique de rigueur est devenu « le meilleur moyen de trouver un emploi », si l’on en croît la sociologue Andromaque Hadjighianni, du Centre National de Recherches en Sciences Sociales d’Athènes.

« Vous avez rencontré un membre du Pasok [le Parti Socialiste majoritaire, NdR] ? Surtout ne le croyez pas ! Ils mentent tous », prévient Diamond, 24 ans, sympathisant communiste, « esprit libre » selon ses termes. C’est avec un dégoût non dissimulé qu’il explique que sa sœur, après des études de journalisme, a fini par rejoindre le Pasok à 22 ans, parce qu’elle ne trouvait pas d’emploi. « Il est de plus en plus fréquent que les étudiants se rapprochent des partis politiques dès l’université, non pas par adhésion idéologique, mais bien pour trouver un emploi », confirme une jeune étudiante militante, préférant garder l’anonymat, qui manifestait mercredi.

Phénomène clientéliste (« je te donne du travail, tu me donnes ton vote ») que confirment en coeur sociologues et syndicalistes : « c’est un secret de polichinelle. » Même si les jeunes dénoncent d’une seule voix ces pratiques, ils sont de plus en plus nombreux à ne pas envisager leur avenir autrement que par ces compromissions…

L’anarchisme plutôt que la compromission

Dans les urnes, c’est la révolte qui prime avec une absentéisme massive des jeunes, en partie responsable de l’explosion de l’extrême droite lors des élections … d’octobre. Pour d’autres, le désintérêt politique atteint le refus pur et simple de la démocratie grecque sous la forme de l’engagement anarchiste.

« C’est important à saisir : les jeunes, quand ils sont de « gauche » en Grèce, sont anarchistes, explique Julie, Franco-Grecque, et familière du milieu. Donc un jeune anarchiste grec, ce n’est pas comme un jeune anarchiste français : c’est juste un type normal, comme on en rencontre des tas. » Un “type normal”, aussi bien capable de lancer des projectiles sur une police qu’il hait profondément ou de détruire un parking pour y planter les arbres d’un “parc auto-géré”, que de donner des cours de grec aux immigrants, d’organiser des évènements culturels ou encore de discuter calmement politique pendant des heures au café du coin.

Les émeutes qui ont eu lieu lors de la manifestation de mercredi, malgré leur violence, n’ont pourtant pas été parmi les plus dévastatrices. Il y a deux ans déjà, toute la Grèce avait été frappée par les émeutes après la mort du jeune lycéen Alexis Grigoropoulos, tué par un policier, événement devenu véritable emblème pour le mouvement anarchiste. « La crise et le chômage peuvent expliquer que certains choisissent l’activisme dur, avance Konstantinos Kanelopoulos, chercheur spécialisé dans les mouvements contestataires. Si les manifestations violentes sont nombreuses depuis 2002, elles n’ont jamais autant concerné de monde, et de jeunes. Si radicalisme et violence augmentent, je pense que cela se doit essentiellement à la répression d’un gouvernement corrompu et inefficace ». Une vraie et générale révolte de la jeunesse grecque serait-elle envisageable ? La seule réponse qui semble timidement, mais naturellement, venir à la bouche, autant des chercheurs en sciences sociales que des syndicalistes, mais aussi des jeunes, engagés ou non, est « probable ».

Jusqu’à faire douter, parfois, qu’ils n’espèrent pas au fond que les jeunes passent à l’action à leur place.

Photos : Audrey Minart.

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Braquage de crise : quand l’argent devient une arme anticapitaliste http://owni.fr/2010/12/02/bankrun-cantona-crise-quand-argent-devient-une-arme-anticapitaliste/ http://owni.fr/2010/12/02/bankrun-cantona-crise-quand-argent-devient-une-arme-anticapitaliste/#comments Thu, 02 Dec 2010 22:51:07 +0000 Sylvain Lapoix http://owni.fr/?p=37857

Billet publié initialement sur OWNIpolitics sous le titre : La révolution Cantona : une fausse solution à un vrai problème.

Techniquement impossible, le projet de fermeture massive de comptes proposé par Cantona resterait sans effet sur les banques et la désillusion des citoyens.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Des files d’attente de centaines de personnes devant les agences, le site de consultation des comptes en ligne inaccessible suite aux connexions répétées… En septembre 2007, la banque anglaise Northern Rock fut assailli par ses épargnants qui, pris de panique face à son effondrement sous les coups de la crise des subprimes, ont couru retirer leurs économies, de peur que la crise ne les avale: premier « bank run » depuis la crise argentine de 2001, ce mouvement de panique a dépouillé les comptes de Northern Rock d’un milliard de livres sterling en deux jours. Une performance historique que l’ex-attaquant de Manchester Eric Cantona voudrait reproduire le 7 décembre pour punir les banques fauteuses de crise. Et qui, malgré un buzz conséquent, n’effleurera même pas la plaque du siège de la BNP.

Tout commence le 8 octobre 2010, dans un canapé anonyme où, affalé, Eric Cantona disserte face à la caméra de Presse Océan sur les mouvements de grève qui se succèdent dans le pays : selon le footballeur à la retraite, les millions de Français qui sortent dans la rue font fausse route, voire retournent l’idée contre eux-mêmes.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

La révolution serait « très simple à faire » : le système tournant autour des banques, « il peut être détruit par les banques » et, pour ce faire, les manifestants n’auraient qu’à « retirer leur argent et les banques s’écroulent ». Un syllogisme assez séduisant pour convaincre 30 000 personnes de rejoindre le groupe Facebook proposant de retirer tout son encours et fermer ses comptes épargnes le 7 décembre :

  • les banques tirent leur pouvoir de l’argent ;
  • les clients détiennent l’argent ;
  • les clients détiennent le pouvoir sur les banques.

Un raisonnement presque aussi simple et limpide qu’il est faux.

Une (impossible) pichenette de moins de 0,3% dans l’édifice bancaire français

Pour commencer, personne ne pourra « clôturer » tous ses comptes le 7 décembre pour des raisons légales : la loi recommande pour commencer d’adresser une lettre en recommandé à la banque pour réaliser l’opération, dont la réception ouvre un délai de préavis de un à trois mois… Et ceci pour chaque compte. Quant aux limites de retraits, elles ne permettraient guère les fuites : pas évident de retirer des dizaines de milliers d’euros avec sa Mastercard à coup de 300€ par semaine. Même au guichet, la limite est fixée pour la BNP à 2 000€ (pouvant être levée à 3 000€). Au delà (et jusqu’à 8 000€), l’avis préalable du guichetier est indispensable.

Beaucoup d’agitation pour pratiquement rien: car, quand bien même les 30 000 personnes retiraient en un même mois tout leur encours (à moins de disposer de sommes considérables sur leurs comptes), les quelques dizaines ou centaines de millions n’affecteraient pas le moins du monde les banques visées, d’autant plus qu’elles s’étaleraient sur plusieurs établissements.

« Une telle initiative ne poserait problème que si les banques étaient limite en réserve, or c’est exactement l’inverse en ce moment, insiste Alexandre Delaigue, professeur d’économie à Saint Cyr et à l’ENSAM, animateur du blog Les Econoclastes. Le crédit est restreint et les banques sont noyées sous les liquidités apportées par les banques centrales. Les banques n’auraient qu’à se contenter de retirer sur leur compte à la banque centrale pour compenser la demande de billet. » On est donc bien loin de l’agonie financière de Northern Rock.

Dans l’hypothèse (absurde, donc) d’un retrait individuel de 30 000€ par « bank runner », les 900 millions soustraits aux caisses seraient vite remplacés et ne pèseraient qu’une goutte d’eau dans les 269 milliards d’encours total des comptes et produits d’épargne des ménages (source : banque de France, septembre 2010), qui ne sont eux-même qu’une partie de l’argent des banques.

La seule conséquence réelle de ce « bank run » serait de mettre en grande difficulté de paiement chacun des « révolutionnaires » ayant eu l’idée de suivre Cantona : selon la Fédération des banques françaises, les virements constituent en valeur 83,2% des transactions en valeur opérées en France. Sans compte en banque, plus moyen de percevoir son salaire, de faire son virement EDF, de recevoir les prestations sociales… Dans les faits, l’idée de Cantona mise en œuvre par une poignée de révoltés se retournera bel et bien « contre eux-mêmes ». Encore faudrait-il que les candidats au syphonage ne soient pas trop endettés : difficile de dire à son conseiller Société générale de fermer les yeux sur un emprunt immobilier ou auto pour aller courir après “King Eric”…

Illusion des effluves de « l’argent magique »

Malgré l’évidence de cet échec, la « révolution à la Cantona » agite les médias comme les politiques : Christine Lagarde elle-même s’est sentie de prendre la parole contre le footballeur, bien vite contrecarrée par Cécile Duflot… Même Baudoin Prot, pourtant assuré par les milliards des divers plans de relance de la BNP, s’est fendu d’une critique. Car, en miroir de cet espoir de changer les choses, cette poussée de fièvre révèle surtout l’incapacité d’agir sur le système.

Les tours Société Générale à La Défense

« En dehors des critiques habituelles qui se sont amplifiées, une idée vient de plus en plus souvent à la bouche des clients quand ils sont en agence : que l’augmentation des tarifs en agence de détails servent à payer les bonus des traders, qu’on leur faire « payer », la crise »

Auteure d’une thèse sur la sociologie de la banque et de ses clients, Jeanne Lazarus (doctorante à l’EHESS) a observé l’évolution des rapports tendus dans les locaux même des banques et constate un changement dans la perception de l’économie : « les sociétés occidentales ont le sentiment d’avoir une connaissance de plus en plus aiguë des phénomènes économiques : à force d’entendre parler de la crise, tout le monde se prend pour le gouverneur de la Réserve fédérale américaine, un peu comme chacun s’imagine sélectionneur de l’équipe de France pendant le Mondial, explique la sociologue. L’idée de Cantona est une présentation rapide et simpliste des processus économiques mais chacun à envie d’avoir un avis. »

Dans son association entre un geste simple (retirer son argent) et la résolution d’une injustice pénible (le syphonage de l’économie au profit de banques fautives), la « révolution Cantona » a tout le charme de la « pensée magique » : traversons le passage clouté à cloche-pied sans tomber et tout ira mieux.

Une fois de l’autre côté de la rue, rien n’a changé. Pire : nous y avons cru et devons retourner à notre triste impuissance.

Une solution enfantine à la désillusion des plans proposés par les États

D’autres initiatives se sont proposées de retourner contre le système sa propre force. Parmi elle, l’idée ingénieuse de l’ancien trader de Lehman Brothers Mike Krieger : pour abattre la très puissante banque d’affaires JP Morgan, il propose que chaque Américain (bien qu’une centaine de millions suffise) débourse 25 ou 50$ pour acheter une petite pièce d’argent. Pourquoi ? Afin de faire exploser le prix du métal précieux, sur lequel JP Morgan spécule à la baisse depuis des mois, au point d’attirer l’attention des régulateurs financiers : détenteurs de quantités monstrueuses (1/3 du marché selon certaines estimations), les financiers seraient obligés de « garantir » le prix de leur ressource à coup de milliards… Une manœuvre à même de couler la banque d’un seul mouvement ! Une solution ingénieuse mais bien plus complexe à expliquer au grand public que le simpliste « bank run » de Cantona.

Le succès de la proposition tombe en fait au meilleur moment pour parler à tout un chacun : frappés par la crise un premier coup, les Français et leurs voisins européens voient désormais arriver la rigueur comme une lame de fond, à laquelle s’ajoutent les torrents de dettes grecques et irlandaises… Dans un élan commun, des millions ont arpentés les rues, sacrifiant leur temps et leurs congés pour abattre la réforme des retraites. En vain.

Un peu à la manière des promesses vides concernant l’environnement, une « urgence » systématiquement remisée depuis plus de 10 ans, le besoin de communiquer sur la « résolution » de la crise à chaque nouveau sommet a fini par s’user : le G20 de Londres promettait de l’emploi, de la sécurité… Et voilà que l’augmentation du Smic sera limitée au minimum légal. Les seuls sauvés sont les établissements financiers.

Les clients répètent souvent ce genre d’accusation : « vous êtes dur avec moi mais vous prenez des risques inconsidérés sur les marchés » est une attaque courante des clients contre leur conseiller qui leur refuse un crédit, rapporte Jeanne Lazarus. En fait, la financiarisation de l’économie a eu des effets très importants sur la vie quotidienne des gens.

Désorientés, livrés seuls face à leur injustice, certains en viennent à écouter Éric Cantona pour savoir comment résoudre la crise par un moyen magique. Une solution qui, en plus d’être inefficace, délaisse le problème fondamental d’une dépendance aiguë au système financier qui tient à sa merci chaque épargnant de la naissance à la tombe, de son prêt étudiant à son emprunt immobilier.

Le lendemain de la sortie de la vidéo mourrait Maurice Allais, seul prix Nobel d’économie français : moins médiatisé que le footballeur, il avait eu le tort de critiquer un peu trop tôt les traders, les banques qui misaient avec de l’argent qui ne leur appartenait pas sur des marchés dont elles entretenaient l’instabilité. Republiée par Marianne, sa dernière analyse de l’effondrement du système bancaire clamait sans détour que crise et mondialisation étaient liées et soulignait que des « tabous indiscutés » depuis des années nous avaient tous menés dans ce même bateau avec les économies occidentales et les banques (même si ces dernières ont su en tirer de nouveaux bénéfices).

Avant que la prochaine crise ne nous prenne de cours, il est encore temps de délaisser les vidéos de Cantona pour lire les thèses bien vivantes de ceux qui se sont inquiétés avant lui et ont préconisés de vraies solutions.

Photo FlickR CC : William Grootonk ; Thinkpanama ; Alpha du Centaure.

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Irlande: les banques veulent les intérêts et les primes d’intérêts de la crise http://owni.fr/2010/11/29/irlande-les-banques-veulent-les-interets-et-les-primes-interets-de-la-crise-pret-cds/ http://owni.fr/2010/11/29/irlande-les-banques-veulent-les-interets-et-les-primes-interets-de-la-crise-pret-cds/#comments Mon, 29 Nov 2010 15:52:09 +0000 Paul Jorion http://owni.fr/?p=37289 Plusieurs choses à dire sur l’aide à l’Irlande. Je commence par quelques principes généraux.

Quand un pays connaît des difficultés de dette ou de déficit publics, les taux dont il doit s’acquitter pour des emprunts de diverses maturités s’élèvent. Il s’agit là d’une règle générale qui s’applique bien entendu à tout emprunteur, État, société ou particulier. Cette hausse a pour cause ce qu’on appelle le « risque de crédit », autrement dit, le risque de non-remboursement. Quel en est le mécanisme ?

En raison du risque de non-remboursement, l’emprunteur inclut dans le taux qu’il réclame une prime de risque : en réclamant un taux d’intérêt plus élevé qu’il ne serait normal s’il n’existait aucun risque de ne pas voir l’argent avancé lui revenir, le prêteur se constitue une cagnotte dont l’objectif est de couvrir, statistiquement, le risque qu’un jour l’un de ses emprunteurs ne pourra pas payer la somme ou ne la remboursera que partiellement. Les produits dérivés appelés Credit-Default Swaps (CDS) sont là pour évaluer le risque de défaut : celui qui court un risque est bien motivé en effet à l’évaluer correctement.

Sauf que l’on peut contracter un CDS sans être exposé à un risque (position « nue »), juste pour le plaisir de parier sur le malheur d’un État et gagner de l’argent sur le malheur de sa population (Ouh ! les vilains ; voir l’entretien avec Pascal Canfin, à propos de son initiative contre les CDS « nus », aujourd’hui dans Les Échos).

Pas touche aux primes des banques !

Ceci étant compris, quatre questions se posent :

Première question
Comment expliquer alors l’indignation de candidats prêteurs [les banques et organisations financières, NdR] à la suggestion de l’Allemagne qu’à partir de 2013, les prêteurs à un État de la zone euro pourront être à mis à contribution en cas de difficultés pour l’emprunteur, sous la forme d’une restructuration, d’une baisse du taux ou d’un rééchelonnement de la dette, puisqu’il s’agit de l’éventualité précisément couverte par l’inclusion d’une prime de risque (parfois considérable) dans le taux d’intérêt ? Ces investisseurs considèrent-ils que la surcote du taux de la dette d’État est un cadeau qui leur est simplement accordé ? La réponse est oui : ils n’ont jamais alimenté de cagnotte avec cette surcote, ils ont pris la mauvaise habitude de la considérer comme une aubaine pure et simple.

Deuxième question
Pourquoi l’Irlande ou la Grèce doivent-elles accorder des taux élevés (Euribor 3 mois + 3,5 %) aux pays européens qui leur viennent en aide puisque le mécanisme mis en place a pour but d’empêcher qu’elles fassent défaut, ce qui signifie que le risque de crédit est réduit à zéro, et qu’il n’y a donc aucune justification à l’inclusion d’une prime de risque dans le taux réclamé ? Ces nations prêteuses considèrent-elles que la surcote du taux est un cadeau qui leur est simplement accordé ? Même réponse que plus haut : il n’y a pas de petit profit (surtout s’il est gros, comme dans ce cas-ci !).

Un « compromis » pour tuer toute sécurité

Troisième question
Pourquoi appeler « compromis » le fait qu’après avoir dit qu’à partir de 2013, les prêteurs de la zone euro seront éventuellement exposés à une restructuration de la dette des États, on ajoute que les situations seront examinées « au cas par cas » ? C’est difficile à dire puisqu’il ne s’agit pas d’un compromis mais de l’ajout d’une clause qui émascule complètement le principe général, le « cas par cas » rendant la règle totalement inapplicable puisque fondée sur l’arbitraire. L’incertitude du prêteur sera totale sur ce qui l’attend ! A-t-on entendu parler au niveau le plus élevé où ces décisions se prennent, de la surcote d’incertitude qu’exigent les marchés ?

Quatrième et dernière question
Les « stress-tests », les fameux tests de résistance des banques européennes ayant été faits en excluant l’hypothèse d’une restructuration de la dette d’un quelconque pays de la zone euro, doivent-ils être refaits maintenant que la restructuration est envisagée ? La réponse est oui.

(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.

Billet publié initialement sur le blog de Paul Jorion sous le titre BFM RADIO, LUNDI 29 NOVEMBRE A 11h39 – COMMENT GERER LES CRISES, A L’AVENIR.

Photo FlickR CC Andrew Mager ; William Murphy.

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L’Université de New-York supprime des matières http://owni.fr/2010/10/11/luniversite-de-new-york-supprime-des-matieres/ http://owni.fr/2010/10/11/luniversite-de-new-york-supprime-des-matieres/#comments Mon, 11 Oct 2010 16:45:31 +0000 Isabelle Delannoy http://owni.fr/?p=31127 Le week-end dernier, les professeurs et étudiants de l’université de l’État de New York (université publique, la SUNY) appartenant aux départements des langues classiques, de langue et littérature française, italienne, russe et de théâtre ont appris que leurs disciplines allaient être tout simplement supprimées. C’est en fin de semaine, vendredi tard dans l’après-midi (traduisez : quand il n’y a plus personne) et sans prévenir que le président de l’université, George M. Philip, l’a annoncé lors d’une réunion. Certains des professeurs concernés, qui se détendaient tranquillement pendant la pause dominicale l’ont même appris par des amis habitant à Paris ! C’est en effet un étudiant qui a fait fuité la nouvelle ainsi que l’intégralité de la lettre du Président à ses collègues à la télé CBS6.

Motif ? C’est la crise (et là, vous et moi commençons à nous sentir un peu concernés) : l’état de New-York réduit ses budgets et l’Université semble en première ligne : 39 millions de dollars sucrés en 2 ans.

Sombre logique économique…

Alors le Président a finalement décidé de tailler dans le vif et de supprimer ces départements, ne laissant plus en langue étrangère d’origine européenne que l’espagnol. Après tout c’était arrivé avec le département de langue et littérature allemandes en 1992, pour la même raison : restriction budgétaire. Certains professeurs ont bien espéré que cela reviendrait, mais bon…. Ils attendent toujours.

Pourtant, ça peut être utile l’allemand. Pas seulement pour les échanges industriels, simplement pour saisir des choses, comme des trucs culturels. Vous voyez Faust, Goethe tout ça… Pour réaliser la dimension faustienne à laquelle notre civilisation est arrivée, avoir lu Goethe, ça donne des idées. Et quand on est ingénieur par exemple, ou biochimiste, ou encore qu’on vous enseigne la manipulation de l’ADN, avoir lu Faust c’est pas mal. Ca donne du recul… De la même façon, Les littératures, grecques, latines françaises et russes ne sont pas n’importe quelles littératures. Elles ont eu un rôle dans l’histoire et ont contribué à fonder des valeurs et un imaginaire commun à de nombreuses nations.

Créativité et transdisciplinarité

A SUNY, Ce sont bien ces matières transversales qui sont supprimées. Des matières qui ouvrent l’esprit à notre histoire collective, mais aussi à d’autres cultures, à d’autres visions du monde, à d’autres  peuples… La créativité et le recul sur sa propre activité se nichent justement là où on ne les attend pas, dans la rencontre avec l’autre, avec l’inconnu… La créativité se niche dans les liens et les passerelles.

Il y a quelques jours j’écrivais un article sur les indicateurs de la biodiversité au service des entreprises et j’expliquais que l’une de nos limites est justement notre potentiel créatif liée à notre amour du quantitatif, des chiffres, du simplifié. De la même façon, Jean Pierre Dupuy, un des plus grand philosophe actuel pour penser la crise, appelle dans un article publié en 2007,« du bon usage des catastrophes »,  à notre capacité à imaginer à créer des scénarios pour l’avenir afin d’offrir à la collectivité des moyens de se projeter dans l’après catastrophe pour pouvoir la surmonter… Comme il le dit lui-même, quelles matières plus fécondes que littéraires peuvent le mieux nous y projeter ?

Notre potentiel créatif ne se niche plus dans la technique et le dialogue avec ses seuls pairs. Il se développe dans la trans-disciplinarité. Et parce que notre civilisation technique montre ses limites, l’appel aux disciplines littéraires, philosophiques sociales… est urgent et requis.

Une crise… intellectuelle ?

C’est la crise. Alors on taille. Et l’Etat de New York diminue ses budgets pour l’université….

Oui mais affronte-ton n’importe quelle crise ? L’an dernier Henry Kissinger déclarait “Never have so many transformations occurred at the same time in so many different parts of the world” en appelant à réfléchir et construire un nouvel ordre mondial.

Est-ce en rognant les budgets misant sur notre plus grand potentiel, l’intelligence de la nouvelle génération, que nous nous armons pour affronter une telle situation ? Non.

Ce qui se passe dans l’université SUNY est à l’image de ce qui peut nous arriver demain, partout : faire céder les derniers bastions de la possibilité d’une réflexion transdisciplinaire, holistique et global mettant au centre l’homme,  apprenant de son histoire, et de sa diversité. Et continuer la voie sur laquelle nous sommes lancés à pleine vitesse depuis trois siècles, la prépondérance de la  vision techniciste du monde. Et poursuivre droit dans le mur.

Des appels à conserver ces départements menacés de langues classiques, langue et littérature française, italienne, russe et de théâtre vont s’organiser et être lancés. Nous vous tiendrons au courant. Lorsqu’une université d’une telle ampleur que SUNY prend de telles décisions, elle légitime les mêmes décisions pour d’autres universités dans l’avenir, y compris les nôtres. Nous soutiendrons donc de notre côté ces appels.

> Dans l’attente et pour en savoir plus, de nombreuses réactions outre atlantique se font déjà entendre :

Sur des blogs, y compris de professeurs concernés  :

> Article initialement publié sur Eco-Echos et ecolo-info

> Crédits photos CC FlickR par Zephyrance – don’t wake me up. et Feuillu

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