OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 SOS, RH en détresse http://owni.fr/2011/10/20/sos-rh-en-detresse-groupe-sos-borello/ http://owni.fr/2011/10/20/sos-rh-en-detresse-groupe-sos-borello/#comments Thu, 20 Oct 2011 14:33:35 +0000 Sabine Blanc et Ophelia Noor http://owni.fr/?p=82886 « Ils m’ont jeté comme une vieille chaussette », résume, lapidaire, Jeanne. « Ils », c’est le Groupe SOS, géant de l’entrepreneuriat social, 4.000 salariés, 200 associations et entreprises, une croissance annuelle de 25% depuis 5 ans, et un crédo simple, « conjuguer utilité sociale et efficacité économique ». En clair : gérer le secteur social avec les méthodes du privé. Plus efficaces, peut-être, plus brutales aussi, si l’on en croit le parcours de Jeanne. Dans l’entretien qu’il nous a accordé, Jean-Marc Borello, le directeur général du Groupe SOS, conteste ce regard porté sur sa gestion.

Jeanne est une historique de Groupe SOS. À l’origine de cet empire venu de la nuit, on retrouve Régine, celle des P’tits papiers et des boîtes de nuit, qui fonde en 1984 SOS Drogue Internationale (SOS DI). Elle embarque dans l’aventure Jean-Marc Borello, un ancien éducateur passé au début des années 80 par la mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie. Entrée par la petite porte à une époque où le groupe est encore centré sur son cœur historique de métier, la toxicomanie, Jeanne suit le sillage flamboyant de Jean-Marc Borello, homme de réseau à la forte personnalité, dont le nom sera vite indissociable de la structure : « il a une ambition dévorante et on a envie de le suivre. En même temps, il a du charisme. » Fascinée et sincère : « J’ai suivi le mouvement, ça m’intéressait, le monde de la nuit et je me suis découvert un intérêt pour la population des toxicomanes. »

C’est la belle époque, celle des soirées du jeudi qui réunit les fidèles de Jean-Marc Borello, celle des sacrifices personnels, aussi :

On se couchait à 3-4 heures du matin, le lendemain, on pouvait arriver à midi, c’était pas un problème, on était cadre. On bossait fort aussi, attention. À un moment, c’est gavant. C’est quelqu’un qui vous suce un peu aussi. Ce n’est pas un affectif très sain, il fallait y être, et des fois j’y allais parce que je savais qu’il fallait que j’y aille. Il aimait à dire “c’est dans ces soirées-là que tout se décide”, j’avais une famille. On se laisse griser, c’est quelqu’un qui a de la prestance, qui aime les belles choses.

Les années passent, le groupe grossit sous la houlette de son leader, s’organise pour mieux concentrer le pouvoir en créant un GIE (groupement d’intérêt économique). Jeanne se sent de plus en plus en décalage. Un divorce affectif qui finira par un divorce tout court, d’autant plus violent qu’il vient après des années d’investissement :

C’est vrai que j’avais ce côté affectif alors je l’ai mal pris, surtout qu’on me disait “mais toi personne ne va te toucher”, peut-être que je l’ai cru. Mais la croissance du groupe fait des dommages collatéraux. Pas mal de cadres ont été licenciés dans les années 2003-2004.

Un point relevé par le rapport de 2005 de l’Inspection générale de la Ville de Paris (IGVP) sur le groupe SOS DI (p. 39, en gras dans le texte) :

170 départs sont intervenus parmi les salariés de SOS-DI en 2003 ; ce qui parait important puisque représentant plus d’un tiers de l’effectif global de l’association dont 18 cadres et 152 non-cadres.

On peut noter que sur ces 170 départs, sans les 99 fins de CDD, le taux de rotation s’établit à 13,9%, et prend en compte : 32 démissions (dont six de cadres), 29 licenciement (dont 7 de cadres), 4 mutations et une seule promotion, sont intervenus pour la seule année 2003.

« Ils n’aiment pas les prud’hommes »

Elle est licenciée pour faute grave, « en quinze jours », et son récit laisse plutôt apparaître des querelles de pouvoir.

Une illustration, selon elle, du décalage croissant entre la salariée et l’entreprise :

J’ai été licenciée parce que je ne convenais plus, des questions d’éthique. Je ne reconnaissais pas la ligne de conduite qu’il avait édicté et qui m’avait intéressé.

On ne trouve pas trace de ce licenciement pour faute grave aux prud’hommes : et pour cause, Jeanne l’a contesté et la procédure s’est terminée avec une conciliation : de guerre lasse, Jeanne accepte quelques dizaines de milliers d’euros et tourne la page. « Ils n’aiment pas les prud’hommes », confie-t-elle.

Étude de satisfaction des salariés

Interrogé sur ce témoignage, Jean-Marc Borello nous a renvoyé à l’étude Sextant de 2009, la troisième de ce type (2007 et 2005), qui fait la synthèse des 1.500 salariés qui avaient répondu au questionnaire, sur 3.000 (taux de réponse de 50,93%, dont 24% pour manque de visibilité sur l’importance de la participation, 22% pour manque absence de problèmes, 19% pour interrogation persistante sur l’anonymat des réponses, 13% pour manque de temps). « Vous avez un point de vue et que là vous en avez 1.500, c’est leur réponse. »

Qu’il y ait un ou dix ou cinquante salariés très mécontents, qui aient été virés, très certainement, si c’est ce que vous cherchez, vu l’angle que prennent vos questions. Franchement, je peux vous garantir que des salariés sont partis mécontents.

Cette étude indiquait que :

- 80% des salariés étaient satisfaits de leurs conditions de travail, soit une hausse de 7% par rapport à 2007.

- 80% étaient satisfaits des relations professionnelles qu’ils trouvent au sein de leur unité de travail, soit 12% de plus qu’en 2007.

- 76% étaient satisfaits de leur responsable hiérarchique direct.

- 68% pensaient qu’il sait motiver l’équipe, soit 10% de plus qu’en 2007

- 68% pensaient qu’il sait régler les conflits internes, soit 13% de plus qu’en 2007.

Lorsque nous lui avons fait remarquer que ce témoignage, par-delà le cas individuel, portait un regard sur l’évolution du groupe, il a répété :

Au bistro à côté, je suis sûr qu’il y a quelqu’un qui a un point de vue de l’évolution du groupe. Vous avez là le point de vue de 1.500 salariés sur le groupe.

De son côté, Jeanne est restée sur des regrets :

Il y a un regret de ce que c’est devenu. Le point de départ, c’est aider les gens dans la précarité. Les usagers et les éducateurs, au fil des ans, j’avais l’impression qu’ils ne représentaient rien pour l’association, il y avait du mépris. Moi j’étais dans les deux, proche du siège social, à l’époque à Saint-Denis, de tous ces gens qui arrivaient, on va regrouper la compta, et j’allais régulièrement sur le terrain, il y avait un décalage énorme entre le terrain et les gens du siège, même en terme de salaire, ça devenait indécent.


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Les cachotteries du Groupe SOS http://owni.fr/2011/10/20/les-cachotteries-du-groupe-sos/ http://owni.fr/2011/10/20/les-cachotteries-du-groupe-sos/#comments Thu, 20 Oct 2011 06:14:07 +0000 Sabine Blanc et Ophelia Noor http://owni.fr/?p=68286 En France, le Groupe SOS et ses 4 000 salariés passent pour le champion de l’entrepreneuriat social, acteur historique de la lutte contre la toxicomanie ou le logement précaire. Un industriel de l’aide sociale qui prend grand soin de son image.

Au mois de juin dernier, la chaîne LCP diffusait un documentaire hagiographique tout à la gloire du patron du groupe SOS, sobrement intitulé Jean-Marc Borello : ni Dieu, ni maître, ni actionnaire. Notre enquête sur l’ensemble de cette entreprise, qui regroupe près de 200 entités, montre cependant une autre facette, moins nette. Le groupe y apparaît comme un as du marketing dans le secteur de la misère sociale, pêchant parfois par opacité. Jean-Marc Borello conteste vivement cette critique, comme il nous l’a exprimé lors d’une interview particulièrement animée et que nous diffuserons dans les prochaines heures.

À en croire le site du groupe SOS, « des contrôles réguliers exercés par les pouvoirs publics ont témoigné du professionnalisme et de la transparence financière du Groupe SOS et au-delà, du choix des pouvoirs publics de faire de nos associations des partenaires privilégiés. » Et de citer ensuite des extraits de rapports pour prouver la véracité de ses dires.

Première offensive de la Cour des Comptes en 1998

Effectivement, les audits de 2009 sur deux de ses associations, JCLT (accompagnement de publics en difficulté) [pdf] et Crescendo (crèches et haltes-garderies) [pdf], faits par l’Inspection Générale de la Ville de Paris (IGVP), sont très positifs. Mais plus bas, on tombe sur d’autres rapports, nettement moins élogieux.

En 1998, la Cour des Comptes publie un rapport [pdf] relatif au dispositif de lutte contre la toxicomanie. Une partie est consacrée au contrôle de l’emploi des crédits publics, en prenant exemple sur trois associations, dont SOS Drogue Internationale (SOS DI), la structure « mère », fondée en 1984

Voici l’extrait qu’en a retenu le Groupe SOS pour son site : « Son expansion a été encouragée par les pouvoirs publics qui l’ont d’ailleurs sollicitée à plusieurs reprises pour reprendre la gestion d’associations en difficulté ou en voie de disparition ou pour mettre en œuvre des expérimentations. » OWNI, qui a lu tout le rapport, a sélectionné d’autres passages (pp. 102-104) :

Puissante et influente, l’association SOS DI agit souvent en relation directe avec l’administration centrale sans que les services déconcentrés de l’État soient toujours consultés, ni même informés.

La structure du groupe, qui mêle « des associations satellites, “sœurs” et des “filiales de gestion” » est pour le moins floue : « Alors même que les dirigeants de l’association ne contestent pas la nécessité de clarifier les relations entre les diverses entités de l’ensemble ainsi constitué et de pousser plus loin la consolidation des comptes, les outils nouveaux mis en œuvre ne répondent qu’imparfaitement à ces préoccupations. »

Enfin, au chapitre « Relations avec l’État », de nouveau, les inspecteurs tiltent sur l’insuffisance de la comptabilité, indispensable pour fixer au plus juste les subventions et dotations de l’État.

Rapport éloquent de l’IGAS

Un rapport de l’Inspection Générale des Affaires sociales (IGAS) rendu en décembre 1999 est ensuite cité sur le site du Groupe SOS : « L’activité et le service rendu aux publics concernés sont incontestables. » Le Groupe SOS se garde bien de préciser que c’est celui de la Cour des comptes qui l’a motivé. Et ils sont un peu énervés les inspecteurs car « la règle de l’improviste n’a pu être respectée » : l’association a été prévenue.

Jean-Marc Borello aime à répéter qu’il a appris la gestion d’entreprise en lisant un Que-Sais-Je, du temps où il était patron du groupe Régine (boîtes de nuit et restaurants). Apparemment, il en a saisi toutes les subtilités :

Ce manque de clarté et de rigueur dans la présentation des relations entre les diverses entités de l’ensemble est d’autant plus étonnant que les équipes du “groupe SOS” font preuve par ailleurs d’un savoir faire particulièrement sophistiqué, notamment dans la conception et la présentations des clés de répartition des charges au sein des membres constituant le GIE Alliance Gestion.  (p. 6)

« Difficultés considérables entre SOS Drogue international et les DDASS »

De par ses activités, le groupe SOS est amené à travailler avec les institutions publiques, et en particulier les directions départementales des affaires sanitaires et sociales (DDASS), intégrées depuis dans les ARS (Agence régionale de santé). Constatant la « concentration du pouvoir décisionnel », les inspecteurs de l’IGAS soulignent que « cette organisation centralisée [...] est à l’origine de difficultés considérables entre SOS Drogue international et les DDASS. » (p. 23)

Choix du personnel d’encadrement, demande de subventions : le directeur général Jean-Marc Borello joue de son réseau politique, qu’il a commencé à construire du temps où il travaillait à la MILT (Mission Interministérielle de contre la Toxicomanie) . Toujours au même chapitre (p24) :

En outre, certaines DDASS constatent avec regret le manque de transparence avec lequel l’association travaille. [...] Cette opacité dans la gestion de certaines structures et certaines anomalies comptables constatées ont conduit plusieurs DDASS à saisir une demande d’enquête d’autres administrations.

La politique d’expansion par reprise d’association n’est pas épargnée (en gras dans le texte) : « On ne peut que s’étonner du changement permanent de périmètre et de dénomination des structures, associations, groupements d’intérêt économique et sociétés commerciales composant le “groupe SOS”, qui rend, de fait, impossible le suivi des opérations financières menées par les différentes entités, en dépit des sommes considérables qui leur sont versées, année après année, directement ou indirectement, par les pouvoirs publics.

L’organisation très créative, au périmètre sans cesse modifié, ainsi mise en œuvre, aboutit à faire échapper au contrôle de l’État le suivi d’ensemble des flux financiers entre les diverses structures composant le “groupe SOS”. »

Le clou est enfoncé à la fin :

Les inspecteurs de l’IGAS maintiennent l’essentiel de leurs conclusions après les réponses du groupe SOS.

Et un rapport de 2005, absent du site

Quelques années plus tard, l’IGVP reprend quasiment mot pour mot ces conclusions, dans un rapport sur SOS DI [pdf], qui ne figure pas sur le site du Groupe SOS :

Soulignés par les rapports de l’IGAS-IGF (1999) et de la Cour des Comptes (1998), certains des aspects négatifs restent inchangés, voire accrus :

“La complexité des montages adoptés pour le Groupe SOS rend extrêmement difficile la lisibilité et le contrôle de leurs opérations par les services de l’État.”

“Cette complexité se trouve accrue par les changements permanents de dénominations et de périmètre des différentes entités.”

Et si le problème des relations avec les DDASS a été réglé, ce n’est pas par la bonne volonté du groupe mais par un changement de politique publique, « avec le transfert des financements de l’État vers l’Assurance Maladie, qui renforce l’autonomie de décision des DRASS et des CRAM. »


Au chapitre bizarrerie, l’IGVP note ainsi des erreurs comptables importantes :

« Les lignes de détails des comptes cumulés pour l’association SOS DI (soit pour l’ensemble de ses structures sur le territoire) font état de manière erronée de subventions très importantes de la part de la MILDT (7,960 Md’€ pour 2001, 4,533 M d’€ pour 2002 et 1,6 Md’€ en 2003) en plus de subventions de 7.626 euros et 20.114 euros en 2002.

La MILDT n’a en effet pas confirmé ces chiffres aux rapporteurs, faisant état globalement de subventions versées aux structures de SOS DI pour l’ensemble du territoire de 2,3 Md’€ et de 1,9 Md’€ respectivement, pour les années 2001 et 2002. Les mêmes types d’erreurs ont été constatées pour les subventions de la Ville de Paris. »

A qui la faute ? Au logiciel comptable a répondu SOS DI. On terminera avec ce passage (p. 107) :

L’analyse précise par les rapporteurs des dossiers comptables concernant les activités financées par la Ville de Paris s’est heurtée à certaines réticences du délégué général du Groupe SOS. De même en ce qui concerne l’examen des procès verbaux des AG et des CA de SOS DI, qui n’ont pu être examinés que sur place, sans photocopies.

Dans la série confiance…


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