OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Le retour des dirigeables, un fantasme qui en dit long http://owni.fr/2011/04/04/le-retour-des-dirigeables-un-fantasme-qui-en-dit-long/ http://owni.fr/2011/04/04/le-retour-des-dirigeables-un-fantasme-qui-en-dit-long/#comments Mon, 04 Apr 2011 06:30:17 +0000 Philippe Gargov http://owni.fr/?p=54771 Urban After All S01E11

Vous en avez peut-être entendu parler : du 12 au 20 mars, un dirigeable a survolé Paris pour en mesurer la radioactivité (peut-être le même que celui qui survolait les banlieues en 2005, qui sait ?). Un bon prétexte pour revenir, dans cette chronique, sur la possibilité de voir un jour les dirigeables retrouver leur lustre d’antan, et pourquoi pas remplacer les avions pollueurs et bruyants (et pas uniquement pour du fret [en], mais bel et bien pour du transport de voyageurs au long cours).

L’idée ne date pas d’hier. En 2004 déjà, l’expert Jacques Bouttes s’interrogeait sur le “renouveau des dirigeables”, rappelant au passage que le sujet fait “l’objet de discussions ayant le plus souvent un caractère plus affectif que rationnel” :

Le dirigeable est un engin qui fait rêver : le souvenir des Zeppelin et plus récemment la vue dans le ciel des dirigeables, porteurs de publicité, silencieux et majestueux, ont un impact médiatique considérable.

À l’instar du monorail dont nous parlait Nicolas il y a quelques semaines, le dirigeable jouit en effet d’une certaine aura “rétro” dans l’imaginaire collectif. Qu’est-ce que cela traduit quant à notre culture de la mobilité ?

Le charme discret d'un Graf Zeppelin de 1930.

Mythe ou réalité ?

Architectes et urbanistes sont les premiers à exploiter l’engin dans leurs visions prospectives. Le blog Transit-City répertorie d’ailleurs les exemples les plus emblématiques. Une “renaissance de vieilles utopies” (voire parfois du recyclage), allant des dystopies où le dirigeable sert de “témoin” [projet “London 2100” (2010), par Ángel Martínez García, qui imagine un Londres partiellement recouvert par la montée des eaux], à d’autres créations d’envergure où le dirigeable est au centre de la vision futuriste :

  • projet “Anemorphic Airship Docks” (2008) de l’étudiant Adam Holloway, encore pour Londres, et qui pose avec pertinence la question des infrastructures architecturales nécessaires à ce mode ;
  • projet “Airbia” proposé pour le concours ReBurbia [en]
  • d’autres exemples sur Transit-City…

Plus généralement, l’aura des dirigeables peut s’expliquer par sa forte présence dans la culture populaire. Les exemples sont nombreux, et pourraient couvrir une chronique entière (c’était d’ailleurs l’idée de départ, dans la lignée de mes activités sur pop-up urbain). Citons pèle-mêle (liste évidemment non exhaustive, n’hésitez pas à faire part de vos trouvailles en commentaires !) :

Mais c’est surtout Southland Tales (2006), film magistral de Richard Kelly, qui m’a inspiré cette chronique. Le film s’achève dans un scène d’anthologie, à bord d’un “Mega Zeppelin” survolant Los Angeles (attention, spoiler possible) :

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Si ces projets sont pour la plupart des créations d’anticipation, dont la fonction première est donc de faire réfléchir (sur la raréfaction des énergies combustibles, notamment), il n’en est pas moins légitime de s’interroger sur les possibilités de voir les dirigeables revenir sur le devant de la scène aéronautique. En effet, ce “renouveau” médiatisé des dirigeables n’a pas franchement rencontré le succès escompté. Comment l’expliquer ?

Guerre et paix

Selon Jacques Bouttes, l’échec des récents projets de “gros” dirigeables dans les années 2000 (ou plutôt leur non-concrétisation, car il s’agit plus souvent d’effets d’annonce peu réalistes) s’explique avant tout par le manque d’envergure des moyens mis en œuvre :

De ce fait, l’avenir des grands dirigeables ne peut s’envisager que si des industriels majeurs de l’aéronautique s’intéressent à ces nouveaux produits. Il faut, pour cela, d’abord évaluer le marché solvable, connaître les opérateurs potentiels, et enfin mettre en place des équipes et des moyens technologiques adaptés, d’un niveau industriel comparable à celui de l’aéronautique moderne. Toutes ces conditions n’ayant pas été remplies, il ne faut pas s’étonner des échecs récemment constatés.

Jusque là, rien que de très logique. Mais quelques lignes plus loin, la conclusion de l’expert laisse songeur :

L’avenir des grands dirigeables pourrait s’éclairer si les applications militaires étaient suffisamment intéressantes pour que les investissements nécessaires soient mis en place.

Dans un texte relativement critique, l’écologiste George Monbiot confirme cette hypothèse, finalement plutôt logique quand on connait le passif “militaire” des grandes techniques de notre époque (dans l’aéronautique en particulier dans un texte assez sévère à l’égard des dirigeable)s. Plus étonnant, même la pop-culture semble venir appuyer l’idée. Ainsi, les dirigeables de Batman ont une fonction sécuritaire de surveillance urbaine, et le Mega Zeppelin de Southland Tales est utilisé par l’armée US comme arme pour la “Troisième Guerre mondiale” imaginée dans le film (et fortement inspirée par l’après 11 septembre).

L’imaginaire des dirigeables semble donc marqué par une certaine “violence”. Plutôt étonnant, puisque les dirigeables sont justement considérés comme des modes “doux” et “silencieux”. On retrouve ici un paradoxe proche de celui que j’observais autour de la “ville mobile”, et qu’il m’est assez difficile d’expliquer. Est-ce lié au passé militaire des dirigeables ? À leur caractère imposant et donc visuellement plus “marquant” ?  Ou bien faut-il chercher plus loin, dans la psychologie de nos imaginaires mobiles (la vitesse et le bruit des moteurs longtemps perçus comme des valeurs positives, auxquelles ne répond donc pas le dirigeable) ? La discussion est ouverte…

La croisière s’amuse… entre riches.

En effet, l’autre versant de l’imaginaire que l’on rattache traditionnellement aux dirigeables est celui d’un transport apaisé, silencieux et non polluant. Transit-City, s’interrogeant sur les “mutations de l’aérien”, faisait ainsi une pertinente analogie entre paquebots et dirigeables comme possible avenir du tourisme :

“Les gens en ont assez d’être stressés, et nombreux sont ceux qui aspirent à une certaine lenteur”, constate ainsi le journaliste et grand voyageur Claude Villers, qui fait même le pari que si une compagnie relançait les dirigeables, il y aurait une clientèle pour ce type de transport.

C’est là, à mon sens, ce que nous apprend de plus significatif ce retour des dirigeables sur le devant de la scène. En effet, l’engouement pour ce mode de transport traduit une perception nouvelle de la mobilité : après des années de domination de la valeur “vitesse”, la lenteur regagne du terrain dans l’inconscient collectif, et le dirigeable en est un excellent témoin. Éloge de la lenteur ? Sûrement, et l’idée de ce “temps-croisière” trouve d’ailleurs un écho dans les modes de transport plus classiques, tel que le train ou le métro et bien évidemment l’avion.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Comme l’explique Transports du futur :

Dans la course à la vitesse quotidienne, il est probable que le temps libre et donc finalement la lenteur soit, sous une certaine forme, un luxe.

De là à dire que les dirigeables seront réservés à certains, il n’y a qu’un pas… que l’on peut s’autoriser à franchir, au vu des différents projets “réalistes” qui s’annoncent (hôtels volants et croisières de luxe, images de réceptions guindées comme dans Southland Tales, etc.). Faut-il en conclure que l’avenir des mobilités ne peut s’envisager qu’en termes sécuritaires et/ou d’exclusion ? Triste fantasme, que l’on tentera de démêler en imaginant d’autres perspectives plus “subversives”. Pour paraphraser la conclusion de Nicolas à propos du monorail : “il est temps d’imaginer d’autres formes possibles ou d’aller puiser dans d’autres imaginaires des espoirs nouveaux…

Image CC Flickr AttributionNoncommercialNo Derivative Works postaletrice et AttributionNoncommercialShare Alike romainguy

Chaque lundi, Philippe Gargov (pop-up urbain) et Nicolas Nova (liftlab) vous embarquent dans le monde étrange des “urbanités” façonnant notre quotidien. Une chronique décalée et volontiers engagée, parce qu’on est humain avant tout, et urbain après tout ;-) Retrouvez-nous aussi sur Facebook et Twitter (Nicolas / Philippe) !

]]>
http://owni.fr/2011/04/04/le-retour-des-dirigeables-un-fantasme-qui-en-dit-long/feed/ 20
Contre le mythe de la lenteur salvatrice, la “démobilité” ? http://owni.fr/2010/11/04/contre-le-mythe-de-la-lenteur-salvatrice-la-demobilite/ http://owni.fr/2010/11/04/contre-le-mythe-de-la-lenteur-salvatrice-la-demobilite/#comments Thu, 04 Nov 2010 13:01:03 +0000 Philippe Gargov http://owni.fr/?p=34665

La vitesse, c’est le mal

“La vitesse physique de déplacement vous fige. On est inerte, délatéralisé. Oui, les œillères, c’est la vitesse”, prêche Paul Virilio dans un entretien fleuve accordée à VICE. “Au secours ! Tout va trop vite !”, titre de son côté Le Monde Magazine pour résumer un peu hâtivement (lol) une excellente interview du sociologue allemand Hartmut Rosa, auteur d’un essai sur “l’accélération” de nos sociétés (La Découverte). Le rappeur Oxmo Puccino, enfin, complète notre trio de Sages avec ces lyrics tirées de Demain peut-être (vers 3’10”) :

“On se dématérialise, devenons matérialistes

Et on ne réalise pas que tout va si vite

Mais la vitesse n’emmène pas loin,

A quoi bon s’élever pour

Tourner en rond ?”

Point commun de ce podium “vitessophobe” ? Vous l’aurez compris : la vitesse c’est le mal, et le progrès technique est sans surprise jugé coupable de cette accélération vertement critiquée (ils ne sont évidemment pas les seuls). Il serait difficile de leur donner tort, du moins sur le constat. À vrai dire, comment pourrait-on contredire Hartmut Rosa quand il rappelle que “le temps a anéanti l’espace. Avec l’accélération des transports, la consommation, la communication, je veux dire “l’accélération technique”, la planète semble se rétrécir tant sur le plan spatial que matériel. Des études ont montré que la Terre nous apparaît soixante fois plus petite qu’avant la révolution des transports. Le monde est à portée de main.” Thank you, Captain Obvious ! Car la critique de la vitesse fait rarement dans la subtilité, et nos sages enfoncent des portes grandes ouvertes.

Les remèdes à ce “mal de vitesse” tombent dans ce schéma sous le coup de l’évidence : tout va trop vite ? ralentissons ! “En ralentissant, vous redonnez du champ”, dit Virilio – et il a bien raison. Oui, car fustiger les détracteurs de la vitesse n’en fait pas de moi son défenseur, bien au contraire. La lenteur est vertueuse, et j’avais déjà fait part de mon opinion sur le sujet dans un texte écrit à l’époque pour le Groupe Chronos : “Prenez le temps d’aller lentement”. Mais alors, me direz-vous, pourquoi diable vous parlé-je de tout ça ? parce qu’il me semble que Virilio ou Rosa se trompent d’ennemis, en se focalisant sur la vitesse et l’accélération.

À marche stressée

À trop axer son discours sur la lenteur comme “remède miracle”, il me semble que l’on ne se pose pas les vrais questions. La lenteur, d’abord, souffre de la largesse de ses définitions. Qu’appelle-t-on “lenteur”, au juste ? Certains évoquent ainsi, pêle-mêle, le tramway, le bus, le vélo ou la marche. Autant de modes aux vitesses sensiblement différentes. La vitesse urbaine moyenne étant aujourd’hui plafonnée à 25 km/h, peut-on vraiment parler de lenteur lorsque l’on est en bus ou en tramway, voire en vélo (les habitués dépassent les 20 km/h moyens) ?

Reste la marche, seule véritable “mode lent” ; elle était justement l’invitée d’honneur d’un forum Chronos auquel j’ai pu assister hier matin (cf. mon compte-rendu : Walkability is in da place). Logiquement, la lenteur y tenait une place de choix. Jusqu’à ce Jean Grébert (Renault) rappelle depuis l’assistance que la marche n’était pas forcément le mode poétique et contemplatif se dessinant entre les lignes de cette “lenteur salvatrice”. Car la marche peut aussi se faire dynamique et tonique lorsqu’elle est subie (ou simplement lorsque l’on n’envisage pas la marche comme un mode au ralenti : cf. mon éloge du “slalom urbain” dans Eyeshield 21).

Hartmut Rosa reproche ainsi à la vitesse de limiter notre capacité à consommer l’espace traversé furtivement : “L’accélération technique s’accompagne très concrètement d’un anéantissement de l’espace en même temps que d’une accélération du rythme de vie. [...] Cette accélération des rythmes de vie génère beaucoup de stress et de frustration. Car nous sommes malgré tout confrontés à l’incapacité de trop accélérer la consommation elle-même. C’est là un des stress majeurs liés à l’accélération du rythme de vie : le monde entier nous est offert en une seconde ou à quelques heures d’avion, et nous n’avons jamais le temps d’en jouir. [...] Cette rapidité et cette proximité nous semblent extraordinaires, mais au même moment chaque décision prise dans le sens de l’accélération implique la réduction des options permettant la jouissance [de l’espace] traversé”. Mais le ralentissement du transit, par exemple par la “mise en marche”, garantira-t-il pour autant la possibilité de “consommer” le territoire ? Rien n’est moins sûr ; car même ralenti, le courant du mouvement emporte le passant vers ses obligations. Dans ces situations, les “œillères” de Virilio restent belles et bien présentes…

Or, et c’est là que le bât blesse, la marche subie est aujourd’hui majoritaire, puisque incluse dans chacun de nos déplacements quotidiens “sous pression” (courses, domicile-travail, rendez-vous, etc.). Que reste-t-il alors des vertus enchanteresses de la marche ? Du vent, mais du vent lent. Ça nous fait une belle jambe. Il faut donc changer de regard, c’est-à-dire d’ennemi dans le viseur.

“Rejoignez l’mouvement”, qu’ils disaient…

Et si le vrai problème n’était pas dans la vitesse/accélération du mouvement, mais dans le mouvement lui-même ? Nos sociétés sont fondées sur l’idée que le mouvement – qu’il soit rapide ou non, soutenable ou non, vivable ou non – est nécessairement positif. C’est palpable dans le discours sur la lenteur, qui ne remet jamais en cause le “pourquoi” du déplacement, en se focalisant sur le “comment”.

Il suffit de jeter un œil aux slogans publicitaires pour en prendre la mesure… au hasard, en se rendant sur le tumblr “Rejoignez le mouvement” qui recense toutes les marques usant et abusant de la formule, des plus attendus (le mouvement étant justement leur argument de vente : Peugeot, Playstation Move…) aux plus surprenants (le Mouvement des Chrétiens Retraités, SRSLY ?!). La formule n’est qu’un des nombreux avatars de ce “dogme du mouvement” (qui fait écho au “dogme du flux” de Bruno Marzloff). Il est loin d’être le seul, et les exemples pourraient remplir un autre tumblr.

Citons ainsi l’Institut pour la Ville en Mouvement, dont l’appellation résume tout des enjeux qui la sous-tendent ; ou le géographe Michel Lussaut qui rappelle que “se tenir immobile dans notre société est considéré comme une remise en cause de la ‘norme sociale puissante’ à l’heure de la mobilité permanente” (via) ; ou encore le philosophe Zigmunt Bauman lorsqu’il propose un angle d’attaque aussi simple que pertinent : la métaphore du “liquide” pour décrire le basculement de nos sociétés dans “l’ère du flux” qui ne connaît “qu’un seul interdit : s’arrêter, faire la pause, se retirer de la course à l’éphémère”. Hors du mouvement point de salut, en somme. Sauf si… ?

Le mouvement ? Faites-le taire !

N’est-il pourtant pas nécessaire de remettre en cause cette “mobilité” trop souvent incontestée, ou du moins d’en questionner la légitimité ? Car les maux décrits par Rosa ou Virilio ne sont pas tant ceux de la vitesse que ceux du mouvement en général, du “liquide” qui rend chaque seconde plus friables nos certitudes et perceptions du quotidien (stabilité de nos relations sociales et professionnelles, par exemple). En termes de déplacement physique, c’est bien les trajets subis qui sont en ligne de mire ; et peu importe qu’ils soient lents, rêveurs ou ludiques s’ils sont vecteurs de stress et de pression. Le remède est dès lors tout trouvé : si la mobilité est la cause, il ne reste qu’à s’en affranchir. C’est certes très binaire, mais ça a le mérite d’être moins largement diffusé.

Cette voie de sortie existe bel et bien ; on la baptisera “démobilité” (note : j’emprunte l’usage de la formule à Chronos). L’écho à la décroissance est volontaire : de même que l’on ne pourra continuer sur ce modèle de consommation bien longtemps [“Si nous continuons sur ce rythme de ‘croissance’, nous aurons besoin de deux planètes en 2030”, selon le Living Planet Report 2010 de WWF. Via.], nous ne pourrons soutenir encore longtemps l’inflation de mouvement qui caractérise nos quotidiens. La formule choisie est donc volontairement choc ; plutôt logique, puisqu’elle propose ni plus ni moins de limiter nos mouvements subis (la précision est ici nécessaire, afin de faire taire l’argument du “droit à la mobilité”), autrement dit de diminuer le nombre de raisons de se déplacer.

“L’organisation du travail est évidemment en arrière-plan car elle conditionne la mobilité, tant subie que choisie”, expliquait Chronos en ouverture d’un forum consacré au sujet (Mobilités et démobilités se conjuguent). Plus généralement, c’est toute l’organisation de notre quotidien qui est à revoir. Le mouvement est déjà lancé, avec le retour des commerces dits “de proximité” dans les centres-villes. De simples initiatives font parfois l’affaire : ainsi, un point de livraison Kiala ou Cityssimo limitera les contraintes temporelles qu’imposeraient autrement l’e-commerce au jeune urbain dynamique type.

Le télétravail, c'est la santé.

Le numérique, un levier essentiel

Logiquement, le numérique est un levier essentiel de ces “démobilités” : télétravail, e-commerce, e-administration etc., autant de pratiques permettant d’étouffer l’inflation des déplacements subis qui caractérise nos ‘vies mouvementées’. Mais elles ne feront pas le travail toutes seules, incapables de supplanter en un claquement de doigt des pratiques professionnelles ou de consommation bien ancrées dans nos routines. L’urbanisme est la clé. La responsabilité du modèle périurbain sur l’explosion de nos déplacements subis est désormais bien connue, et partagée par tous. Sans un meilleur maillage du territoire par les points de livraisons, les télécentres, etc., aucune de ces pratiques de”‘substitution numérique” n’aura de véritable effet. “La Datar estime que c’est le maillage du territoire qui devrait assurer le succès d’un réseau de télécentres”, selon Les Échos qui s’interrogent sur le faible développement du télétravail en France.

Une utopie réaliste, donc. Mais une utopie quand même, dirons certains. Car cela implique de rompre définitivement avec les modèles économiques qui font tourner le monde (“liquidité” des capitaux et des hommes). Comme l’explique l’architecte urbaniste André Lortie :

“Souhaite-t-on se donner les moyens de pouvoir continuer à étendre les grandes villes indéfiniment sur la base de faibles densités [...], ou vise-t-on une occupation du sol raisonnée qui soit plus respectueuse des équilibres entre urbain et non-urbain ? Si le second terme doit être réellement pris au sérieux, il importe de mesurer ce que cela signifie d’un point de vue économique, dans la mesure où la croissance est en partie déterminée par ce choix.

Circuits courts et concentration urbaine induisent une autre forme d’économie que celle de la production de biens manufacturés dont une partie permet de pallier l’appauvrissement urbain induit par une forme d’occupation du territoire expansive et sous-densifiée. La décision n’est pas économique, elle est politique.”

Mais est-on prêt à faire un tel choix ?

Images Marion Boucharlat pour OWNI, CC Flickr Andrew Tallon, maantas et Scumfrog

Une Marion Boucharlat pour OWNI

]]>
http://owni.fr/2010/11/04/contre-le-mythe-de-la-lenteur-salvatrice-la-demobilite/feed/ 14
Revendiquer un “droit à la ville” hors de toute rentabilité http://owni.fr/2010/09/21/revendiquer-un-%e2%80%9cdroit-a-la-ville%e2%80%9d-hors-de-toute-rentabilite/ http://owni.fr/2010/09/21/revendiquer-un-%e2%80%9cdroit-a-la-ville%e2%80%9d-hors-de-toute-rentabilite/#comments Tue, 21 Sep 2010 07:34:33 +0000 Sylvain Lapoix http://owni.fr/?p=28710 A l’occasion d’un colloque organisé par Paul Ariès sur le thème Ralentir la ville, vous avez évoqué l’oeuvre du sociologue Henri Lefebvre. En quoi vous semble-t-elle utile à la compréhension des évolutions de la ville ?

Actuellement, la majeur partie de la population mondiale vit dans des mégalopoles en Asie et en Afrique. C’est ce que Henri Lefebvre décrivait déjà dans les années 1970 comme la “révolution urbaine”. A l’origine, il était sociologue rural mais, en perdant ses travaux sur les conflits sociaux dans les campagnes, il a décidé de travailler sur la ville : dans ses Pyrénées, il a vu apparaître l’une des premières villes nouvelles, Mourenx, et à commencer à appliquer à l’espace urbain une lecture rigoureuse, inspirée du marxisme qui l’a amené au constat de “l’implosion-explosion” de la ville.

Comment définissez-vous “l’implosion-explosion” de la ville ?

Il s’agit du mouvement par lequel la ville se déstructure, à la manière de Paris à l’approche des années 1980 : un centre de monument dont la visite est réservée à une élite, une hausse vertigineuse des loyers, la constitution de banlieue où la violence explose… La culture et le lien social y deviennent des luxes, les commerces se multiplient mais les librairies et les espaces verts disparaissent peu à peu. La rue n’est plus un lieu social mais un lieu de rentabilité. La ségrégation urbaine entre le centre et les diverses périphéries (banlieues pavillonnaires ou grands ensembles) se met en place et, avec elle, la violence qui est très vite interprété comme une violence ethnique. Les limites deviennent infranchissables : j’ai rencontré un instituteur à Nîmes, qui est loin d’être la plus vaste agglomération de France, dont certains élèves n’avaient jamais vu le centre ville. Dans un immeuble construit par Le Corbusier en banlieue de Saint-Étienne, l’architecte avait prévu au sommet des bâtiments des agoras, comme lieu de vie et de rencontre. Avec les exigences techniques urbanistiques, la mairie les a démantelé car elles permettaient d’installer des caméras de surveillance. La conséquence finale de cette l’implosion-explosion, c’est la fragmentation des individualités.

Quelle solution Henri Lefebvre imaginait-il pour résoudre cette fragmentation ?

Dans sa critique permanente de la vie quotidienne, Henri Lefebvre revendique l’importance d’un “droit à la ville” par opposition à des centres d’où le ghotta expulse les classes, les groupes, les individus vers les “ghettos”. A la peur que génère désormais la banlieue, Henri Lefebvre oppose l’idée de la reconstruction de l’espace urbain par ses fonctions non marchandes : la marche, le jeu, l’exposition d’objets usuels ou non dans une rue qui redevient un lieu d’échange… Tout ce qui ne tombe pas dans la rentabilité à laquelle les forces économiques tentent de réduire l’urbain. Lefebvre était partisan des utopies concrètes (ce qui lui a valu des fâcheries avec les situationnistes). Une grande partie de sa réflexion s’appuyait sur l’expérience de la Commune : que se passe-t-il quand le gouvernement est chassé de Paris et que le peuple réinvesti la ville dont il a été chassé ? La ville devient lieu et enjeu de la lutte et, à ce titre, elle vaut l’effort d’être réinvesti comme un droit plutôt qu’abandonnée.

Hugues Lethierry est auteur de Penser avec Henri Lefebvre : Sauver la vie et la ville ? aux éditions Chronique sociale.
Crédit photo cc FlickR urbanfeel.

]]>
http://owni.fr/2010/09/21/revendiquer-un-%e2%80%9cdroit-a-la-ville%e2%80%9d-hors-de-toute-rentabilite/feed/ 8