Twitter, un roman d’émancipation en temps réel

Le 11 mai 2009

 Twitter est, par nature, romanesque, et je ne parle pas des twitteromans, expériences d’écriture, plus ou moins réussies, je parle de son essence même. Les Vagues de Virginia Woolf m’ont confirmé dans cette intuition, au cours de leur lecture en ce long week-end. Les Vagues, ce sont six personnages qui monologuent, trois hommes trois femmes, chacun [...]

 Twitter est, par nature, romanesque, et je ne parle pas des twitteromans, expériences d’écriture, plus ou moins réussies, je parle de son essence même. Les Vagues de Virginia Woolf m’ont confirmé dans cette intuition, au cours de leur lecture en ce long week-end.

Les Vagues, ce sont six personnages qui monologuent, trois hommes trois femmes, chacun exprimant comme le ressac, son angoisse ou sa sérénité, sa peur ou sa joie. Chaque destin s’entremêle sans qu’une seule fois la construction narrative ne les fasse réellement dialoguer. Et, rythmant leur soliloque, s’intercalent des chapitres décrivant la course du soleil sur la mer, point d’ancrage de ses autofictions multiples dans une dimension temporelle stable. Des vies tranquilles, plates en apparence comme un océan durassien pourtant pleinement conscientes de leur individualité prise dans le flux de la vie. Mais, surtout, il y a ce  septième personnage, qui ne s’énonce jamais directement, Percival, ce mystère que tous les autres connaissent, et qui n’est connu de nous que par leurs analyses.

Dans ce roman, les  six personnages sont donc six centres perceptifs différents, qui utilisent la même manière de dire JE, la même voix de l’impersonnel. Comme sur Twitter (ou autre site de microblogging) où la modalité du JE est imposée à l’utilisateur par le format. Dans un rapport proustien à l’autofiction, Virginia Woolf obtient de ses personnages un regard rétrospectif sur leur narration. Comme Twitter, qui plonge l’utilisateur dans une auto-fictionnalisation de son quotidien : en permettant à tous de se raconter, de lier et de commenter, le microblogging ne donne pas accès à des faits véritables,  mais à des récits. Les Vagues sont une sorte de PARATAXE de l’individualité : dans le récit de chacun se trouve non seulement son écho intérieur mais aussi la conscience de son appartenance à un monde en mouvement perpétuel. Comme Twitter, où les vagues d’updates sont rythmées autant par l’humeur de l’utilisateur que par la résonance qu’à en lui le flux puissant des autres micro- bloggueurs. La pérennité partielle des posts et la possibilité de référencement produisent même en creux, et aux yeux de tout lecteur, une construction antéchronologique de personnage, non dénué d’affect, puisque tout microbloggeur fonctionne avant tout en réaction.

Les Vagues questionnent les limites de l’individu autant que celle de l’écriture. Le parallèle entre la limitation à 140 signes du microblogging et la limite de l’écriture pour signifiant qu’il peut être n’est pas suffisant. Il serait plus juste d’évoquer la recherche stylistique de Dos Passos, faisant se croiser les destins des personnages qui communiquent par des modes d’énonciation empruntés aux bulletins d’information, ou à la publicité, pour chercher la limite de forme d’écriture du microblogging. Nonobstant la forme, le microblogging est  romanesque par essence c’est-à-dire qu’il est une construction qui « égalise les personnages et dissout les enchaînements d’action dans la multiplicité des accidents de la vie », il interroge les limites de l’individu c’est-à-dire celle de sa perception. Comme dans les Vagues où le septième personnage, Percival, est la résultante des échos intérieurs des six autres personnages aux yeux du lecteur,  Twitter se fait l’index romancé du monde. Comme dans le roman de Virginia Woolf, la Gestalt applique sa loi du destin commun aux personnages-twitterusers : les parties en mouvement ayant la même trajectoire de forme sont perçues comme faisant partie d’une même forme, et créent donc une pensée communautaire moderne.

Moderne parce qu’en littérature, la modernité est apparue avec la purification des sujets au profit du style, d’une forme absolue. Loin d’une écriture automatique, l’écriture de microblogging est moderne, par sa forme imposée, mais surtout, dans ce roman du monde en temps réel qu’elle propose, par le bricolage littéraire qu’elle impose. La multitude des posts rend la perception du réel diffuse et vouée à l’incomplétude, pourtant, comme une ligne mélodique, en fond, se distingue une entité stable. Pour la trouver, il est nécessaire de passer de notre zone de perception habituelle à une autre zone de perception. Par la fonction hypertextuelle de  SURVISION, et son double mouvement de distance critique et dialectique, nous entrons dans une sphère moderne de perception et faisons apparaitre du DISSENSUS au cœur de notre compréhension de l’outil-roman Twitter. En partageant chacun notre réalité en temps réel, nous déconstruisons des dispositifs de pensée pour reconfigurer des réseaux de références et cartographier des possibles communautaires.

Or, l’émancipation se définit ainsi, par la reconfiguration du champ de perception d’un individu. Twitter est donc un outil d’émancipation à échelle planétaire, en plus d’être le roman en temps réel du monde.

 

 1-Les liens se rapportent aux auteurs des notions citées. 

 

 

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