L’internet et son potentiel démagogique

Le 22 août 2009

Alors que l’UMP s’apprête à sortir un site de campagne communautaire dont beaucoup prédisent qu’il sera au pire un champ de bataille, au mieux une ‘zone verte’ à l’Irakienne, le conseiller en communication de la présidence se laisse aller à un parallèle entre Obama, Twitter, l’Iran et Hadopi, trouvant, par un procédé ‘dialectique’ connu [...]

franck-louvrier-le-monde Alors que l’UMP s’apprête à sortir un site de campagne communautaire dont beaucoup prédisent qu’il sera au pire un champ de bataille, au mieux une ‘zone verte’ à l’Irakienne, le conseiller en communication de la présidence se laisse aller à un parallèle entre Obama, Twitter, l’Iran et Hadopi, trouvant, par un procédé ‘dialectique’ connu sous le nom d’association libre un ultime moyen de justifier la loi Hadopi 2.

La rigueur du raisonnement prête à rire, mais les faits que Franck Louvrier met bout à bout – à défaut de les articuler – sont pour la plupart parfaitement inexacts. A priori, il ne s’agit même pas d’un mensonge, mais plutôt d’une ignorance crasse du sujet qu’aborde le conseiller en communication de l’Elysée : si l’on savait de quoi l’on parle en matière d’internet dans l’intimité du pouvoir, on en serait jamais arrivé là.

Les Iraniens se marrent

Enfin… Presque. A vrai dire, il y a en réalité très peu de chance que les Iraniens apprécient d’être ainsi instrumentalisés pour défendre une loi rédigée par des lobbies de l’industrie du disque refusant le temps qui passe avec autant de vigueur qu’une octogénaire Californienne à la veille de son ultime lifting. Pas plus qu’il n’apprécieraient de voir leur histoire contemporaine réécrite pour les besoins de la communication d’un chef d’état étranger.

La réalité de l’usage de Twitter, lors des émeutes suites aux dernières élections Iraniennes, est fort éloignée de ce que décrit le conseiller en communication de l’Elysée, il faut dire que les contresens qu’il aligne sont issus de la presse dans laquelle il publie sa tribune.

Il n’existe en réalité qu’à peine quelques centaines d’utilisateurs actifs sur Twitter en Iran, pas grand monde, en réalité. Et si le pouvoir a bel et bien tenté de polluer Twitter avec des ‘faux’, ceux-ci ont été presque immédiatement repérés, isolés et exclus. Leur impact a été nul.

A aucun moment, durant la ‘révolution verte’ Twitterisée, le pouvoir Iranien n’aura réussi à ne serait-ce que perturber le canal de communication établit par cette chaîne humaine établie à travers Twitter, et ce n’est pas faute d’avoir essayé, bien au contraire. Franck Louvrier peut se rassurer, il n’y a aucun risque de voir Tweeter menacé par des contrefacteurs, ceux-ci en sont exclus rapidement, ce type de communauté, comme la plupart des communautés sur internet, s’autorégule.

La réputation sur internet

C’est encore un aspect des réseaux et du web 2.0 qui aura échappé à l’Elysée et à ses conseillers. Sur le web, vous disposez d’un capital réputationel, et si vous faites n’importe quoi, votre réputation tombe à zéro assez rapidement. Du coup, votre pouvoir d’influence disparaît, ainsi que celui qui consisterait à manipuler l’opinion des autres.

Un drame pour un conseiller habitué à utiliser une presse au ordres pour faire précisément cela.

L’internet, ce foutu internet, n’obéit décidément pas aux même règles, aux même logiques, autant dire que les opérations à venir d’Elysée.fr et des “Créateurs du possible” sont très mal parties.

Dieu merci, Le Monde est là, et même si son tirage est inférieur à celui d’un journal municipal et ses statistiques de fréquentation aussi crédibles qu’un sondage Opinion Way, (autant dire fort éloignées de la réalité) il est (encore) lu (et cru) par bon nombre de parlementaires, or c’est bien à eux que la tribune de Franck Louvrier est destinée.

“Ce qui menace Twitter, c’est moins la censure que la contrefaçon, la copie”

Oui, sans le savoir, Franck Louvrier a raison. La copie, connue sur Twitter sous le nom de Retweet, est une véritable menace. Elle brouille la lisibilité de Twitter, diminue le nombre de caractères disponibles – déjà que 140 ce n’est pas beaucoup – oui, osons le dire bien haut, Franck Louvrier a raison, la copie menace Twitter, et il est temps de faire quelque chose.

Twitter a d’ailleurs bien entendu la complainte de Franck Louvrier. Sous peu, son API permettra d’intégrer directement le mécanisme de copie – de retweet – (ou de contrefaçon, question de point de vue) afin d’en faciliter l’usage et d’en démultiplier la force. Bientôt ce mécanisme de “buzz” dont Mr Louvrier chante les louanges sera encore plus puissant. De quoi se plaint-il donc, dès lors ?

De rien, en pratique. C’est un passage obligé dans ce qui lui fait office de démonstration pour passer de la révolution Iranienne, via de supposés copieurs de Tweet – ceux qui ont participé à la propagation des messages issus d’Iran -, amalgamés à un pouvoir Iranien qui aurait émis de fausses informations via Twitter (on met les deux dans le même panier, donc), qui lui permet, dans une démonstration plus qu’acrobatique, de rebondir sur Hadopi.

“il en va de même pour l’étudiant révolté des rues de Téhéran que pour l’artiste qui enregistre sa chanson à Paris : l’enjeu est de s’assurer que la vaste diffusion de son message n’étouffe jamais le lien qui l’unit à chacun de ses destinataires.”

Adieu donc viralité et réseau propre au web 2.0, on chante ici les louanges des bon vieux mass média d’antan, qu’il suffisait de contrôler pour s’assurer d’une certaine emprise sur l’opinion. Plusieurs commentateurs voient même dans les propos de Franck Louvrier l’annonce d’une labelisation de site s des sites d’information “sérieux” (entendez : contrôlés par des amis), afin d’aider les pauvres citoyens à distinguer entre une information officelle et une information qu’on préfèrerait cacher.

Échange de bon procédés pour Le Monde ? Alors que l’audience de son site web s’effondre, le journal – qui a passé Hadopi sous silence jusqu’au dernier moment (on se demande pourquoi… ou pas) – aurait bien besoin d’un tel label pour contrer la montée en puissance des blogs et autres “pure players” où l’information est plus… libre.

Reste que comparer des Iraniens qui risquent leur vie en défendant une certaine idée de la démocratie à Maxime Leforestier qui risque de voir son ISF diminuer l’année prochaine si ses ventes d’albums continuent de chuter, voilà que ne va pas contribuer à faire remonter l’image de la France en Iran, que ce soit sur le plan de la morale et de l’éthique ou celui de la rigueur intellectuelle.

“L’enjeu est la vérification des sources, dont la responsabilité repose sur la vigilance des professionnels de l’information”

Absolument, mais où sont-ils, ces professionnels ? Au Monde ? Il y a quelques mois, c’est en faisant un parallèle entre piratage et terrorisme que ce qui fut naguère un journal respectable justifiait Hadopi. La source ? Un lobby dirigé par les plus éminent néo conservateurs américain qui a beaucoup œuvré pour la guerre en Irak.

Faire passer les pirates pour les financiers d’Al Quaïda n’a pas marché, essayons donc de les assimiler au pouvoir Iranien.

Appliquer à ceux qui ‘partagent’ sur internet les même méthodes de dénigrement et de propagande que celle qu’avait appliqué Georges Bush à tous ceux contre qui ils souhaitait partir en guerre, la ficelle est un peu grosse, non ?

Le territoire médiatique qui semble se dessiner pour accompagner l’arrivée d’Elysée.fr dans la sphère des média semble curieusement familier pour ceux qui ont suivit l’évolution des média aux Etats Unis ces dix dernières année. Une fois de plus, la France est à la traine et suit ce qu’il s’y passe avec un temps de retard. Vivement Obama.fr.

Je résilierai bien mon abonnement au Monde… mais c’est déjà fait.

Article cross posté sur Read/Write France

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