I-Doser: vous prendrez bien un shoot de musique?

Le 16 juillet 2010

Depuis quelques jours, on parle beaucoup des drogues numériques, ces fichiers sonores sensés reproduire les sensations d'une vraie drogue. Mais est-ce que ça marche vraiment ? Nous avons testé et fouillé le sujet pour vous...

Elles existent depuis plusieurs années, mais cela ne fait que quelques jours qu’elles défrayent la chronique. Le 12 juillet dernier, plusieurs médias de l’État de l’Oklahoma ont révélé que deux jeunes lycéens avaient été convoqués par leur directeur d’établissement en mars dernier pour avoir pris des “drogues numériques”. Reprise par de nombreux sites Internet, notamment par l’influent Wired, cela semble être la nouvelle source d’inquiétude pour les parents américains, accusant cette nouvelle mode d’être une possible porte d’entrée vers de véritables drogues.

L’arrivée des drogues numériques

Pourtant, on ne peut pas dire que ces “i-drugs” soient de véritables narcotiques. Et pour cause : ce sont de simples fichiers musicaux utilisant la technique du battement binaural. Écoutés sur un casque ou des écouteurs et grâce à une légère différence de fréquence entre les deux oreilles, ces sons sont censés altérer les ondes cérébrales et recréer les mêmes sensations que les drogues dites “traditionnelles”.

YouTube regorge ainsi de vidéos telles que celle-ci, où l’on peut voir un adolescent complètement grisé, riant aux éclats après avoir écouté quelques minutes d’une dose de “drogue numérique”. “Les premières doses sont toujours gratuites” s’amuse le journaliste de Wired. Et pour cause, c’est le cas également ici : on en trouve très facilement sur YouTube, à l’instar de celle-ci, portant le doux nom de “Porte des Enfers”.

Force est de constater que ces drogues digitales ressemblent davantage au bourdonnement d’un aspirateur ou d’un sèche-cheveux qu’au danger imminent évoqué par quelques parents américains alarmistes. Mais pourquoi un tel discours maintenant alors que l’apparition de ces “drogues numériques” est tout sauf une nouveauté ? Un coup d’œil à Google nous apprend d’ailleurs que la tendance du “i-dosing” remonte au moins à la fin de l’année 2006.

Ces drogues sont-elles vraiment efficaces ?

Pouvoir de suggestion, placebo ou effet réel ? Ne reculant devant aucun défi, j’ai décidé d’installer le logiciel I-Doser – apparemment leader sur le marché – et de tester moi-même ces “drogues numériques”.

Sur le site I-Doser.com, en échange d’une poignée de dollars, les choix sont multiples : héroïne, LSD, alcool ou encore acides sont disponibles à la vente comme des machines à laver sur le site de Darty. J’opte donc pour une dose d’acide (la moins chère), que je paye tout de même 3,5 dollars. Après avoir déniché un coin calme d’open-space, je m’allonge, chausse mon casque et “entame” ma dose.

Verdict, après trente minutes d’exposition ? Rien. Mon acte de gonzo-journalisme héroïque aura été complètement vain. À part un vague engourdissement et la très nette sensation auditive d’avoir eu ma tête coincée entre une ruche au mois de juin et un Airbus au décollage, les effets sont limités. Je ne doute cependant pas que combinée à de “vraies” substances, cette drogue auditive doit sans doute avoir des effets plus importants. À l’inverse, une demi-heure passée à écouter un groupe de drone comme Sunn O))) ou Khanate aurait eu sensiblement les mêmes effets.

Drogue musicale (allégorie)

Ce n’est ni l’avis d’utilisateurs toujours plus nombreux – dont les témoignages enthousiastes peuplent les forums de i-doser.com – ni bien sûr celui du fondateur du site. Interrogé par OWNI, Nick Ashton est catégorique :

I-Doser ne tolère pas et ne tolérera jamais l’utilisation de substances illégales. Elles sont dangereuses pour le corps et l’esprit. Nous offrons seulement un moyen d’expérimenter une forme de stimulation de manière sûre et naturelle.

Il n’est pas spécialement inquiet (et il aurait bien tort de l’être) du léger vent de panique qui souffle sur l’Oklahoma. Il espère juste qu’à l’avenir, les médias traiteront la question “avec un regard ouvert et impartial”. En attendant, sa petite entreprise – fondée il y a dix ans – ne connaît pas la crise. Car s’il se refuse à communiquer sur les revenus de son site, il explique cependant que le logiciel (gratuit) a été téléchargé à lui seul plus d’un million de fois et figure en deuxième position dans les téléchargements de la rubrique Sciences du site américain CNet. Rappelons en outre que les doses vendues quelques dollars ont un coût de production fixe, quel que soit le nombre de téléchargement…

I-Doser.com pousse le concept très loin et propose un programme pour devenir un véritable “dealer”. Et pour cause, vous pouvez devenir “rabatteur” pour le site I-Doser : pour chaque personne qui achète une dose sur le site grâce à vous, vous empochez 20% de la transaction !

Une énième panique morale liée à Internet

Au delà de ces pratiques et de cet univers pour le moins amusant, il est bon de rappeler que vraisemblablement – et comme le titre délicieusement Techdirtcette affaire relève davantage d’une énième panique morale liée à Internet que d’une crainte fondée. Ce début de psychose est délicieusement entretenu (suscité ?) par ce reportage assez édifiant de la chaîne News 9.

Une nouvelle tendance alarmante”, “terrifiante, vraiment terrifiante” qui exprimerait “une volonté d’essayer les vraies drogues”. “S’ils veulent sauver leurs enfants, les parents doivent être vigilants et agir” conclue le responsable du Bureau de Contrôle des Narcotiques et des Drogues Dangereuses de l’État. Ambiance…

Pourtant, l’efficacité scientifiques de ces doses est loin d’être prouvée. Cité par USA Today en 2008, le Docteur Nicholas Theodore, neurochirurgien à l’Institut Neurologique Barrow à Phoenix explique qu’aucune preuve ne permet d’affirmer l’efficacité de ces i-doses. Il concède toutefois que l’usage de ces dernières est susceptible de révéler une certaine fragilité et une propension à des comportements plus dangereux (sic).

Les vrais pouvoirs de la musique sur notre cerveau

Si l’efficacité des drogues est évidemment sujette à caution, il ne faut en revanche pas oublier que le son a de vraies propriétés sur notre cerveau. Rapide tour d’horizon.

La musique est évidemment utilisée en médecine, et les chaires du musicothérapie sont de plus en plus nombreuses en France. Cette discipline – basée essentiellement sur la psychothérapie – a pour vocation de soigner et d’accompagner les très grands malades, notamment les autistes ou les malades atteints d’Alzheimer.

Mais la musique peut être utilisée de manière bien plus radicale et violente. Dans son article intitulé “La musique comme instrument de torture/La musique comme arme” la musicologue Suzanne Cusick explique que l’utilisation de la musique comme arme et comme instrument de torture est ancienne.

Mais le tournant intervient à la fin de la Seconde Guerre mondiale, lorsque des chercheurs américains ont découvert que l’exposition prolongée à des perturbations sonores était bien plus efficace en matière de manipulation psychologique que les coups ou la privation de sommeil. Cette forme de torture fut notamment expérimentée dans les années 70, où les prisonniers de l’IRA étaient soumis à du bruit blanc à très fort volume.

Mais le scandale de la torture musicale éclata au grand jour au début des années 2000, quand certains prisonniers de Guantanamo révélèrent avoir été soumis à de la musique violente et agressive à très fort volume. De nombreux témoignages de cette pratique condamnée par l’ONU et la Cour Européenne des Droits de l’Homme sont visibles sur YouTube et l’association américaine ZeroDb milite activement contre cette forme spécifique de torture psychologique.

On est ici bien loin d’un prétendu fléau pour les adolescents en manque de sensations fortes.

__

Crédits Photo CC Flickr : Gabrypk.

Laisser un commentaire

Derniers articles publiés