Lellouche, diplomate provoc du tournant anti-système

Le 15 septembre 2010

Envoyant balader l'Union européenne comme le reste du gouvernement, Pierre Lellouche incarne un tournant anti-système dans la parfaite continuité du tournant sécuritaire entamé pendant l'été. De quoi satisfaire l'électorat frontiste et confirmer Lellouche comme possible successeur de Kouchner.

En décembre 2008, Nicolas Sarkozy se vantait d’avoir donné à l’Europe un nouveau pouvoir, symbolisé par un traité de Lisbonne dont il se serait presque proclamé l’auteur. Et c’est en s’appuyant sur ce texte que Viviane Reding a qualifié la politique française d’expulsion des Roms de « honte » pour l’Union européenne. L’opportunisme présidentiel est passé par là.

Double discours institutionnalisé

« La discrimination sur la base de l’origine ethnique ou en fonction de la race n’a pas sa place en Europe », a martelé la commissaire à la Justice, invoquant les droits de l’homme autant que la directive sur la libre circulation dans l’Union européenne. Fidèle à lui-même, Pierre Lellouche s’est empressé de nier, largement. Grossièrement, même, qualifiant l’accusation de Reding de « dérapage »… non sans avoir au préalable répété son « respect » des institutions.

Exactement la même posture que l’Élysée, optant pour l’adjectif « inacceptable » à l’endroit des déclarations de Viviane Reding, avant de promouvoir un « dialogue apaisé ». Le gouvernement se prononce ainsi : nous vous respectons mais nous méprisons vos propos.

Lellouche n’a rien inventé : sur la circulaire qui ciblait nommément les Roms, contredisant le principe constitutionnel de non discrimination, les ministres concernés et Xavier Bertrand ont commencé par assumer le propos… avant que Hervé Morin, Fadela Amara et tous ceux qui étaient disponibles qualifient de « maladresse ». Un peu comme une grand-mère qui, laissant échapper un mot nostalgique sur les colonies se ravise, « pardon, j’ai dit une bêtise ».

Place au couplet anti-Europe

À ceci près que la cohérence du discours ne laisse pas de doute : chacun de ceux qui s’expriment sur ce dossier (à commencer par le secrétaire d’État en charge des Affaires européennes) le fait avec l’aval de l’Élysée et des mots choisis. Les « éléments de langage » (ou « wording » pour les initiés) sont méthodiquement répandu sur toutes les ondes : il ne faut qu’aucun Français n’en rate une miette de cette « maladresse » qui envoie les Roms au rayon des « menaces à la sécurité ». L’important est que l’électorat que veut reconquérir Nicolas Sarkozy, à la droite de la droite, sache que le gouvernement n’hésite pas à pointer les responsables.

Et, à ce titre, l’intervention de la commissaire européenne est une aubaine : « Bruxelles », cette antre réputée mystérieuse aux lois iniques a jeté l’opprobre sur la pauvre France… Le Front national n’aurait pas écrit meilleur scénario. C’est une cabale, un complot contre le pays dans lequel, Jean-François Copé l’a souligné sur France info, des eurodéputés français « trahissent leur pays ». Après le tournant sécurité, ce refrain anti-système ne déplaira pas aux électeurs d’extrême droite dans le cœur desquels ce nouveau Nicolas Sarkozy retrouve une place : de 31,90% de sympathisants FN favorable au président en août, la cote de popularité atteint dans un sondage Ipsos pour Le Point 52,4% de satisfait.

Lellouche : arme de provocation massive

Dans ce discours de reconquête des marges droitières, Pierre Lellouche pourrait aussi jouer un rôle. Depuis son entrée en poste, il s’est fait remarquer pour son habileté à alterner sorties fracassantes et discours policé : homme de confiance du président de la République, beaucoup de journalistes ont constaté, au fil des voyages à l’étranger avec le secrétaire d’État, des déclarations sans équivoque sur la Turquie ou d’autres sujets sensibles que ses discours « officiels » contredisaient totalement. Pour preuve, Viviane Reding a pris le temps et l’énergie de reprocher ses manières lors des discussions à Bruxelles sur la question des Roms, chose rare. Lellouche avait déclaré à la presse que la France n’était « pas à l’école » et ne méritait, à ce titre pas de « leçons » de la commission. À ceci près que le livre de leçons a été validé par Nicolas Sarkozy fin 2008.

Une hypocrisie que ne réprouve en rien le président de la République. Au contraire : dans les services du ministère des Affaires étrangères, le nom du secrétaire d’État circule comme le candidat le plus sérieux à la tête du Quai d’Orsay dans le prochain gouvernement. Il serait certainement plus dans le ton du chef de l’État, qui vient d’inviter Viviane Reding à accueillir les Roms au Luxembourg (son pays d’origine), que le translucide Bernard Kouchner. Tant qu’à foncer vers 2012 en serrant à droite, autant bien choisir son klaxon.

Crédits photo CC FlickR Digger Digger Dogstar

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