La SEO, alliée du journalisme de qualité

Le 16 septembre 2010

La SEO nuit-elle à la qualité du journalisme en ligne? Ce n'est pas le point de vue de l'auteur, pour qui l'optimisation du référencement permet de se rapprocher des attentes du lectorat.

Cet article a été rédigé par Nikki Usher, nouvelle contributrice du Nieman Lab. Thésarde à l’université USC Annenberg, elle était reporter au Philadelphia Inquirer, entre autres. Dans ce billet, elle s’attaque à la question de l’utilisation des statistiques dans le journalisme.

La semaine dernière, le New York Times a présenté le récit effrayant de ces journaux, dont le Washington Post et le Wall Street Journal qui sont en train (et c’est choquant!) de modifier leur couverture des événements après avoir utilisé les statistiques pour définir ce que veut leur lectorat . Et Gene Weingarten, dans une manipulation amusante de la SEO, a insinué plus tôt cet été qu’en mettant simplement Lady Gaga dans sa rubrique, il ferait plus de pages vues.

Jeremy W. Peters a écrit un autre article dans le Times sur le même sujet: les journalistes qui font “tout ce qui aura de l’effet sur l’algorithme de Google et attirera les lecteurs vers eux”, et l’effrayant “grand tableau” que Gawker affiche dans sa rédaction avec les dix billets de blog les plus populaires, en même temps que les pages vues heure par heure.

Cette crainte que le tracking de l’audience, l’écriture pour Google et la SEO interdisent aux médias de tenir les demandes de lecteurs à l’écart est déplacée. Se montrer plus attentif aux demandes des lecteurs est peut être la meilleure chose que les médias puissent faire pour rester des sources d’information pertinentes et essentielles.

Avec la monétisation liée au clics et le système de statistiques en temps réel Omniture présent dans de plus en plus de rédactions, il est facile de redouter que le public dicte la couverture de l’information. Mais qu’en est-il de l’argument opposé : que les journalistes, depuis trop longtemps, écrivent sur ce qu’ils pensent que leurs lecteurs devraient savoir, et pas assez sur ce que leurs lecteurs veulent savoir.

Le journalisme a toujours été dépendant de l’existence d’une audience pour consommer son travail et a passé une grande partie du siècle dernier à essayer de savoir avec précision ce que les lecteurs voulaient. Aujourd’hui, les journalistes disposent d’ outils plus performants que jamais pour dessiner avec exactitude le visage de leur lectorat, apprendre ce qu’ils veulent, et, en temps réel, repérer leurs comportements afin d’être plus réceptifs à leurs besoins. Ce n’est pas une mauvaise chose – cela détourne le journalisme d’une écriture élitiste pour soi-même et l’on revient à des articles écrits en fonction de ce que les gens recherchent vraiment.

Les journalistes vont-ils passer leur temps à écrire sur les animaux ou Lady Gaga ? La vérité, c’est que de nombreuses rédactions avec qui j’ai parlé sont plus intelligentes que ça : ils n’abandonnent pas les principes du journalisme ; ils voient les chiffres comme une façon de s’assurer que leur production sera lue.

La SEO au Christian Science Monitor

Dans le cadre de mon travail universitaire, j’ai suivi l’évolution du The Christian Science Monitor, alors qu’il passait d’un quotidien papier à un site avec une parution papier hebdomadaire. Durant cette évolution, j’ai vu la rédaction tracer l’audience d’une façon de plus en plus sophistiquée. Quand j’ai demandé à John Yemma son point de vue sur la SEO, il m’a répondu ceci dans un e-mail sur son impact dans la rédaction.

Les moteurs de recherche restent un outil puissant et privilégié par les lecteurs en ligne. Nous n’avons pas d’autre choix que de devenir adeptes de la SEO si cela nous aide à atteindre les lecteurs là où ils sont. Cela n’a rien de nouveau dans le business de l’information. Avant le web, les journaux refaisaient les maquettes et reformataient périodiquement. Les éditeurs conseillaient à leurs rédacteurs d’écrire plus court, d’utiliser une langue simple et directe: tout cela dans le but d’atteindre des lecteurs.

La SEO, dans son essence, porte sur la façon dont les éditeurs réfléchissent à la façon dont les lecteurs pensent quand ils cherchent de l’information. Au Monitor, comme dans quasiment presque chaque publication, nous travaillons à mettre en avant les mots-clés. Mais c’est juste un outil parmi la palette disponible dans la boîte à outils. Nous essayons de répondre rapidement quand un sujet que nous connaissons bien (l’international par exemple), est en train d’exploser. Cela nous donne l’opportunité d’offrir des liens relatifs qui invitent les lecteurs à plonger plus profond dans notre contenu. Si la SEO se concentre sur l’acquisition, les liens relatifs se focalisent sur la rétention. Ces dernières années, nous avons triplé notre trafic en ligne grâce à cette stratégie.

Est-ce que cela signifie que nous écrivons juste des gros titres en plain-vanilla ou que nous suivons simplement Google/Trends ? Non. Un titre intelligent peut toujours être un aimant puissant, en particulier sur notre homepage ou dans les médias sociaux. Et nous traitons toujours des sujets dont nous savons qu’ils sont importants même si nos lecteurs ne sont pas d’accord. Nous sommes tout de même beaucoup plus sensibles ces temps-ci à ce à quoi nos lecteurs vont réagir. Si nos contenus ne sont pas lus, notre travail n’est pas efficace.

Le suivi des tendances à TheStreet.com

TheStreet.com a embauché un chargé de la SEO à plein temps, John DeFeo, pour surveiller les tendances sur Omniture, observer les termes de recherche, et optimiser le contenu de TheStreet après qu’il a été écrit, afin qu’il puisse être retrouvé facilement sur les moteurs de recherche.

Résultat : le trafic a augmenté. Quand j’étais dans la rédaction de TheStreet pour mes recherches de terrain, j’ai vu DeFeo suggérer que quelqu’un ponde vite un article sur le rappel du médicament pour enfant Tylenol après avoir vu la tendance sur Yahoo. Devrions-nous considérer cela comme une réponse excessive à la demande de l’audience ? Ou faut-il voir cela comme une chance que TheStreet fournisse son analyse sur ce qu’un tel rappel signifie pour les actionnaires de Johnson & Johnson – et en même temps sache que l’article aura une chance d’atteindre un public parce que c’est dans les tendances ?

Glenn Hall, rédacteur en chef de TheStreet, défend le “journalisme SEO” comme le coeur des principes de base du journalisme lui-même. Il explique dans une interview :

Le bon journalisme n’est pas mutuellement exclusif de la SEO. Nous avons prouvé sans cesse que nos meilleurs contenus tendent à obtenir le plus de pages vues. La SEO est un outil pour s’assurer que les meilleurs articles sont remarqués… La SEO accroit la visibilité là où les gens regardent. Les gens consomment des contenus différemment qu’ils ne le faisaient avec un journal.

Hall explique à son équipe que la SEO cadre avec les bonnes pratiques journalistiques. Il pense que les phrases affirmatives simples, claires et qui vont droit au but, font sens à la fois pour le journalisme et la SEO. Et, comme il le note, la SEO n’a pas le dernier mot quant au succès ou à l’échec d’un article : “Une bonne SEO n’a pas d’importance si le contenu n’est pas bon.”

La nouvelle information est sociale

Nick Bilton, le bloggueur technologie du Times, a écrit dans son nouveau livre, I Live in the Future & Here’s How It Works sur le consumnivore” – un consommateur avide qui veut les dernières informations maintenant. Mais pour ce nouveau consommateur, l’information n’est pas juste une quête de l’information. C’est aussi une expérience sociale, partagée avec les gens sur Twitter, Facebook, par email, ou autre média social. En d’autres termes, si vous ne cherchez pas des infos, les infos vous trouveront. On trouvera toujours du journalisme de qualité, même sans la SEO survitaminée d’une rédaction -en raison du nouveau pouvoir de l’information comme expérience sociale.

Ce n’est pas un mythe. Lors de la cérémonie de remise du prix Pulitzer au New York Times le 12 avril dernier, le rédacteur en chef du magazine du New York Times Gerald Marzorati a noté ceci dans son discours de remerciement pour le prix, partagé avec le reportage d’investigation de Propublica pour un sujet sur un hôpital de la Nouvelle-Orléans durant Katrina :

“[le journalisme long-format est] est notre forme la plus vue et la plus partagée par mail. Cela compte pour les lecteurs. Cela permet au lecteur de s’arrêter. Cela ralentit le lecteur.”

Est-ce que “Memorial Medical Center”, l’hôpital du reportage, était un terme beaucoup recherché ? Probablement pas. Est-ce que 13.000 mots étaient susceptibles de produire des succès d’information rapides dont les consumnivores sont avides ? Non. Mais l’histoire a tout de même atteint un public substantiel, par bouche à oreille. Et quand elle a été lue par de plus en plus de gens, cela a probablement amélioré le classement sur Google pour les gens qui cherchaient des articles sur Katrina.

So, if used properly, SEO and audience tracking make newsrooms more accountable to their readers without dictating bad content decisions — and it can help newsrooms focus on reader needs. What is a story if it is never read? SEO won’t kill journalism; it will only enhance how we find and use news.

Donc, si elle est utilisée correctement, la SEO et le tracking de l’audience rendent les rédactions plus responsables devant leurs lecteurs sans dicter de mauvaises décisions éditoriales – et cela peut aider les rédactions à se focaliser sur les besoins du public. Qu’est-ce qu’un article s’il n’est pas lu ? La SEO ne tuera pas le journalisme ; cela améliorera la façon dont nous trouvons et consommons l’information.

Billet initialement publié sur The Nieman Lab ; traduction Sabine Blanc et Guillaume Ledit

Le contre-point de vue : “Squeezing humanity through a straw”: The long-term consequences of using metrics in journalism

Image CC Flickr sonicbloom

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