L’Université de New-York supprime des matières

Le 11 octobre 2010

Premiers à faire les frais des réductions budgétaires de l'État de New-York, les étudiants se voient privés de langues classiques, de langues ou encore de théâtre. Une réponse des plus maladroites à la crise.

Le week-end dernier, les professeurs et étudiants de l’université de l’État de New York (université publique, la SUNY) appartenant aux départements des langues classiques, de langue et littérature française, italienne, russe et de théâtre ont appris que leurs disciplines allaient être tout simplement supprimées. C’est en fin de semaine, vendredi tard dans l’après-midi (traduisez : quand il n’y a plus personne) et sans prévenir que le président de l’université, George M. Philip, l’a annoncé lors d’une réunion. Certains des professeurs concernés, qui se détendaient tranquillement pendant la pause dominicale l’ont même appris par des amis habitant à Paris ! C’est en effet un étudiant qui a fait fuité la nouvelle ainsi que l’intégralité de la lettre du Président à ses collègues à la télé CBS6.

Motif ? C’est la crise (et là, vous et moi commençons à nous sentir un peu concernés) : l’état de New-York réduit ses budgets et l’Université semble en première ligne : 39 millions de dollars sucrés en 2 ans.

Sombre logique économique…

Alors le Président a finalement décidé de tailler dans le vif et de supprimer ces départements, ne laissant plus en langue étrangère d’origine européenne que l’espagnol. Après tout c’était arrivé avec le département de langue et littérature allemandes en 1992, pour la même raison : restriction budgétaire. Certains professeurs ont bien espéré que cela reviendrait, mais bon…. Ils attendent toujours.

Pourtant, ça peut être utile l’allemand. Pas seulement pour les échanges industriels, simplement pour saisir des choses, comme des trucs culturels. Vous voyez Faust, Goethe tout ça… Pour réaliser la dimension faustienne à laquelle notre civilisation est arrivée, avoir lu Goethe, ça donne des idées. Et quand on est ingénieur par exemple, ou biochimiste, ou encore qu’on vous enseigne la manipulation de l’ADN, avoir lu Faust c’est pas mal. Ca donne du recul… De la même façon, Les littératures, grecques, latines françaises et russes ne sont pas n’importe quelles littératures. Elles ont eu un rôle dans l’histoire et ont contribué à fonder des valeurs et un imaginaire commun à de nombreuses nations.

Créativité et transdisciplinarité

A SUNY, Ce sont bien ces matières transversales qui sont supprimées. Des matières qui ouvrent l’esprit à notre histoire collective, mais aussi à d’autres cultures, à d’autres visions du monde, à d’autres  peuples… La créativité et le recul sur sa propre activité se nichent justement là où on ne les attend pas, dans la rencontre avec l’autre, avec l’inconnu… La créativité se niche dans les liens et les passerelles.

Il y a quelques jours j’écrivais un article sur les indicateurs de la biodiversité au service des entreprises et j’expliquais que l’une de nos limites est justement notre potentiel créatif liée à notre amour du quantitatif, des chiffres, du simplifié. De la même façon, Jean Pierre Dupuy, un des plus grand philosophe actuel pour penser la crise, appelle dans un article publié en 2007,« du bon usage des catastrophes »,  à notre capacité à imaginer à créer des scénarios pour l’avenir afin d’offrir à la collectivité des moyens de se projeter dans l’après catastrophe pour pouvoir la surmonter… Comme il le dit lui-même, quelles matières plus fécondes que littéraires peuvent le mieux nous y projeter ?

Notre potentiel créatif ne se niche plus dans la technique et le dialogue avec ses seuls pairs. Il se développe dans la trans-disciplinarité. Et parce que notre civilisation technique montre ses limites, l’appel aux disciplines littéraires, philosophiques sociales… est urgent et requis.

Une crise… intellectuelle ?

C’est la crise. Alors on taille. Et l’Etat de New York diminue ses budgets pour l’université….

Oui mais affronte-ton n’importe quelle crise ? L’an dernier Henry Kissinger déclarait “Never have so many transformations occurred at the same time in so many different parts of the world” en appelant à réfléchir et construire un nouvel ordre mondial.

Est-ce en rognant les budgets misant sur notre plus grand potentiel, l’intelligence de la nouvelle génération, que nous nous armons pour affronter une telle situation ? Non.

Ce qui se passe dans l’université SUNY est à l’image de ce qui peut nous arriver demain, partout : faire céder les derniers bastions de la possibilité d’une réflexion transdisciplinaire, holistique et global mettant au centre l’homme,  apprenant de son histoire, et de sa diversité. Et continuer la voie sur laquelle nous sommes lancés à pleine vitesse depuis trois siècles, la prépondérance de la  vision techniciste du monde. Et poursuivre droit dans le mur.

Des appels à conserver ces départements menacés de langues classiques, langue et littérature française, italienne, russe et de théâtre vont s’organiser et être lancés. Nous vous tiendrons au courant. Lorsqu’une université d’une telle ampleur que SUNY prend de telles décisions, elle légitime les mêmes décisions pour d’autres universités dans l’avenir, y compris les nôtres. Nous soutiendrons donc de notre côté ces appels.

> Dans l’attente et pour en savoir plus, de nombreuses réactions outre atlantique se font déjà entendre :

Sur des blogs, y compris de professeurs concernés  :

> Article initialement publié sur Eco-Echos et ecolo-info

> Crédits photos CC FlickR par Zephyrance – don’t wake me up. et Feuillu

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