Découvrir une planète habitable puis se mettre sur la gueule

Le 12 novembre 2010

Bisbilles ridicules entre astronomes américains et européens pour la découverte de planètes habitables dans le système planétaire de Gliese.

Le fantasme ultime. La découverte de l’existence d’une planète habitable avec des êtres – comme nous ou pas, on s’en carre – mais en tout cas bien vivants. Des petits mecs dotés de tout un tas de capacités fantastiques qu’on se plait à imaginer organisés en une civilisation énigmatique, un truc qui bien entendu dépasserait complètement nos simplistes conceptions de civilisations basées sur la religion, le pognon et la baise.

Et puis au détour d’un article, puis trois, puis cent, la possibilité se matérialise soudainement. Fin septembre, deux gus américains – des scientifiques qui jubilent à l’idée de révéler de nouvelles vérités à la face du monde – s’affichent tout sourire et s’étalent dans les médias les plus respectables de NOTRE planète, pour nous expliquer en substance, que ça y est, ils ont découvert une planète habitable, quelque part aux confins de l’univers.

Et plus incroyable encore que l’annonce elle-même, c’est l’optimisme dont ils font preuve qui te coupe le souffle. Les chances d’une vie extra-terrestre existant sur ladite planète habitable sont de 100%. Et là, mon pote, je la vois poindre cette question qui se dessine sur ta gueule. Ah ouais vraiment? Hmm, comment te dire…

Une naine rouge?

S’amuser à rechercher des planètes habitables tient de la vieille obsession qui n’a paradoxalement été rendue possible que très récemment, grâce aux progrès techniques réalisés en matière d’observation de l’espace. Depuis 1995, les astronomes ont ainsi détecté 492 exoplanètes, à savoir des planètes tournant autour d’étoiles autre que le Soleil. Parmi ces 492 planètes extrasolaires, toutes ou presque ne sont que des boules de gaz géantes sur lesquelles la vie telle que nous l’imaginons a tout d’une bonne blague.

Pour obtenir, ne serait-ce qu’un ersatz de vie, ces planètes auraient besoin de conditions basées sur l’existence du carbone ainsi que la présence d’une forme d’eau liquide. La plupart de ces exoplanètes étant bien trop proches de leur étoile, l’affaire s’était toujours montrée foireuse jusque là.

Puis en 2007, l’étoile Gliese 581– une naine rouge située à 20,5 années-lumière de la Terre – fait pas mal parler d’elle, quand les scientifiques européens de l’équipe de l’astrophysicien suisse Michel Mayor annoncent que deux des planètes de son système pourraient peut-être se révéler habitables.

La raison d’y croire? Elles se trouveraient dans la zone d’habitabilité, celle-là même où l’eau peut rester liquide sur une planète. A titre de comparaison, dans notre système solaire, trois planètes se trouvent dans la zone d’habitabilité, Mars, Venus et la Terre évidemment. Or on sait ce qu’il en est pour les deux premières. Autant dire que c’était pas gagné.

« - 31°? Même pas froid! »

Cette naine rouge répondant au nom barbare de Gliese 581 est en fait une étoile trois fois moins massive, deux fois plus petite et près de mille fois moins brillante que le Soleil. Si certains scientifiques estiment qu’elle possède un système planétaire constitué de six exoplanètes – on va y venir –  l’existence de deux d’entre elles, les planètes Gliese 581f et Gliese 581g, est fortement soumise à caution. Après la découverte des quatre premières, les scientifiques européens se sont logiquement évertués à se poser la question de savoir si deux d’entre elles, Gliese 581c et Gliese 581d, étaient potentiellement habitables puisque situées au bord de la zone d’habitabilité. Rapidement pourtant, en raison de l’absence de tout un tas de données capitales – concernant leur atmosphère notamment – les chercheurs européens se sont perdus en conjectures, et à peu près tout le monde a fini par ne plus en avoir rien à branler.

Trois ans plus tard, la petite sérenade reprend mais cette fois, ce sont les astronomes et astrophysiciens américains Steven S. Vogt et Paul Butler qui s’y collent. A la tête d’une équipe composée de membres de la renommée Institution Carnegie de Washington, les deux chercheurs publient fin septembre une révélation qui file le tournis aux médias du monde entier.

Après onze années à étudier le sujet, les deux lascars lâchent une bombe en révélant qu’il existe deux planètes autour de la naine rouge Gliese qui seraient probablement habitables, les fameuses planètes controversées f et g. Pas vraiment dans la mesure, Vogt se tripote littéralement la quine et explique au monde entier que Gliese 581g aurait tout de la planète recherchée depuis si longtemps. Sa masse ne serait que trois ou quatre fois celle de la terre, avec un diamètre compris en 1,2 et 1,4 fois celui de la Terre. Celle-ci effectuerait une rotation en 37 jours et présenterait des températures comprises entre -12° et – 31° celsius. Détail non-négligeable, une moitié serait en permanence dans la lumière de la naine rouge tandis que l’autre serait logiquement plongée dans la pénombre. Et comme elle se trouverait au beau milieu de la fameuse zone d’habitabilité, les chances d’y trouver de l’eau liquide seraient tout bonnement énormes. Et c’est là que le Steven Vogt s’enflamme carrément. D’une part, sa rhétorique digne des plus éminents ufologues a de quoi de surprendre:

« Si elles sont rares, nous ne devrions pas en avoir trouvé une si vite et si proche. La fraction de systèmes avec des planètes potentiellement habitables est probablement de l’ordre de 10 ou 20 %, et quand vous multipliez cela par les centaines de milliards d’étoiles dans la Voie lactée, vous trouvez qu’il pourrait y avoir des dizaines de milliards de ces systèmes dans notre galaxie »

Mais l’affaire prend véritablement une tournure excitante quand celui-ci lâche donc sans sourciller que la possibilité que cette planète abrite une forme de vie est de l’ordre de 100%. Complètement perché, il va même plus loin encore, affirmant selon Serge Brunier, journaliste de Sciences et Vie que les Américains « disposeraient d’ores et déjà des moyens techniques permettant d’aller [l']explorer in situ. »

Même si les conditions de vie sur cette planète de toute façon située à 192 000 milliards de kilomètres de Paris, ont l’air complètement péraves, le fantasme du petit homme vert – dans son blouson en Gore-tex pour encaisser le froid, évidemment– est ravivé, ce qui donne assurément à Michel de la compta, l’opportunité de balancer un super lien à Patrick de la logistique. Bref, dix jours durant, l’histoire de la planète habitable nous est resservie à toutes les sauces et chez nous, Le Monde et Le Point – pour ne citer qu’eux – ne manquent pas de relayer l’information. Sauf que…

Europe versus USA

Sauf que si l’histoire a beau être super cool sur le papier, le truc sent clairement l’enfumage et c’est la polémique qui reprend dessus. À la baguette, on retrouve bien entendu les meilleurs ennemis des scientifiques américain, à savoir les scientifiques européens. Les quatre premières planètes connues en orbite autour de Gliese ont toutes été découvertes par l’équipe européenne de Michel Mayor, à l’observatoire de La Silla, au Chili, site où se trouve HARPS, le télescope le plus puissant de la planète. Les deux dernières, par contre, l’ont donc été par Vogt et Butler grâce au télescope américain Keck, situé à l’observatoire du Mauna Kea, à Hawaï.

Concrètement, les Européens l’ont hyper-mauvaise parce qu’ils avaient déjà émis l’hypothèse de l’habitabilité – sans jamais pouvoir la prouver – pour deux autres des quatre planètes initialement découvertes, un fait que leurs homologues américains se sont bien gardés de rappeler. Mais l’affaire prend surtout une tournure encore plus pathétique quand les Européens opèrent une nouvelle vérification – avec un meilleur outil donc – à l’endroit précis où Gliese 581g est censée se trouver… et ne trouvent rien, confirmant l’existence très improbable des deux planètes supplémentaires. Revanchards et trop content de défoncer leurs homologues ricains, Michel Mayor et son équipe, en la personne de Francesco Pepe, l’un de ses collaborateurs, organisent alors d’une petite conférence de presse à Turin, il y a environ deux semaines pour refoutre les points sur les i des mots « scientifiques américains »:

« S’il y avait une indication dans nos données permettant de conclure à l’existence de Gliese 581g, nous aurions été capables de la trouver. [...] Nous n’avons trouvé aucune preuve de l’existence d’une cinquième planète dont la révolution serait de 37 jours »

Ambiance.

Sans doute pris de court, Steven s’est depuis contenté de répondre qu’il était confiant quant au travail de son équipe et qu’en quinze années passées à rechercher des exoplanètes, il ne s’était jamais fendu d’une fausse déclaration ou d’un erratum. Argumentation ô combien bullshit, mais soyons honnêtes, on n’en est plus à ça près. Toujours est-il que les Européens, arrogants au possible jubilent face aux doux mesquins américains.

Comme le résume bien Serge Brunier sur son blog, l’expérience de l’équipe européenne sur Gliese – couplée au fait qu’ils possèdent de toute façon le meilleur jouet pour observer les étoiles – fait clairement pencher la balance de leur côté. Pas tout à fait objectif non plus, Brunier, en profite au passage pour tacler salement les Ricains, rappelant que ce ne serait pas la première fois qu’ils publieraient des infos erronées avant de les avoir vérifié, sans oublier toutes les fois où ceux-ci ont disqualifié ou oublié de mentionner sciemment certaines découvertes européennes pour mieux leur damer le pion médiatique.

Mais, au delà du fait même de la véracité ou non de cette histoire de planète habitable – qui parait tout de même être une sacrée escroquerie – c’est surtout le comportement putassier dans le petit milieu des découvreurs de planètes qui interpelle. Si les politiques de fonds alloués à la recherche sont probablement la raison qui poussent les scientifiques à se foutre des coups de schlass par derrière, la marche forcée à la publication dans le but d’obtenir toujours plus de crédits de recherche – comme le souligne à raison Sylvestre Huet, journaliste scientifique à Libération – entraine tout ce petit monde dans un sillon plutôt malsain. Alors évidemment, pour peu que ces petites catins de journalistes en rajoutent une dose, hop, on tombe dans le clash scientifico-grotesque entre grosses têtes, pas intellectuelles mais plutôt niveau Philippe Bouvard.

On se fout souvent de la gueule des sportifs et de leur QI d’huitre, mais en définitive, il n’y a pas de raison que les golfeurs européens et américains soient les seuls à se foutre sur la gueule pour l’honneur du continent au cours de la Ryder Cup. Chez les astronomes, c’est pareil, on se la joue concours de grosse bite à la sauce guerre froide pendant toute l’année. Et puis, pour Noël, surtout, on n’oublie pas de demander son télescope plus gros que celui du voisin. En espérant pouvoir lui foutre dans le cul l’année suivante.

>> Illustrations CC Wikimedia Commons : ESO/L. Calçada et European Southern Observatory (fiche Wikimedia Commons)

>> Article initialement publié sur Abstrait ? Concret

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