Les cyber-activistes arabes face à la liberté sur Internet made in USA

Le 14 janvier 2011

Alors que la Tunisie s'enflamme, nous publions la passionnante analyse de Sami Ben Gharbia, cyber-hacktiviste et bloggeur Tunisien renommé, sur les rapports ambigus entre la défense de la liberté d'expression sur internet et la diplomatie américaine.

Cet article se concentre sur le cyber-activisme dans le monde arabe et les risques encourus d’une collision inévitable avec la politique étrangère et les intérêts américains. Il résume l’essentiel des discussions que j’ai eues, ces deux dernières années, avec de multiples acteurs engagés dans la défense de la liberté d’expression sur Internet et dans l’utilisation de la technologie pour le changement social et politique. Bien que le sujet principal demeure l’activisme numérique arabe, j’y ai inclus les problématiques et inquiétudes similaires soulevées par des activistes et défenseurs de la liberté d’expression sur Internet issus d’autres pays comme la Chine, la Thaïlande et l’Iran.

Ce document part donc de l’hypothèse que l’engagement privé – des entreprises – et public – de l’administration – US dans le mouvement pour la liberté sur la Toile est dangereux pour cette même liberté. J’éclairerai les raisons pour lesquelles je considère ce nouveau contexte comme étant extrêmement dangereux pour le mouvement des cyber-activistes de base.

Pour beaucoup de gens hors des USA, et pas seulement dans le monde arabe, le mantra de la liberté sur la Toile, diffusé à partir de Washington DC, n’est qu’une couverture pour des agendas géopolitiques stratégiques. Cette politique de la liberté sur Internet ne s’appliquera pas dans un vacuum. Elle se déploiera en premier lieu en fonction de la politique étrangère et des intérêts américains et occidentaux ; autrement dit, elle continuera de projeter les mêmes priorités occidentales. Le fait que les gouvernements US et occidentaux agissent comme des acteurs majeurs dans le domaine de la liberté sur internet pourrait présenter un réel risque pour les activistes qui acceptent leurs soutiens et leur financements.

Beaucoup de gens perçoivent l’hyperpolitisation du mouvement cyber-activiste et une appropriation de ses « succès » pour atteindre des objectifs géopolitiques américains comme le « baiser de la mort ». Le pire des scénarios possibles serait que le financement occidental et l’hyperpolitisation pourraient aboutir à une altération brutale de l’espace du cyber-activisme actuel pour laisser émerger un « cyber-activisme parallèle », totalement déconnecté du contexte arabe local. Il faut aussi souligner à quel point le mouvement pour la liberté d’expression sur le net est hypocrite et inéquitable quand il s’agit de soutenir la liberté de blogueurs-et de cyber-activistes en danger.

En mettant la liberté d’Internet au centre de leur agenda de politique étrangère, les USA seront peu disposés à s’engager dans une action qui pourrait mettre en danger la « stabilité » de l’ordre dictatorial dans le monde arabe. Et puisqu’il est irréaliste de voir les gouvernements américain et occidentaux quels qu’ils soient œuvrer pour encourager la dissidence politique contre leurs alliés arabes les plus proches, comme ils le font pour l’Iran et de la Chine, nous ne pouvons pas nous permettre de prendre le risque que la liberté d’Internet soit potentiellement prise en otage par de puissants acteurs. Acteurs dont le but est de servir des agendas géostratégiques qui ne sont pas en notre faveur.

Ce qui m’inquiète en particulier, c’est que chaque pont construit entre le gouvernement américain et ses centres de recherches ou des ONG travaillant sur les thèmes des libertés numériques et du cyber-activisme aboutira à la destruction d’un nombre déjà existant de ponts connectant ces mêmes ONG et centres de recherche aux activistes et blogueurs du monde arabe et du Moyen-Orient.

Et si la dynamique de la politique étrangère usaméricaine ne change pas, les activistes – surtout ceux originaires de pays exclus – continueront à la considérer comme une politique hypocrite cherchant à les utiliser et à instrumentaliser leurs causes pour son propre agenda.

Les risques directs pour le cyber-activisme dans le monde arabe, dans sa phase de développement actuel, sont donc énormes et doivent donc être discutés et traités. Cet article constitue une modeste tentative de définir des stratégies possibles pour l’avenir d’un cyber-activisme arabe, populaire et indépendant, et une tentative pour mieux comprendre comment naviguer sur le nouvel échiquier politique du 21ème siècle.

Les cyber-activistes : de nouveaux acteurs du changement

Comblant le fossé que les médias traditionnels et organisations de défense des droits humains ont creusé, le mouvement cyber-activiste s’est imposé, avec ses réussites et ses échecs, comme un acteur dynamique de changement, façonnant une portion relativement importante de l’opinion publique (du moins les connectés et lettrés). Ce mouvement évolue de plus dans un cyberespace qui semble mieux à même de résister aux tentatives des gouvernements de le contrôler comme ils l’ont fait pour les moyens traditionnels d’organisation et de communication.

Force est de constater qu’aucune des campagnes et initiatives numériques concernant des sujets délicats et qui ont marqué le cyberespace par des démarches innovantes et créatives n’a a été financée par des institutions occidentales (gouvernements, agences, bailleurs de fonds). Contrairement aux initiatives actuellement financées par les USA, ces initiatives pionnières avaient les caractéristiques suivantes :

- La nécessité: dans le monde arabe, l’utilisation d’outils numériques pour le changement social et politique n’était pas motivé par un intérêt médiatique ou professionnel. Au contraire, elle était le résultat de besoins émanant d’un fort engagement dans la défense des droits humains. Ces besoins sont le résultat direct d’un environnement autoritaire établi et de l’absence d’un espace ouvert où les militants auraient pu exercer leur citoyenneté. L’activisme en ligne a été “inventé” et s’est développé à cause de la nécessité de combler l’écart béant laissé par les acteurs traditionnels de la société civile.

- L’indépendance: Le territoire du cyber-activisme dans le monde arabe est l’un des plus décentralisés, des moins structurés, et dont la dynamique de changement est axée sur des problématiques locales et populaires. Par conséquent, même la plupart des ONG locales et des partis d’opposition ayant une maîtrise des outils internet ont un sérieux problème pour “l’infiltrer” ou l’exploiter pour leur propre bénéfice. Ceci a rendu le mouvement indépendant, attractif et résistant à toute forme de contrôle.

Mais l’indépendance ne signifie pas nécessairement la déconnexion ou l’isolement. Beaucoup de cyber-militants dans le monde arabe collaborent avec des partis ou mouvements d’opposition. La grande majorité de ces militants sont également reliés les uns aux autres, ils interagissent et collaborent lors d’événements majeurs et se rassemblent pour se soutenir mutuellement dans leurs campagnes et pour leur causes. Ils sont reliés ainsi au mouvement du cyber-activisme mondial à travers les circuits de conférence et les rencontres physiques.

Il faudra ajouter à cela la forte capacité de réseautage que les plateformes de réseaux sociaux ont intégré dans leur activité quotidienne sur le web. Les cyber-activistes agissent, réagissent et interagissent dans un contexte militant à plusieurs niveaux: local, régional, panarabe et global. Enfin, il est à noter que les campagnes les mieux réussies en faveur de blogueurs menacés ou emprisonnés sont menées par des militants indépendants appartenant à des réseaux informels. Ils jouent un rôle clé dans ce domaine.

- La complexité: Alors qu’il paraît facile à saisir, le cyber-activisme est un mouvement complexe à facettes multiples, qui varie fortement d’un pays à l’autre, et qui change tout le temps. Il est toujours en évolution et adopte de nouveaux outils et tactiques en adaptant constamment ses stratégies de résistance et d’action.

Une mutation en cours

Toutes ces caractéristiques ont rendu le cyber-activisme arabe vulnérable. Il fait aujourd’hui face à une multitude de défis.

D’une part, son indépendance et d’autres caractéristiques peuvent conduire à une crise structurelle et financière menaçant son avenir même. Arrivé à un certain degré, et par pure nécessité, le cyber-activisme, basé sur le volontariat, pourrait chercher à adopter une approche professionnelle qui requiert des ressources. Les stratégies de résistance anti-censure ne peuvent pas battre une police de l’Internet sophistiquée et déterminée. Les capacités de sécurité d’un amateur ne peuvent pas tenir tête aux attaques sophistiquées du type attaque par déni de service ou piratage. Les techniques de cryptage et les mesures de sécurité sont totalement inutiles quand les mots de passe et autres données sensibles sont extraits par le biais de la torture et de menaces.

D’autre part, sa complexité a rendu difficile pour les acteurs étrangers impliqués dans le cyber-activisme, que ce soit par le financement, le renforcement des capacités ou un appui logistique, de mettre en œuvre une politique qui prenne en compte la complexité spécifique de chaque pays lors de la conception ou de l’exécution de programmes ciblant la région tout entière.

Ces caractéristiques de départ sont sur le point de changer grâce à une multitude de facteurs et d’acteurs nouveaux, qui doivent être assimilés afin d’éviter que le cyber-activisme dans le monde arabe perde sa caractéristique la plus authentique et précieuse: son autonomie.

La question existentielle est de savoir comment surmonter ces défis et préserver son indépendance tout en répondant aux besoins de la construction d’un espace cyber-activiste dynamique, efficace et solide.

Comme la liberté de l’Internet et le cyber-activisme deviennent politiquement à la mode avec une rhétorique et des théories du changement délirantes, beaucoup d’argent est dépensé par des gouvernements sur ce « nouveau Colorado du changement ». Pour de nombreux gouvernements, ONG et fournisseurs d’outils de contournement, cette situation constitue une occasion sans précédent de mettre en avant leurs propres agendas, de mieux adapter leurs stratégies de relations publiques en fonction de la dynamique du moment ou simplement pour collecter plus d’argent.

Coincés entre des régimes autoritaires engagés dans une répression agressive, le filtrage de l’Internet et la surveillance d’une part, et une attention croissante de autorités publiques occidentales et des ONG associées d’autre part, les cyber-activistes et défenseurs de la liberté d’expression sur le net dans le monde arabe passent à travers l’une des phases les plus difficiles de leur courte histoire.  A tel point que cela pourrait modifier leur écosystème de façon dramatique.

Le nombre d’ateliers et conférences organisés par les ONG occidentales ciblant les blogueurs et les militants arabes a augmenté de façon spectaculaire au cours des dernières années au point que nul ne peut prévoir avec précision les conséquences de ces activités sur la nature du cyber-activisme arabe.

Un nouveau contexte

Au cours de son discours “Remarques sur la liberté d’internet” [PDF] du 21 janvier 2010, la secrétaire d’État américaine Hillary Clinton a élevé la liberté de l’Internet au rang de priorité de politique étrangère de la nouvelle administration Obama. Deux mois avant ce discours, en novembre 2009, Mme Clinton a annoncé le lancement de l’initiative société civile 2.0 qui aidera les organisations indépendantes à travers le monde à utiliser la technologie numérique, “attribuant 5 millions de dollars de subventions à des programmes pilotes au Moyen-Orient et en Afrique du Nord qui permettront d’accroître les nouveaux médias et les capacités de mise en réseau des organisations de la société civile ».

Certes, les USA ne sont pas le seul gouvernement qui s’emploie à intégrer la liberté de l’internet dans sa politique étrangère. De plus en plus de gouvernements européens suivent déjà leurs traces, avec le travail conjoint des ministères des affaires étrangères des Pays-Bas et de la France sur un code de conduite concernant la liberté d’internet. Ils planifient la tenue d’une réunion ministérielle en octobre prochain pour travailler sur leur plan de soutien aux “cyberdissidents”. “Nous devons soutenir les cyber-dissidents de la même manière que nous avons soutenu les dissidents politiques“, a déclaré le ministre français des Affaires étrangères Bernard Kouchner.

En outre, les grandes sociétés américaines d’Internet comme Google, Yahoo, Twitter sont enclines à se convaincre de la valeur de la liberté d’Internet ; leurs intérêts tendent parfois à coïncider avec ceux de l’administration américaine. Google travaille actuellement avec des responsables américains et européens pour monter un dossier qui libèrerait Internet de la censure, un obstacle au commerce. Depuis sa débâcle en Chine, Google a été la société la plus virulente en matière de liberté d’internet. « Notre objectif est de maximiser la liberté d’expression et l’accès à l’information [...] C’est une partie très importante du business pour nous », a déclaré Bob Boorstin, Directeur de la Communication à Google et ancien rédacteur de discours de l’administration Clinton.

Entre les 20 et 22 Septembre 2010, Google a organisé une conférence intitulée « Internet Liberty 2010 » à Budapest, en invitant les militants, les blogueurs, les ONG, les chercheurs, les gouvernements et les représentants d’entreprises.

La conférence a pour but d’explorer de nouvelles méthodes créatives pour repousser les limites à la liberté d’expression en ligne, la relation complexe entre la technologie, la croissance économique et les droits humains; les façons dont les dissidents et les gouvernements utilisent l’Internet, le rôle des intermédiaires de l’Internet, ainsi que des questions juridiques et politiques pressantes comme la protection de la vie privée et la cyber-sécurité.

À cette occasion, l’initiative « Réseau des Blogueurs du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord » sera lancée par le National Democratic Institute for International Affairs (NDI), basé à Washington DC, et plus ou moins associé au Parti Démocrate US. Le lancement, le 23 Septembre, d’un « Réseau des Bloggeurs du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord » par une ONG basée à Washington, via son initiative Aswat [fr] lors d’un événement organisé par Google et auquel assisterons les gouvernements US et occidentaux et des représentants d’entreprises, est exactement le genre d’intervention que nous devons éviter.

De la Silicone Valley à la Maison Blanche

L’autre question préoccupante est la “porte tournante invisible entre la Silicon Valley et Washington”, pour reprendre l’expression d’Evgeny Morozov, puisque de nombreux représentants du département d’État travaillent pour Big Web Industry, alors que quatre employés de Google sont allés travailler dans l’administration Obama.

L’exemple le plus récent est celui de Jared Cohen, le technopraticien et spécialiste de l’utilisation de la technologie pour promouvoir les intérêts des USA, la lutte contre le terrorisme et la lutte contre la radicalisation, qui fut membre du bureau de planification des politiques publiques du Département d’État sous les deux administrations Bush et Obama, et qui vient de quitter son poste pour diriger un nouveau département à Google appelé « Google Ideas ». Jared Cohen est celui qui est intervenu en Juin 2009 pour garder en ligne Twitter et retarder ses travaux d’entretien réguliers afin de maintenir le tweeting des Iraniens au cours des manifestations post-électorales.

Ce même Twitter cherche également à embaucher un agent de liaison à Washington DC dont la tâche sera d’aider Twitter « à mieux comprendre ce qu’il faut faire afin de mieux servir les candidats et les décideurs au-delà des clivages géographiques et politiques ». Le 9 juillet 2010, Katie Stanton, qui a travaillé pour Google en 2003 et pour l’administration Obama en tant que « Directrice de la participation citoyenne » en 2009, a rejoint Twitter, où elle va travailler sur les stratégies économiques et internationales.

Comme l’a dit Jared Cohen lors de son discours sur l’utilisation par Département d’Etat des nouvelles technologies et l’innovation dans la pratique de la diplomatie :

chaque université, chaque entreprise du secteur privé, est de facto un think-tank et un partenaire stratégique en ce qui concerne la technologie et l’innovation et leur pertinence et application en politique étrangère [...] ils n’ont qu’à lever la main et dire “nous voulons nous impliquer.

Le nouveau contexte est que les cyber-activistes, en particulier ceux du Moyen-Orient, attirent de plus en plus l’attention des agences américaines, des ONG qui y sont associées, de centres de recherche, d’universités et d’entreprises en ligne. De nombreux militants et de blogueurs du monde arabe ont aidé les centres de recherche, tels que le Centre Berkman, dans la traduction, la navigation, la compréhension et la cartographie du Web et de la blogosphère arabe. L’exemple le plus pertinent en l’espèce pourrait être la carte de la blogosphère iranienne et la carte de la blogosphère arabe, tous deux produits par John Kelly et Bruce Etling du projet Internet et Démocratie du Centre Berkman, ce dernier étant parrainé par une subvention de 1,5 millions de dollars de l’Initiative de Partenariat du Moyen-Orient du Département d’Etat.

La carte de la blogosphère arabe

La carte de la blogosphère iranienne

Si nous regardons de plus près les catégories utilisées dans cette recherche pour définir et étiqueter la blogosphère, nous constaterons qu’elle s’est attachée à comprendre et cartographier les voix «extrémistes», «terroristes» et «islamistes» dans la blogosphère arabe. John Kelly, du Centre Berkman pour l’Internet et la Société à la Harvard Law School, qui a participé à la cartographie des blogosphères arabe et persane, a reconnu dans un e-mail répondant aux critiques exprimées par certains blogueurs arabes concernant la carte :

Nous avons écrit quelque chose qui sera lu par une foule de DC [Washington, NdT] orientée sur la politique, et entre autres, des parties de l’étude sont naturellement dans un langage qui est codé dans les termes utilisés dans le débat là-bas.

Parlant de la cartographie des réseaux de blogueurs lors d’une conférence à l’Institut américain pour la paix le 8 janvier 2009, John Kelly a insisté sur la nécessité de « penser à nourrir et façonner ces réseaux quand ils sont petits, dans la mesure où ils grandissent très vite ». Tout cela est bien sûr destiné à façonner le développement des médias en ligne pour promouvoir la diplomatie américaine.

Lorsque le Sénat américain a adopté la Loi pour les victimes de la censure iranienne (VOICE) attribuant 30 millions de dollars au Broadcasting Board of Governors pour développer la radiodiffusion en langue persane vers l’Iran et contrer les efforts de brouillage iraniens, 20 millions de dollars pour “l’éducation électronique iranienne, l’échange, et des fonds pour les médias”, qui aidera les Iraniens à contourner la censure de l’internet et leur permettre de partager des informations en ligne, et 5 millions de dollars pour le Département d’État US afin de documenter les violations des droits qui ont eu lieu depuis les élections de 2009, mon cher ami Rob Faris, directeur de recherche au Centre Berkman aurait déclaré « Vous êtes en train de vous engager dans la cyber-guerre, du côté des bons. » Le fait que nos amis du Berkman Center soient en train d’adopter la rhétorique des “bons gars contre les méchants” montre le danger de ce contexte nouveau dont les frontières sont devenues floues.

Être de plus en plus vigilants face au jeu diplomatique

L’évolution la plus inquiétante, en ce qui concerne cette question, est de mettre les connaissances et les données recueillies en partie par des cyber-militants indépendants et des blogueurs, via leur collaboration avec les centres de recherche et des ONG américains, entre les mains d’une foule de DC orientée sur la politique afin de favoriser les intérêts américains ou la cyber-guerre dans le monde.

Lorsqu’on voit des gens comme mes amis John Kelly et Ivan Sigal, directeur exécutif de Global Voices, prenant part à une conférence à l’Institut de Paix Américain, le 8 janvier 2009, avec le général commandant du CENTCOM David Petraeus, et de nombreux autres responsables US, et partageant leurs connaissances sur la blogosphère et le rôle des médias sociaux dans la région, alors que l’événement est largement axé sur la recherche de «solutions non-militaires » aux défis cruciaux de politique étrangère auxquels fait face l’administration US, nous ne savons même plus comment la connaissance générée par les blogueurs, les auteurs bénévoles et les militants est utilisée et à quelles fins. La présence de mon ami estimé Ethan Zuckerman lors d’une conférence sur les cyberdissidents organisée par l’Institut George W. Bush, même si Ethan a une position politique différente, a également été perçue par beaucoup comme un mauvais calcul.

Et c’est ce qui rend la situation difficile et inconfortable pour nous tous. Bien qu’il soit tout à fait normal et habituel pour un citoyen américain d’assister à un tel événement et même de collaborer avec son gouvernement ou de témoigner à l’audience du Congrès et d’offrir son expertise, il sera beaucoup plus difficile pour les militants non-américains d’accepter de collaborer avec les ONG, les centres de recherche ou des fournisseurs / promoteurs des outils de contournement, qui sont parrainés par le gouvernement américain et qui partagent leurs connaissances et données avec les décideurs des USA, les commandants militaires, les services de renseignement, etc. De fait, chaque étape franchie dans le sens d’une collaboration plus étroite avec le gouvernement US finira par affaiblir les centres de recherche américains et la position des ONG dans le domaine mondial de la liberté de l’Internet.

Je ne remets pas en cause ici le droit des USA ou tout autre régime d’utiliser la liberté d’Internet comme outil de diplomatie ou comme moyen brutal de changement de régime qui serve ses propres intérêts, cela relève du domaine politique par excellence. Mais, dans ce nouveau contexte marqué par les efforts publics et privés pour adopter la liberté de l’internet comme outil de politique étrangère, que ce soit par la recherche, la cartographie, la traduction, le soutien ou le financement, les cyber-militants dans le monde arabe ont peut-être besoin d’être plus prudents et sceptiques sur la façon de faire face à cet espace et à repenser aux partenaires avec lesquels ils peuvent travailler et collaborer au mieux.

Alors maintenant, quand nous voulons collaborer avec un centre de recherche ou une ONG pour répondre à une enquête, ou collaborer à un projet de crowdsourcing, ou aider à traduire un texte ou un outil, ou donner un éclairage contextuel de certains sujets, ou recommander à des militants et des blogueurs d’assister à une conférence, on peut se demander si nous ne sommes pas en train de collaborer avec le gouvernement US via ces “proxies”.

Découvrez la seconde partie de cet article.

Article initialement publié sur Nawaat.
Traduit de l’anglais par Marina El Khoury / Édité par : Fausto Giudice

Crédits photos cc Nawaat et FlickR (megaul, altemark, kinitta)

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