Visite guidée d’une studette parisienne

Le 1 avril 2011

Les prix de l'immobilier ne cessent de grimper. Récit d'une visite d'un deux-pièces des beaux quartiers de « 50m2 au sol », qui n'offre en fait que 22m2 habitables. Et dire que des gens se bousculent pour ça...

À l’abondante rubrique du WTF de l’immobilier parisien, où la démence spéculative côtoie en toute quiétude le scandale sanitaire, ma dernière expédition dans un deux-pièces des beaux quartiers mérite son entrée au Top 5 des plus belles escroqueries visitées. On ne remplace pas dix ans d’expérience. Ayant rendez-vous à 18 heures, j’arrive à 18h15. Rien ne sert de se presser pour louer. Face au candidat locataire, l’agent immobilier débarque systématiquement un quart d’heure en retard avec comme seule excuse sa nonchalance overbookée qu’il accompagne dans les grands jours d’empathie d’un « hi, hi, la circulation vous savez ce que c’est ».

Ils sont vingt-cinq alignés en rang d’oignon contre le mur ombragé de la jolie rue sans vie de l’arrondissement à la pierre précieuse. Ils ont entre 25 et 40 ans, une chemise cartonnée de couleur sous le bras avec deux élastiques. Au terme des dépôts de garantie, des pièces à conviction et, bientôt, des analyses ADN à livrer : un seul vaincra, peut-être. Pour le moment, ils s’ignorent, perdus dans la consultation de leur jouet (taux de pénétration de l’appareil Heil Phone sur ce côté de la rue : 90%). Moi j’ai un Nokia tout pourri des années 2008, obsolète, mais, au bout de 30 secondes, je reçois un appel avec quelqu’un qui me parle au bout et ça, ça en jette.  On s’estime, on se scanne, on se jauge.

Chacun tapisse la honte d’avoir encore à patienter pour se loger à son âge de sa réconfortante sérénité de jeune précaire rompu à la galère. Chomdu, malbouffe, précariat et études refuges, au fil des déconvenues, chacun ici a développé une contemplative méditation sociale qui en a fait un esprit tolérant, lumineux, mature et inspiré. Hey, putain les mecs, vous êtes fiers de vos groles de Bozo ! Merde ça a rime à quoi ces ridicules chaussures à pointe en faux cuir pour commercial en stores ! Oui, le candidat est un loup pour le prétendant. Vaine tentative de déstabilisation, revenons à nos moutons.

J’ai des principes. D’habitude, je ne me déplace jamais pour ce genre d’annonces publiées sans photo, estimant qu’avec des « frais d’agence » tournant entre 1.000 et 1.500 euros, ces abuseurs de maman pourraient s’acheter un Coolpix à 150 euros et cracher au prétendant un ou deux .jpeg. Mais non, à l’heure des écrans et des images partout, tout le temps, à Paris l’annonce immobilière illustrée reste encore l’exception.

Tout y est « joli », « charmant » ou « proche métro »

Trop en montrer serait explicitement revendiquer l’escroquerie, une sorte de flagrant délit pictural sur des offres oscillant entre offense et indécence. Limite ça pourrait foutre la honte à l’agence, tu vois ? Il faut donc capitonner les annonces. Tout y est « joli », « charmant » ou « proche métro » (grosse méfiance quand tu retrouves les trois ensembles). Sur la vitrine de l’agence, les loyers élevés rassurent les investisseurs. « Si ça se loue à ce prix là, dit Simone à Robert venant d’empocher l’héritage de l’arrière-grand-père net d’impôt, c’est qu’il faut acheter pour louer encore plus cher ! » Matériel publicitaire pour la bulle spéculative, en attendant que ça krache, les prix élevés à la location contribuent à maintenir artificiellement la cote (nous constatons sur Paris que de plus en plus d’ annonces de location tournent des mois sans trouver preneur).

Ce n’est donc que lorsque le candidat à la loc’ appelle l’agent pour convenir d’un rendez-vous que le ton se durcit. Il passe un premier casting téléphonique à la sauce “nouvelle star”, à base de “vous avez des garants qui sont propriétaires” et « vous gagnez 3,3 X le montant du loyer ». Après les mensonges d’usage, le candidat décroche enfin le rendez-vous et peut découvrir la réalité immobilière de la location parisienne : les  « immeubles modernes » datant de 1910, les 3 pièces se transformant en 2 pièces, les 2 pièces virant duplex, des duplex devenant studios aux charges qui doublent. S’ajoutent, quelques douceurs sur le cake à pognon : des frais divers plus ou moins légaux (trimestres payables d’avance, état des lieux payant, taxes diverses…).

Mais bon, bref, nous n’en sommes pas encore là. Il fait beau, je suis de bonne humeur, et de toutes les façons on va tous crever à cause d’une overdose de panaché, donc me voilà comme un niais à faire la queue avec les autres alléchés par l’annonce :

2 pièces atypique 50m2 dans charmant immeuble de standing. Joli appartement. en partie mansardée. Très clair au 4ème étage sans ascenseur. Accès entrée par petit escalier intérieur. Un séjour avec cuisine équipée. 1 chambre. Salle d’eau avec WC. Parquet. 1170 euros. Honoraires 1170 euros.

18h20. Après avoir renversé trois poubelles, un Vélib’ et deux poussettes pour se garer de travers sur une place handicapé avec sa Smart cabossée, l’agente arrive enfin :

- Hi, hi, c’est compliqué de se garer dans ce quartier. Bon on va vous faire rentrer 3 par 3 ce sera plus simple.

Rupture d’ambiance. Terminée la neutralité bienveillante. Chacun n’épie plus figé la coque amovible du mobile d’autrui (j’aime beaucoup cette phrase). Les candidats passent en phase « c’est moi le premier ».  À la suite de l’agente aux clés, la procession des déclassés grimpe l’escalier du  « charmant immeuble de standing ». Premier étage, une société sans salarié. Deuxième étage, une société sans employé. Là, un cabinet d’avocats, spécialiste en immobilier. Là, un dentiste fermé. Ah, Paris… son brassage de population, sa mixité sociale et son dynamisme ! L’ascension se poursuit sur six étages et non sur quatre comme mentionné. Et, six étages d’un  « charmant immeuble de standing parisien », ça veut dire douze en langage de terrien. Les larges marches en bois usé de ces bâtisses antiques cirées jusqu’à l’abus du lisse compromettent l’odyssée, surtout celle des hommes en chaussures en faux cuir à pointe qui dérapent dans les virages. À l’aube du sixième niveau, on tousse, on halète, les étudiants les plus endurants tablent déjà sur quelques défections féminines. On entend des plaintes en espagnol, en bavarois et même en japonais. Mais rien n’y fait, toutes tiennent bon. Ils atteindront le pied-à-terre promis.

Je m’agrippe à la barre, de plus en plus branlante au fil de la montée. Les murs s’assombrissent, s’auréolent d’humidité, les matériaux semblent maintenant de moins bonne qualité. Je tente d’en décourager quelques-uns en lançant un  « nous n’aurions pas du tous grimper en même temps, la rampe va céder » dont l’écho de terreur file sur la cuirasse en titane des soldats de  seloger.com comme une soirée électorale de défaite UMP sur TF1. Les marches étroites resserrent les sueurs des aspirants locataires. On ne peut désormais plus faire marche arrière, sans entraîner la glissade générale. La conquête du dernier niveau se joue sur un ajout rouillé : un escalier de service en colimaçon, modèle phare de l’angoisse. En cas d’incendie, pour les habitants de ces lieux qui, à l’instar de la vétusté de leurs installations électriques, atteignent des sommets, c’est le gage d’un bon barbecue où ils feront office de pigeons braisés.

Dernier étage : un parterre de poussière sous les toits fleurant bon le courant d’air continu l’hiver et la cuisson à l’étuvée dès le 1er mai. Ceci explique mieux le label « Bah on sait pas » du bilan énergétique publié sous l’annonce.

« Nous y voilà » fanfaronne l’agente. Vous allez voir c’est atypique. »

Appelle-nous jeunesse aux rêves plats, mais, dans cette capitale où tout est facilement  « atypique », on en vient à souhaiter du quelconque : une cuisine, des vrais WC, un lit qui ne soit pas à plier, un loyer à trois chiffres. La porte d’entrée se confondrait aisément avec celle du vide-ordures si seulement l’immeuble disposait d’une telle technologie. Le dormant de la porte en balsa écrête à 1m50 et il faut littéralement se plier en deux pour le passer. «Atypique » en effet. Mal foutu eût été plus à propos. Mais il faut en plus pour flétrir les durs à cuire de ma génération rodés à bosser pour rien, vivre à genoux, bouffer du Lideule et mater du Carré Viip en se lamentant sur le Net que la télé c’est trop abusé ! Ayant laissé ma place aux quinze premiers, je ne perçois des premières visites que pouffades et échos agacés.

Vim Diesel, en blouson de motard, sort de là avec sa Michelle Rodriguez.
« – Non mais c’est une blague !
- Je t’avais dit que c’était un loi Carrez. »

Jean-Gonzague, thésard en tubulure de la structure séquencée des théorèmes du têtard, prend ça avec philosophie :

«- C’est mignon. »

Le Schpountz 2.0 monté à la ville pour son CAP MacDo y va franco :
« – ‘Té, c’est de la merde ! À ce prix-là chez moi, j’ai une ferme avec le tracteur et les vaches ! »

Les comptes-rendus détendent l’atmosphère, désintoxiquant la cage d’escalier de son taux de compétition. N’empêche, j’ai attendu dix minutes, gravi l’Annapurna au péril de ma vie sur des marches O Cedar : pas question de céder à l’orée du repaire des Minimoys. C’est mon tour. Je suis accompagné de deux baraques allemandes, Zadig et Micromegas. Et c’est tout naturellement que nous pénétrons à quatre pattes, tel le centipede [en], dans l’appartement proposé à la location à un tarif avoisinant celui du salaire médian.  Entrée en matière avec un premier coup de boule dans une poutre : si près du Panthéon et pas de place pour les grands hommes. L’étape éliminatrice de la porte d’entrée franchie, les grands gaillards ne se laissent pas émerveiller par le parquet stratifié flambant neuf, ne succombent pas l’enivrement des senteurs de peinture fraîche (hou la la au moins 200 euros de travaux) et surtout, surtout, prennent garde au dénivelé. L’appartement (enfin ce qu’à ce stade nous croyons encore être un appartement) se situe 60 centimètres en contre bas de la porte d’entrée. Ce truc en moins, c’est le petit plus. Va savoir, les soirs de forte pluie, le locataire sélectionné (après présentation d’un dossier validé par le FMI) bénéficiera peut-être d’une piscine sous les toits. Ce qui, tu en conviens, est le comble du luxe parisien.

A notre droite, là où l’agente attend la remise des dossiers, sa rente et ses honoraires, se situe une « pièce » de 5m2. Espace inutile et inutilisable, dans l’épingle à cheveux, séparant le tunnel de passe-partout de son appartement ou, plutôt, de son sarcophage pyramidal à la gloire du pharaon tout-en-arnaque : « mansardé » étant, de loin, le moins mensonger des mots du message.

Zadig, Micromegas et moi sommes pris d’effroi. Nous appréhendons bien mieux les commentaires désabusés de Diesel à sa belle. Nous sommes ici en présence d’une double “chambre de bonne” en enfilade sous un toit en pointe. Les 50m2 au sol correspondent au final à un 22m2, « habitable » sur sa seule longueur centrale. Enfin… à condition de faire moins d’un 1m60. Je ne peux pour ma part me déplacer que sur un espace correspondant à la largeur de mes bras tendus, le long des 7 mètres reliant la cuisine (où il convient de faire bouillir ses pâtes accroupi) à la « suite parentale » (où le « vivons heureux, vivons couchés » n’est pas une phrase en l’air). Je ne sais pas trop ce qu’en pense Zadig, mon collègue berlinois. Culminant à 2m03, sa tête sort de l’appartement par la fenêtre de toit :

ZADIG face en offrande aux fientes.

Was ist das ?

Non, honnêtement, c’est étriqué. La seule pièce verticalement vivable reste « la salle d’eau » et ça n’a rien de Versailles. Dans ce réduit de 4m2, il faut enjamber les toilettes (sans passer à travers) pour se doucher. Problème si l’on peut s’y laver en longueur, on ne peut s’y soulager en largeur : toute personne présentant un ratio taille / poids hors des critères de la double page centrale d’Anorexia magazine n’aura qu’à aller faire caca chez l’avocat. Et si d’aventure, le prétendant un peu enveloppé réussissait son entrée dans « la salle d’eau », il prendrait le risque de ne plus pouvoir s’en extirper. Ce qui, à cette altitude dans l’immeuble inhabité et pour peu qu’il ait oublié son heil-phone sur la table (basse forcément), peut vite virer au faits-divers de merde.

L’agente :

Vite, vite je suis pressée : j’ai pas mis de ticket à ma Smart !

Et radine avec ça. L’aller-retour de la cuisine à la chambre est expéditif. Zad et Micro, pas plus que les visiteurs d’avant ni ceux d’après ne déposent de candidature. Même avec des chaussures de clown, on a encore un semblant de dignité. Et parlons chiffres : je suis formel, un autobus blindé de rugbymen est plus spacieux. Avant d’être inlouable, la chose est d’abord inhabitable au-delà de l’âge de 7 ans. Redescendant en rappel avec mes camarades d’infortune, j’en viens même à me demander quel esprit débile, possédé par l’appât du gain, la Leroy-Merlinmania et la folie des grandeurs inversée, a pu investir pour refaire à neuf cette chose de haute altitude qui, au mieux, se prête pour dépanner. Ce mètre carré hors de prix du centre de Paris ne vaut objectivement rien.

On y a oublié une chose : l’humain.

> Article publié initialement sur le blog de SebMusset sous le titre Paris : l’immobilier en pointe

> Illustrations Flickr CC Xo-Mox, Rafaël Garcia-Suarez et Fred Panassac


> Vous pouvez retrouver l’ensemble du dossier logement avec Les ghettos de riches mettent les pauvres au ban, Cherche HLM dans le 16e arrondissement et Se sentir “chez soi” à Paris.
Crédit photo Guillaume Lemoine CC-BY-NC-SA et design par Ophelia

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