Les promesses oubliées du président Piñera aux gens des mines

Le 19 mai 2011

Plus jamais ça! Le président chilien avait promis d'améliorer les conditions de travail des mineurs. Six mois après la libération des 33, rien n'a été fait. Troisième partie de l'enquête OWNI dans l'Atacama.

Direction l’extrême nord du Chili. La « Mina Iris », une mine de lithium, est située à une cinquantaine de kilomètres à l’est d’Iquique, sur les anciennes terres péruviennes, annexées par le Chili lors de la guerre du Pacifique1 .

C’est là que travaille désormais l’un des anciens 300 mineurs de San José, Jorge Olivares, un mécanicien d’une trentaine d’années. Jorge est un petit svelte hyper-actif, un piercing au sourcil gauche, qui a le sourire attaché aux lèvres. C’est le gars qui détend l’atmosphère avec une bonne blague.


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Imaginez la Côte d’Azur, mais naturelle, sans immeubles ni touristes. Vous avez la route qui mène à Iquique, une cité portuaire de 221 000 habitants. L’entrée de la ville est annoncée par une statue de la taille d’un homme : un mineur et son pic. Iquique, tout un symbole ! En 1907, au moins cent vingt-six mineurs rassemblés à l’école Santa Maria d’Iquique pour protester contre leurs mauvaises conditions de travail se faisaient tuer, sur ordre du gouvernement.

Seul, il a gagné son procès contre la mine: 10 000€

Ce soir d’avril à Iquique, Jorge est fou. Il vient de gagner son procès contre San Esteban !

J’ai gagné ! Je vais toucher mes indemnités, j’ai gagné ! Ah ah, dix mille euros ! Je vais me payer un voyage au Brésil !

Jorge Olivares est le seul des 300 qui a intenté un procès à l’entreprise San Esteban Primero S.A., propriétaire de la mine San José. À la terrasse d’un café, au bord de l’océan, on trinque à sa santé.

Quand les 33 ont été libérés, San Esteban nous proposait de régler une première partie des « finiquitos » (Ndlr, les indemnités de licenciement) immédiatement, la deuxième trois mois plus tard (mais dans ce cas, le total aurait été inférieur au montant dû) ou étalé sur l’année, en douze fois. Pour toucher l’intégrale, il fallait attendre un an. Moi, je voulais avoir tout, tout de suite, ce qui me semblait normal.

Jorge Olivares, mécanicien, à la mine Iris de Lithium

Mais il a fallu se battre. Et d’abord, trouver un avocat. « Rien n’a été plus facile ! Quand mon ami Daniel Herrera, un des 33, a été transféré à l’hôpital de Copiapo, je suis allé lui rendre visite. Il y avait Sebastián Piñera et l’entourage présidentiel. Pendant que Daniel parlait avec Piñera, je discutais du problème des indemnités avec les proches du président. Ils m’encourageaient à porter plainte contre San Esteban. Il y en a même un qui m’a donné la carte de visite de son avocat. Je l’ai prise. Quelques jours plus tard, j’obtenais un rendez-vous. »

Sept mois après l’accident, le gouvernement délaisse les 300 mineurs, oubliant au passage les promesses qu’il avait faites, que ce soit sur l’amélioration des conditions de travail, ou l’aide au règlement des indemnités de licenciement.

Dix heures par jour pour 1600€ par mois

Le soleil se lève sur l’Atacama, balayant les montagnes de lumières orangées. Jorge Olivares et son chef, Eduardo Millacura, sont déjà à l’entrée de la mine. En contrebas, un énorme panneau :

Mina Iris : 85 jours sans accident

Surprenant ! « C’est une garantie que l’entreprise respecte les conditions de travail de ses ouvriers », lance fièrement Jorge. Sans le contredire, le chef reprend : « Mais malgré nos efforts et le fait que la mine soit à ciel ouvert, ce qui réduit les risques, on n’échappe pas aux accidents. L’année dernière, quatre mineurs chargeaient un camion d’explosifs de nitrate d’ammonium. Le camion a explosé, ils sont tous morts sur le coup. »
Depuis l’accident de San José, Eduardo a redoublé de précautions. Tous les matins, il réunit son équipe pour parler sécurité, puis les ouvriers doivent signer une fiche d’évaluation des risques.
Explications de Jorge :

Grâce à cette fiche, tu connais les risques que tu prends ce jour là. Tu peux toujours refuser le travail proposé. Mais un mineur ne refuse jamais. Ce n’est pas dans sa nature.

C’est aussi une astuce de l’entreprise pour se couvrir d’éventuelles poursuites judiciaires, en cas de pépin.

Eduardo Millacura, le chef de la mine Iris (près d’Iquique)

Jorge Olivares semble ravi. « D’abord, je suis aussi bien payé qu’à San José », environ 1600 euros par mois. « Ensuite, je travaille en plein air, alors qu’à San José, les souterrains étaient bouillants (entre 35 et 40 degrés, 95 % d’humidité). Il nous arrivait même de travailler en caleçon, avec de l’eau jusqu’aux cuisses ! ». Et s’il travaille dix heures par jour, les temps de repos sont fréquents, ce qui lui permet de rentrer à Copiapo cinq jours toutes les deux semaines.

Il faut compter quatorze heures de bus, mais j’y pense pas, je dors presque tout le temps du voyage.

Les employés des sous-traitants n’ont rien touché

Les autres mineurs ont eu moins de chance, question argent. Ceux qui n’étaient pas employés par San Esteban mais par une entreprise sous-traitante, n’ont rien touché. Les autres, la majorité des 300, ont d’abord perçu la moitié de leurs indemnités de licenciement (en moyenne 300 000 pesos chiliens, soit un peu moins de 500 euros), en décembre. Mais de la deuxième partie, ils n’ont eu, en moyenne, que 4000 pesos, l’équivalent de… deux cafés crème !
Les rares syndicalistes de San Esteban continuent de suivre le dossier, mais désespèrent de voir un jour tomber le reste des indemnités. « Il paraît que c’est pour octobre », soupire Horacio Vicencio, un mineur d’une cinquantaine d’années, numéro 2 du syndicat des travailleurs, le premier syndicat de San Esteban.
Les 300 ruminent. Certains manifestent de temps en temps à Copiapo, dans l’indifférence quasi générale. Le 18 octobre 2010 déjà, une centaine de mineurs, avec femmes et enfants, s’étaient rassemblés sur le « camp de l’Espoir ». Sur certaines banderoles, on pouvait lire :

San Esteban, nous ne sommes pas 33, nous sommes 300.

Marcelo Kemeny et Alejandro Bohn, les patrons de l’entreprise San Esteban, font, quant à eux, valoir un argument choc : nous n’avons pas l’argent pour payer.
Malgré sa production exceptionnelle : près de 3 tonnes de cuivre par jour, et ses réserves d’or proches du milliard de dollars, l’entreprise était manifestement en difficulté. Avant l’accident, Kemeny et Bohn devaient déjà plus de 2 millions de dollars au gouvernement chilien. Mais qui doit indemniser les mineurs ? Qui est responsable de l’accident ?
Pablo Ramirez, ancien chef d’équipe à San José :

Les responsables, c’est avant tout Bohn et compagnie. On le savait depuis longtemps, que la mine était dangereuse. Il n’y avait même pas d’échelles de secours, pourtant obligatoires dans toutes les mines au Chili. Normalement, des filets de sécurité doivent couvrir la voûte, pour maintenir les pierres branlantes. Là, toutes les pierres étaient branlantes, mais il n’y avait de filets de sécurité que sur une infime partie de la mine, 20 % tout au plus.

Selon une enquête du Congrès chilien déclenchée fin août 2010, à San José, le taux d’accidents était supérieur de 307 % à la moyenne nationale.

Dans un café fleuri de Copiapo, Horacio Vicencio tourne machinalement sa petite cuillère dans sa tasse à café vide. Pour ce mineur et responsable syndical, la responsabilité est partagée entre l’entreprise et le gouvernement :

En 2008, alors que les mines San José et San Antonio étaient fermées depuis un an pour non respect des conditions de sécurité, le gouvernement chilien [Ndlr, à l'époque il s'agit du gouvernement de la Concertacion, une coalition de gauche] a autorisé la réouverture de San José. Depuis, chaque année, les autorisations d’exploitation de la mine ont été renouvelées, alors qu’aucun travaux significatif n’a été fait. Nous (les syndicalistes) avons depuis demandé que des enquêtes indépendantes soient menées, on ne nous a jamais répondu. Pire, le président de notre syndicat, Xavier Castillo, a été mis au placard. Il était salarié à San José, mais n’a jamais eu le droit d’y travailler. Les directeurs l’empêchaient d’être en contact avec les autres mineurs.

L’actionnaire principal de San Esteban, c’est l’Etat…

Parallèlement, le 30 septembre 2010, l’avocat de 27 des 33 rescapés de San José, Edgardo Reinoso, a porté plainte contre San Esteban, mais aussi contre le gouvernement, au nom des familles. Il réclame 27 millions de dollars de dommages et intérêts (soit un million de dollars par mineur), pour mise en danger de la vie d’autrui. Mais « le procès n’avance pas. La justice chilienne a souvent ses lenteurs… ».

A mesure qu’il parle, Vicencio est de plus en plus remonté. « Quand les 33 étaient prisonniers de la mine, Sebastián Piñera, qui s’inquiétait beaucoup de son image, a fait croire au monde entier que San José était entièrement privée ! En réalité, l’actionnaire principal de San Esteban, c’est Enami, une entreprise minière nationale. Qui plus est, à San José, Enami gérait tout ce qui relevait des services ; elle devait par exemple fournir le personnel médical… En décembre, c’est Enami qui a payé la moitié des indemnités des 300 mineurs. Mais elle a donné l’autre partie à San Esteban, qui ne l’a jamais redistribuée ! »
Sebastián Piñera avait, quant à lui, promis d’améliorer les conditions de travail des mineurs.
Deux jours après leur sauvetage, il avait ainsi déclaré aux 33 :

Nous pouvons garantir que plus jamais dans notre pays nous ne permettrons qu’on puisse travailler dans des conditions aussi peu sûres et inhumaines. Dans les prochains jours, nous annoncerons à la nation un nouvel accord avec les travailleurs.

Las, aucune loi sur le sujet n’a, depuis, été votée. Les conditions de travail dans les mines n’ont pas changé.
De leur côté, les responsables de San Esteban n’ont pas été inquiétés.
Mineurs et journalistes cherchent, en vain, à les contacter, mais les deux directeurs se font discrets. Seul un photographe-reporter a, un soir d’avril, croisé par hasard, Marcelo Kemeny au Casino de la ville.

C’était incroyable, ce mec soi-disant ruiné empochait des tas de billets ! Quel con, si j’avais eu mon appareil photo sur moi, je faisais un carton !


Photos Anaëlle Verzaux

  1. Lors de la guerre du Pacifique (1879-1884), qui a opposé le Chili au Pérou et à la Bolivie, le Chili a gagné des terres à ses deux voisins. Ce sont aujourd’hui les endroits les plus riches en matières premières du Chili. []

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