3615 Martine Aubry

Le 6 septembre 2011

Ce matin, Martine Aubry livrait sa vision du numérique au cours d'une rencontre avec quelques journalistes. Un programme plein de bonnes intentions, qui manque néanmoins de concret.

“Je ne suis pas née dedans”. La candidate à la primaire du Parti Socialiste n’hésite pas à l’avouer: Internet, c’est pas son dada. Il faut pourtant bien s’y coller: 2012 est dans le viseur et la course à l’échalote s’intensifie dans les différents partis. Y compris dans le domaine du numérique.

Ce matin, Martine Aubry a donc réaffirmé ses plans pour Internet, quelques mois après le show de l’UMP dans les sous-sols de la Bourse et la réunion très branchée du PS du côté de La Cantine, haut lieu des cultures numériques à Paris. Conseillée par les députés Christian Paul et Patrick Bloche, ainsi que par Daniel Kaplan, délégué général de la FING1, l’ancienne première secrétaire a livré à un parterre de journalistes spécialisés sa perception de l’e-monde. Un effort pétri de bonnes intentions, qui ne dépasse pas néanmoins un alignement de poncifs manquant d’assises.

Déclaration d’intentions

Certes. ”Internet est un outil formidable”, ”magique” et ”le numérique est un fait”. Mais ces formules d’usage sont pour le moment peu suivies de propositions concrètes. Et si certaines sont énoncées, un flou demeure quant à leur application.

Dans le cas de la Cnil2, que Martine Aubry souhaite adapter ”aux enjeux actuels”, en la mutant en une ” Commission nationale des libertés numériques”, peu d’éléments sont donnés sur les attributions à venir de l’autorité. Si l’idée générale est que la future entité soit saisie des questions relatives à la liberté d’expression, ce futur champ de compétences semble suffisamment large pour aller mordre les plates-bandes de l’Arcep, (chargée des télécoms et théorique gardienne de la neutralité des réseaux) et du CSA (responsable de l’audiovisuel). A la question de leur éventuelle fusion, présentée par certains comme nécessaire pour répondre à la transversalité de la thématique Internet, Martine Aubry répond que seule la Cnil devrait être concernée. Si tel était le cas, aucune précision sur ce qu’il adviendrait des attributions des autorités concurrentes, mais il est établi que le généreux budget de l’Hadopi (15 millions par an), vouée à disparaître, viendrait booster celui de la Commission.

En disparaissant, la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet devrait faire place à une licence globale, en version améliorée.

Exit le point noir du bilan numérique de la majorité, reste à savoir ce que l’on va mettre sous cette ”contribution individuelle au financement de la création”. En théorie, celle-ci devrait consister en une somme forfaitaire, ajoutée à celle versée dans le cadre d’un abonnement à Internet, puis redistribuée à l’industrie culturelle. Après avoir évoqué le montant de 2 euros par mois et par abonnement, Martine Aubry a finalement ramené cette contribution à 1 euro. Reste à voir si les opérateurs s’adapteront docilement à la mesure, et en quelles proportions celle-ci sera redistribuée aux différents pans de l’industrie culturelle. Interrogée sur ce point, la candidate a cédé la parole à Christian Paul, qui a répondu que le cadre de la contribution se fixerait “step by step”. En clair, le chantier de la gestion des œuvres sur Internet reste ouvert.

Reste que pour permettre aux citoyens de s’émanciper, comme le souhaite la candidate à la primaire socialiste, encore faut-il que ces derniers aient accès à Internet. Le déploiement de la fibre optique est ainsi affiché comme objectif prioritaire. Appuyée par Christian Paul, qui estime que le retard de la France risque de devenir “apocalyptique”, Martine Aubry refuse de “céder au chantage des trois grands opérateurs” concernant le déploiement de la fibre sur l’ensemble du territoire, et imposerait la planification du développement de l’infrastructure par un opérateur public.

“Je ne suis pas née dedans”

Au-delà de la faiblesse pratique de son programme numérique, on retiendra surtout une certaine forme de défiance, ici contenue, de Martine Aubry face au réseau. Internet, c’est vraiment bien, mais c’est aussi des ”dérives”. Moins importantes que les velléités de contrôle du net exprimées par certains, précise la candidate, mais qui restent néanmoins présentes dans son discours. Et si Internet libère des hommes de l’autre côté de la Méditerranée, il ne risque pas moins de déshumaniser le travailleur. L’informatisation renforce ”le sentiment que la machine nous remplace”, a déclaré Martine Aubry, qui souhaite aborder le problème dans le cadre d’un Grenelle du travail.


Quand la candidate considère Internet comme un “outil essentiel au développement de la démocratie politique”, elle souligne aussi dans la foulée le fait que deux tiers des commentaires en ligne sont “sans intérêt”. Même si “c’est sans doute le seul moyen pour ces gens de s’exprimer”, il faudrait néanmoins “monter la qualité du débat”. La maire de Lille s’interroge sur la manière de faire en sorte que la participation au débat public s’intensifie, et précise qu’elle ne “croit pas trop au référendum populaire permanent”. La solution passerait-elle par l’ouverture des données publiques? Là encore, les intentions sont louables, mais le cadre précis d’une politique ambitieuse d’opendata reste flou.

”Je ne suis pas née dedans, je vous avoue que je suis dépassée par la situation sur ce terrain là”, admet d’ailleurs Martine Aubry au détour de la conversation. Une attitude peu geekfriendly qui risque de lui jouer des tours face à une majorité qui mise son va-tout sur le numérique, dans un programme savamment intitulé ”Révolution numérique, le meilleur reste à venir”. L’UMP tente de se ressaisir sur Internet, poussée par un Nicolas Sarkozy qui semble avoir compris que le réseau et ses flambants industriels constituent une belle manne financière. Résultat: on abandonne l’“Internet civilisé” et autres bullshits du genre pour mettre les bouchées doubles sur les propositions 2012. Tant et si bien que les différences entre l’UMP et le PS sur le numérique paraissent bien tenues (voir notre comparatif illustré: Digitale Martine vs Télématique Sarkozy)

Réponse de Martine Aubry: ”reste à savoir ce qu’ils mettent derrière les mots. Derrière les plus beaux mots, on met les pires horreurs.” Du côté de l’équipe de campagne de la candidate, on explique être les mieux placés au sein des candidats de la primaire.
D’accord, mais concrètement, quelles différences avec l’UMP ? A part la mise à mort d’Hadopi, on n’en saura pas plus.

NB: L’UMP renvoie la balle en conviant ce jour presse et professionnels du secteur à un nouveau débat sur le numérique, organisé le 15 septembre prochain à La Cantine.


Illustration CC FlickR La Netscouade

  1. Fondation pour l’Internet Nouvelle Génération []
  2. Commission nationale de l’informatique et des libertés []

Laisser un commentaire

Derniers articles publiés