Le Parti Pirate fait chavirer Berlin

Le 8 novembre 2011

Le Parti Pirate allemand a fait parler de lui en obtenant 15 sièges au Parlement de Berlin. Il revendique une stratégie innovante : rebooter le système. OWNI a rencontré ses élus à Berlin.

QG du Parti Pirate à Berlin, novembre 2011

Jouer les « trolls » le plus sérieusement du monde. Un mois et demi après avoir remporté quinze sièges au Parlement de Berlin, le Parti Pirate opte à court terme pour ce rôle, comme nous l’a expliqué Pavel Mayer [de], un des élus :

Comme parti d’opposition, vous pointez les failles, vous trollez le gouvernement, c’est votre boulot.

Le tout jeune parti, cinq ans d’existence en Allemagne, ne rejoindra donc pas une coalition. Une prise de position pragmatique, nous a argumenté Alex Morlang [de], un autre élu :

En Allemagne, des partis surgis de nulle part ont explosé, ils ont rejoint une coalition et ils ont perdu. Il est difficile et long d’apprendre comment le système marche, ce n’est pas une option, si nous rejoignons la coalition, nous serons réduits en pièce ou déchiquetés. Nous avons tant à faire, le premier trimestre sera consacré au budget, c’est un travail de spécialiste. La première étape sera d’apprendre à survivre ici, même en tant que parti d’opposition. Nous cherchons d’abord à travailler ensemble, au sein du groupe, ce que nous n’avons jamais fait.  Il faut que nous restions soudés, si l’un d’entre nous part, il n’y a plus de groupe.

Ouvrir la porte par principe

S’il a bien été question de laisser la porte ouverte à des négociations, début octobre1, c’est par principe et sans illusions. Pavel clarifie ce point :

Nous voulions montrer au public que nous ne sommes pas des gens qui fuyons leurs responsabilités et seulement en s’opposant aux idées des autres. Vous ne pouvez pas concrétiser vos idées, ce qui est notre but. Les autres partis n’ont pas voulu nous parler, il n’y a donc pas encore eu de négociations.

Alex Morlang à la section locale de Prenzlauerberg, Berlin, novembre 2011

« Le SPD a le choix entre une coalition avec les Verts, qui a échoué pour des raisons assez complexes, et avec la CDU, précise Frédéric Happe, correspond à Berlin de l’AFP. Les Pirates ne pourraient entrer en jeu que dans deux “constellations” tout aussi irréalistes l’une que l’autre. D’une part Rot-Rot-Orange, avec le SPD et die Linke, car le PP a indiqué qu’ils auraient du mal à collaborer avec Die Linke, notamment en raison des liens ou une part de nostalgie de certains de ses membres envers la RDA et la Stasi, l’ancienne police politique de l’Allemagne de l’Est ; ou Schwarz-Grün-Orange (la CDU et les Verts). On imagine mal les Verts accepter de coopérer avec les Pirates qui ont gagné le gros de leurs presque 9% en rognant sur l’électorat contestataire écologiste. »

Toutefois, dans la jungle parlementaire, certains seront plus amicaux que d’autres : « Nous essayerons aussi de former des alliances, nous avons des choses en commun avec les Verts et die Linke », poursuit Alex Morlang. Des Verts pas si rancuniers que ça, à l’en croire : « il y a trente ans, les partis détestaient les Verts, ils ont fait tout ce qu’ils ont pu pour les bloquer. Les Verts ont donc pris une décision pour nous soutenir car ils ne veulent pas que cela se reproduise pour d’autres. »

De même, cela n’exclut pas des alliances au niveau des arrondissements : « Le PP a fait quatre propositions et ils ont parlé aux Verts, qui étaient ennuyés de voir ces jeunes débouler et vouloir changer les règles. Ils en ont parlé aussi avec le SPD et Die Linke, ils en ont même parlé à la petite fraction conservatrice de quatre personnes. À la fin tous ont voté pour nos propositions », détaille Alex.

Affiches de la dernière campagne berlinoise

Si coalition il doit y avoir à Berlin, ce sera plus tard, d’ici deux ans avance Pavel, après avoir ouvert le capot de la machine. En bon hacker -il est proche du Chaos Computer Club, célèbre club de hackers, ces adeptes de la bidouille technologique-, Pavel file la métaphore informatique :

La machine politique du Parlement a des boutons, des leviers, que vous pouvez contrôler, vous devez comprendre ce qui se passe si vous les actionnez. On modifie la machine quand on sait exactement comment elle fonctionne.

Pavel s’est déjà attelé à cette tâche, dès la session inaugurale, fin octobre. Il a annoncé que le règlement intérieur devait évoluer afin que le parlementaire en tant qu’individu ait plus de pouvoir, car actuellement, il favorise le groupe. « Cela fausse le principe de démocratie, avance-t-il. Un élu, qui représente 20.000 citoyens, est amené à faire le choix du groupe, au lieu du sien. » Une tentative d’« update », de « patch2 incrémental de l’OS3 » accueillie par de l’incompréhension : « la plupart des autres élus n’ont pas compris. Ils sont là depuis 10, 20 ans, ils ne questionnent plus le système. » Il va porter l’affaire devant la Cour constitutionnelle.

« Démocratie liquide »

Aujourd’hui tout frais, tout neuf, le propos exalté où perce parfois une sincère émotion, nos pirates courent le danger le risque de l’institutionnalisation, comme les Verts, broyés par le jeu des coalitions, divisés en deux fractions et embourgeoisés après trente ans dans le jeu politique. Alex se marre :

«Bien sûr que cela nous fait peur ! Comme certains anciens des Verts ont rejoint le PP, nous avons la possibilité de regarder leur histoire, nous sommes assez différents. Les Verts des débuts, comme les Nazis, voulaient protéger les arbres allemands, et de l’autre côté, il y avait des féministes et des pacifistes, qui discutaient de savoir s’il fallait imprimer, beaucoup de débats chronophages. Maintenant nous avons Internet, beaucoup de choses sont devenues possibles. Nous avons des pad, des wiki, nous pouvons travailler indépendamment du temps et de l’espace, l’esprit le plus brillant peut collaborer, cela change les choses de façon fondamentale. La prochaine étape, c’est la démocratie liquide. »

La démocratie liquide consiste somme toute à revenir aux fondamentaux de la démocratie, en permettant aux gens de participer directement au processus politique : proposer des initiatives, les soutenir, les amender. L’accent est mis sur l’horizontalité, la transparence et l’obligation d’être constructif : vains trolls, passez votre chemin. Sa mise en œuvre passe par un outil tout neuf développé par le PP allemand depuis 2009, LiquidFeedback [en]. Il est déjà aussi utilisé en Autriche, en Suisse et au Brésil. On attend encore la traduction française.

Pavel Mayer, élu du Parti Pirate à Berlin, novembre 2011

L’outil est là, opérationnel, mais les citoyens s’en empareront-ils ? « Au niveau fédéral, ⅓ du PP participe, argumente Alex. L’idée attire les gens, certains nous ont rejoint pour ça. En Bavière, le système n’est pas implémenté, les gens qui sont venus l’utiliser demandent “où est-il, où est-il ?” » Le propos se fait plus enflammé :

Ce n’est pas l’idée classique de révolution, “emparons-nous de l’usine”, nous n’avons pas pris l’encyclopédie, nous avons construit la nôtre à la place de ça, et ils ont construit des réseaux pour la consommation, on s’en fout, à la place, nous avons construit l’Internet. Ils ont voulu nous vendre des logiciels, on s’en fout, nous avons fait des logiciels libres, ils nous disent comment diriger un gouvernement, on s’en fout.

On s’en fout, sauf que la loi ne permet pas de considérer des serveurs informatiques comme un membre du PP et que la prise de décision passe toujours pas le bureau ou le convent.

Des sauveurs, pas des ennemis

Un tantinet optimiste, – voire prétentieux ? -, Pavel estime que cette envie de changement est au fond partagée par les politiques :

Les autres parties placent beaucoup d’espoir en nous. Ils pensent que nous avons un secret qu’ils doivent apprendre, ils ne nous attaquent pas vraiment encore, ils sont curieux, ils ne nous regardent pas comme les ennemis mais comme les sauveurs. Ils commencent à comprendre que la société change, vers la société de l’information. Ils ne la comprennent pas mais veulent l’embrasser, c’est le futur, ils ne peuvent l’éviter.

Pourtant, quand de jeunes Verts ont proposé d’implémenter LiquidFeedback, les anciens ont refusé. Démocratie pâteuse.

Texte : Sabine Blanc

Photos : Ophelia Noor [cc-by-nc-nd]

  1. les germanophones pourront écouter les débats ici, enregistrement du 5 et 11 octobre []
  2. en informatique, un patch est une correction apportée à un bug sur un programme []
  3. operating system []

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